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L'eau déborde : la régulation par les prix

Illustration représentant un robinet avec de l'eau qui coule et le symbole de l'euro à ses côtés

Texte de Rémi BARBIER

Sans méconnaître totalement les dimensions culturelles, environnementales, sociales ou spirituelles, le paradigme gestionnaire dominant attribue un rôle clef aux mesures économiques pour déterminer la valeur de l’eau, une question qui s’est imposée dans l’espace public depuis une vingtaine d’années. Et la régulation économique des usages, qui en est issue, provoque de nombreux débats.

Texte écrit pour la revue M3 n°5.

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Date : 01/06/2013

L’approche gestionnaire attribue un rôle clef à la valeur économique de l’eau : un signal-prix adéquat doit permettre l’allocation optimale d’une ressource rare. La tarification des services liés à l’utilisation de l’eau devra donc se faire « au coût Complet », addition du coût financier et des coûts pour l’environnement et les ressources. Quels sont les principaux débats autour de ce paradigme dominant ?

La régulation économique suppose en premier lieu que le signal-prix est le moyen le plus efficace pour responsabiliser le consommateur et limiter le risque de gaspillage, au risque de méconnaître ou de sous-estimer le rôle des normes sociales et culturelles. Elle implique en outre de généraliser le comptage. Or, ce point continue à faire l’objet de vives controverses : le comptage a un coût certain, tandis que les économies induites par une mise en visibilité de la consommation et de la dépense individuelles sont au mieux incertaines.

 

Le comptage a un coût !

La régulation économique tend d’autre part à homogénéiser les usages, dont la valeur est saisie à l’aune de leur seule traduction sous forme d’un consentement à payer. En d’autres termes, ceux de l’économiste François Perroux, « l’allocation [de la ressource entre les divers usages] obéit à la hiérarchie de leur solvabilité et non à celle de leur urgence appréciée (…) par référence à la morale d’un groupe ». D’où a minima l’enjeu d’un équilibrage avec d’autres modes d’allocation, pilotés par la puissance publique tutélaire ou au sein d’institutions collectives.

À titre d’exemple, pour rendre effectif le droit d’accès à un bien essentiel, l’usage eau potable se trouve diffracté en une série d’usages élémentaires hiérarchisés : certaines collectivités établissent des tranches de tarification adaptées aux consommations dites « essentielle », « utile », « de confort », voire « gâchée ». On note au passage que la norme sociale peut être étroitement liée à une vision morale des usages de la ressource, dont s’affranchit précisément la régulation économique.

Ensuite, lorsqu’une entreprise privée intervient dans la fourniture du service, la valeur économique intègre une « valeur pour l’actionnaire », qui est dénoncée par un important courant contestataire comme éthiquement incompatible avec le caractère vital de l’eau. Celle-ci devrait être gérée comme un « bien public » par des autorités publiques. Mais le débat éthique ne peut faire l’économie d’une interrogation sur les mérites et les défaillances comparés du marché et de la puissance publique dans l’allocation des ressources et la gestion des services associés.

 

La rareté comme état des rapports sociaux

L’approche économique repose enfin sur le présupposé que l’eau est une ressource naturelle rare. Or, l’approche de l’eau en tant que « ressource naturelle » est récente. Ce sont les sciences de l’eau qui, au tournant des XIXe et XXe siècles, avec le concours de la puissance publique, ont transformé « les eaux » en une matière première homogène, calculable et manipulable en vue d’en obtenir la plus grande utilité possible.

Cette approche « extractiviste » est désormais mise en tension avec la pluralité des relations ou des attachements que les sociétés ont tissés ou sont susceptibles d’établir avec et à propos de l’eau. L’idée de patrimoine commun introduite par la loi sur l’eau de 1992 est à cet égard d’un réel intérêt. Par ailleurs, les notions de rareté et de crise globale de l’eau risquent de masquer la variété des enjeux locaux et des capacités des sociétés à y faire face, mais aussi de faire oublier que les raretés reflètent au moins autant un donné de nature qu’un état des rapports sociaux, des orientations culturelles d’une société, mais aussi de la mondialisation, notamment au regard des échanges d’eau virtuelle.