Économie circulaire : des ressources pour aller plus loin
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Publié en 2020 par les chercheurs Willi Haas, Fridolin Krausmann, Dominik Wiedenhofer, Christian Lauk et Andreas Mayer dans la revue Resources, Conservation and Recycling, un article scientifique de référence apporte des éclairages intéressants à ces questions à travers un regard historique sur l’évolution du « métabolisme » de l’économie mondiale entre 1900 et 2015, autrement dit sur l’ensemble des flux de ressources mis en jeu par le système économique :
La circularité doit permettre de ramener les flux de prélèvement et de rejet dans l’environnement à un niveau soutenable.
L’étude met en lumière la croissance exponentielle, et donc non soutenable, des pressions exercées par l’économie mondiale sur l’environnement. L’échelle des flux de prélèvement et de rejet dans l’environnement s’amplifie en effet considérablement au cours du dernier siècle : les flux d’extraction de ressources passent de 7,3 à 88,9 milliards de tonnes par an entre 1900 et 2015, tandis que les flux de rejets vers l’environnement (déchets et émissions) s’accroissent de 5 à 48,4 milliards de tonnes.
Dans ce contexte, les auteurs rappellent que la finalité ultime de l’économie circulaire du point de vue de la soutenabilité est de contribuer à réduire ces flux entrants et sortants à un niveau soutenable au regard des enjeux d’épuisement des ressources et de dépassement des limites planétaires.
Exprimé en termes d’indicateurs de circularité, cet objectif de soutenabilité signifie que :
Ce faisant, les auteurs appliquent le principe de circularité à l’ensemble des flux de ressources mobilisés par l’économie. Alors que dans les stratégies d’économie circulaire, la biomasse est généralement considérée comme naturellement circulaire puisque renouvelable, la présente étude rappelle que ce n’est pas nécessairement le cas.
En théorie, une économie parfaitement circulaire – dans laquelle 100% des rejets sont circularisés et 100% des ressources consommées sont fournies par les ressources circularisées – permettrait d’assurer la soutenabilité, puisque ses flux de prélèvements et de rejets dans l’environnement seraient ramenés à zéro. Si cette perspective idéale apparaît bien entendu illusoire comme évoqué dans un autre article de ce dossier, elle dessine cependant un cap, dont l’économie mondiale s’est éloignée au cours du siècle dernier comme le montre clairement l’étude :
Les auteurs avancent plusieurs explications à ces résultats :
La contribution de la biomasse à la circularité globale se réduit avec le recul de sa part dans la consommation de ressources : les niveaux de circularité indiqués ci-dessus apparaissent très nettement supérieurs à ceux présentés dans une étude telle que le « Circularity Gap Report ». Cela tient à la prise en compte du cycle de la biomasse qui pèse lourd dans le panorama général.
En 1900, elle représente en effet 70% des flux de ressources entrants, et même si cette part est ramenée à 40% pour prendre en compte seulement les flux de biomasse jugés renouvelables, la biomasse explique la majeure partie du taux de circularité 43%. De même, les usages de biomasse renouvelables sont à l’origine de 42% des rejets du système économique en 1900 et sont restitués à la biosphère. Mais la composition du métabolisme mondial se transforme largement entre 1900 et 2015
Si l'extraction de biomasse a quadruplé entre 1900 et 2015, l'extraction des ressources non renouvelables (combustibles fossiles, métaux, minéraux non métalliques) a connu une croissance nettement plus intense encore, avec une multiplication par 30. De fait, la biomasse ne représente plus que 24% des ressources consommées en 2015 (et seulement 20% en limitant à la biomasse renouvelable). Cette évolution se répercute en aval puisque la biomasse ne représente plus que 30% des rejets du système économique.
La croissance de la consommation de combustibles fossiles tire la circularité à la baisse : utilisées en très grande partie à des fins énergétiques, ces ressources ne peuvent par définition être recyclées suite à leur combustion, et pèsent ainsi négativement sur la circularité globale de l’économie.
