Isabelle Baraud-Serfaty : « L’espace public est potentiellement l’espace le plus résilient dans la ville »
Interview de Isabelle Baraud-Serfaty
Fondatrice d'Ibicity
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Article
« Mathématiques, nature non linéaire, propagation explosive ou simplement exponentielle, force, patience, sacrifice, pensée magique... ».
Autant de petits cailloux blancs posés dès le début du texte pour nous guider dans le dédale des impensés de nos ressentis, de nos réactions face à la situation actuelle. Paolo Giordano, l’auteur de cet essai d’une soixantaine de pages, l’a écrit à Rome du 29 février au 6 mars, avant le confinement total de l’Italie. Le Seuil, son éditeur français, avait initialement décidé de le mettre en libre accès sur son site, en amont de sa diffusion physique. Désormais, les droits d'auteur participent à la création de deux bourses d'étude à l’École internationale supérieure d'études avancées de Trieste, l’une sur l’intelligence artificielle et l'analyse des données appliquées à l'épidémiologie pour des chercheurs italiens et étrangers, et l’autre pour une enquête sur la pandémie de Covid-19, menée par des data journalists italiens.
D’emblée, au-delà des amalgames diffusés dans les médias, Contagions nous apprend les différences entre le SARS-CoV-2, le virus, le Covid-19, la maladie, et le coronavirus, sorte de nom de famille du premier cité.
Comme pourrait nous le dire Blondin, le Bon de Sergio Leone, dorénavant, le monde se divise en 3 catégories : ceux qui peuvent être contaminés, les Susceptibles, ceux qui sont contaminés, les Infectés, et ceux qui ne le seront pas, ou plus, parce qu’ils ont survécu ou qu’ils sont déjà morts : les Rejetés.
Tel est le prisme du modèle SIR, « l’ossature transparente de toute épidémie ».
Le physicien, qui parle couramment le langage des mathématiques, nous parle alors de R zéro, ce taux de reproduction du virus qu’il nous faut abaisser en dessous de 1 : moins d’un contaminé par malade. C’est ainsi que la courbe morbide des cas testés positifs amorcera son déclin. D’ici-là, il nous faudra composer avec « la froide abstraction mathématique de la contagion ».
On y appréhende avec calme et clairvoyance les enjeux de « l’immunité grégaire », qui annoncera la fin de la guerre. On prend conscience que oui, l’épidémie renforce en nous le sentiment d’appartenance au vaste groupe qui prend aujourd’hui les dimensions d’une espèce entière, et dont la solidarité, exprimée par des décisions et des comportements altruistes, est la seule planche de salut. À l’opposé complet de l’individualisme forcené d’un survivalisme belliqueux, pour qui toute cette époque ne peut conduire qu’au « chacun contre tous ».
La « pandémie » : derrière ce phénomène sanitaire à l’ampleur inédite dans l’histoire récente, il s’agit bien aussi de prendre la mesure de la dite « mondialisation ». Le réchauffement climatique et ses effets, dont l’extinction des espèces, n’est pas bien loin non plus. Il pousse des organismes minuscules, ces bactéries méconnues, confinées jusqu’à présent aux écosystèmes sauvages, à migrer vers les hôtes les plus nombreux, les plus hospitaliers, les plus vulnérables : nous, les humains, présents partout, tous reliés, tous interdépendants.
En migrant d’une espèce à l’autre, ce virus, comme d’autres membres de cette faune invisible, réagit comme un « réfugié de la destruction environnemental » nous dit l’auteur, constatant in fine que « l’infection réside dans l’écologie ».
Dans une ère numérique ultra-stimulée, qui déverse sans cesse une logorrhée de questions simplistes et de réponses partielles, Paolo Giordano nous appelle à nous réconcilier avec la complexité, et à nous remettre de nos déceptions face à l’incertitude des scientifiques, dont le meilleur outil pour avancer reste l’incertitude, le doute, la controverse.
Nous devons aussi faire face à une autre viralité, qui compte également ses Susceptibles, ses Infectés, et ses Rejetés : le flot de rumeurs, de fake news, de théories du complot, dont les raisonnements biaisés ne connaissent qu’une méthode d’analyse : « à qui profite le crime ? »
Dans ce contexte, la transparence des dirigeants devient prophylaxie. Elle seule est à même d’armer chacun d’outils de compréhension qui amèneront à terme, à une échelle statistique, les logiques les plus saines à s’imposer. L’objectif reste d’abaisser R zéro en dessous de 1. Mais la suspicion est partout, les méfiances se cumulent, comme autant de mirages pernicieux.
Dans le monde au temps du Covid-19, la sagesse est patience. Notre normalité se fond dans "l’anomalie", et nous ne rêvons plus que de retrouver nos routines, sans doute perdues à jamais, avant que d’autres ne voient le jour.
Ce que la crise actuelle illustre de la façon la plus frappante est sans doute, selon l’auteur, notre difficulté à ralentir.
Prendre le temps de s’abstraire des informations en continu, s’isoler au sein même de notre confinement pour lire, même sur un écran, est peut-être le début de notre contre-attaque. Au fil des pages de Contagions, une distance bienveillante, rationnelle et lucide, balançant de l’intime au global, nous éclaire sur la nature de nos inquiétudes et la réalité de la menace.
Un bon début pour entrevoir la vie d’après ?
Paolo Giordano est né à Turin en 1982.
Docteur en physique théorique, il est également romancier. En 2008, il recevait les prix Strega et Campiello pour son premier roman, "La Solitude des nombres premiers", adapté au cinéma en 2010.
Il a depuis publié également aux éditions du Seuil "Le Corps humain" (2013), "Les Humeurs insolubles" (2015) et "Dévorer le ciel" (2019).
Pour poursuivre vos lectures, retrouver ICI l’ensemble des articles #Covid-19
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