L’expansion accélérée des stocks de matières est un frein à la circularité : autre mutation majeure mise en évidence par l’étude, l’économie mondiale est devenue une économie d’accumulation. Une grande partie de l’augmentation des consommations de matières et d’énergies observée sur la période est requise pour développer le stock d’infrastructures, de bâtiments et de biens durables, dont le volume est multiplié par 27 pour atteindre près de 1 000 milliards de tonnes en 2015. De plus, les matériaux accumulés dans le stock ne redeviennent disponibles pour un éventuel recyclage qu’après une période plus moins longue, pendant laquelle les consommations de ressources continuent de croître. De ce fait, lorsque les matériaux arrivent en fin d’usage et peuvent être revalorisés, ils apparaissent nécessairement insuffisants pour satisfaire les consommations du moment.
Bien qu’en forte croissance sur la durée, les flux de matières recyclées hors biomasse ne font pas le poids : les flux de ressources issues du recyclage de matières techniques (métaux, verre, plastique, etc.) sont passés de 0,3 milliards en 1990 à 6,1 milliards en 2015, soit une multiplication par 20. Mais cela s’avère largement insuffisant. On n’observe qu’une faible progression de leur part dans les flux de ressources entrants (de 4% en 1900 à 6% en 2015) et dans les flux de rejets des systèmes économiques (de 4 à 10%).
Découvrez ici le diagramme de flux de matériaux de 2010 à 2018 pour l'Union Européenne réalisé par Eurostat
Ce graphique nous permet de mieux visualiser la situation.
En 2018, l’économie européenne a mobilisé :
L’usage de ces 8,12 milliards de tonnes de ressources se décompose de la manière suivante :
Cet éclairage sur le temps long montre que l’économie mondiale s’est éloignée d’une situation soutenable au fur et à mesure de la croissance des flux de prélèvements de ressources et de rejets de déchets et d’émissions dans l’environnement. Cette évolution n’a pu être enrayée par une circularité en recul sur la période. Soulignant l’intérêt du concept d’économie circulaire pour progresser vers la soutenabilité, les auteurs estiment cependant crucial d’aller au-delà de la promotion du recyclage, pour mettre en place des stratégies permettant de surmonter les obstacles à la circularité.
L’étude souligne ainsi quatre enjeux structurants :
1/ Ralentir de manière drastique la croissance du stock mondial d’infrastructures, bâtiments, biens durables… Une fois en place, ce stock nécessite un apport continu de matériaux et d'énergie pour son entretien et son fonctionnement, et ce besoin croît avec la taille du stock (maintenir un parc de 10 millions de voitures ou de 100 millions n’a pas les mêmes implications). L’augmentation constante du stock constitue ainsi un puissant moteur de la consommation de ressources future.
2/ Accorder une attention plus grande à la biomasse renouvelable : la biomasse fait l’objet d’une exploitation massive pour des usages en partie concurrents (alimentation, énergie, matières, etc.) qui ne garantit pas les conditions de renouvellement de la ressource et impacte fortement la biosphère. Or, selon l’étude, il n’existe à ce jour aucun critère ou indicateur explicite permettant d’assurer un usage circulaire de la biomasse.
3/ Intégrer les enjeux de la transition énergétique : restant souvent dans l’angle mort des stratégies d’économie circulaire, la question énergétique constitue portant une dimension essentielle du métabolisme de l’économie, dans la mesure où l’énergie disponible détermine la capacité à exploiter toutes les autres ressources. L’économie circulaire peut contribuer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre en favorisant la décarbonation du mix énergétique, mais aussi en prenant mieux en compte les implications énergétiques des solutions circulaires et inversement (voir par exemple, la pression sur les ressources minérales exercé par le déploiement des énergies électriques renouvelables).
4/ Enrayer la croissance continue de la consommation de ressources : même dans l’hypothèse d’un recyclage intégral des matières en fin d’usage, les ressources recyclées ne peuvent couvrir une plus large part de la consommation de ressources si cette dernière continue de croître. Selon les chercheurs, accroître la circularité de l’économie et réduire l’extraction de ressources dans l’environnement impliquent nécessairement une réduction significative de la taille des besoins de matières et d’énergie à satisfaire. Maitriser les flux de consommation apparaît d’autant plus crucial qu’ils déterminent en aval l’ampleur de la croissance du stock et l’ampleur des rejets dans l’environnement.
Ces quatre enjeux constituent un cadre stimulant pour orienter les stratégies d’économie circulaire conduites au niveau national, territorial et des entreprises, ce qui implique de développer des objectifs et indicateurs adaptés à ces échelles.
Pour aller plus loin :
○ Retrouvez ICI l'intégralité du dossier Économie circulaire : au-delà du recyclage, comment transformer l’économie ?
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