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Point de vue : Michèle Vianès, de Regards de Femmes

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Portrait de Michèle Vianès
© DR
Présidente de l'association Regards de Femmes

Interview de Michèle Vianès

Cet entretien a été mené dans le cadre d’un état des lieux des revendications portées par les associations du territoire de la métropole lyonnaise, en lien avec les questions de genre, d’égalité femmes/hommes et des droits des LGBTQI+.

Cette série d’interviews, qui compile des points de vue parfois opposés, est disponible sur Millénaire 3 au sein de notre chantier Égalité Femmes/Hommes. 

Michèle Vianès est présidente de l’association Regards de Femmes, « créée en 1997 pour dénoncer les stéréotypes qui enferment filles et garçons dans des comportements attendus, pour promouvoir la parité politique et professionnelle, pour lutter contre les violences morales, psychiques et physiques faites aux femmes parce que femmes et favoriser la solidarité entre les femmes de France, d'Europe, du monde ».

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Date : 18/02/2020

Pourquoi vous être engagée en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes ? Dans votre vie, quel a été l’élément déclencheur ?

Les inégalités entre les êtres humains, c’est quelque chose que je ne supporte pas. Condorcet a écrit : « Ou aucun individu de l'espèce humaine n'a de véritables droits, ou tous ont les mêmes ». Notre action est de faire en sorte que toutes les femmes aient les mêmes droits, en France et dans le monde, ce qui implique d’avoir des lois, de les rendre effectives, d’être solidaires des femmes de France, d'Europe et du monde en faisant appliquer les principes constitutionnels d'égalité femme-homme et de laïcité. Un élément déclencheur, je ne sais pas, peut-être dans mon enfance, au moment de l'indépendance de la Tunisie lorsque Bourguiba a parlé de « libérer les femmes », en leur ôtant le voile. J'avais moins de dix ans mais ça m'a vraiment marquée. Le fil conducteur de mon action a toujours été de libérer les femmes de toutes les formes de patriarcat, qu'il soit traditionnel, coutumier ou religieux.

Pourquoi avoir créé l’association Regard de Femmes ?

En 1995-1996, il y avait à Lyon énormément d'activités et d'associations de droits des femmes, mais elles travaillaient en silo, chacune impliquée dans son action, sans contact avec la population. Nous étions une dizaine de femmes, convaincues qu’il fallait faire du lien entre elles, et entre elles et les habitants de Lyon, hommes et femmes. A l’époque il n’existait pas de structure comme le Conseil pour l’égalité femmes-hommes qui permet aux associations de se rencontrer. Au départ nous avons hésité à se rattacher à une association parisienne, et finalement nous avons fini par créer notre propre association. En 1997-98, au moment où l'on se crée, la première de nos idées était de déconstruire les stéréotypes vis-à-vis des filles et des garçons. Pour nous, ce sont les filles autant que les garçons qui sont enfermés dans les stéréotypes. Notre conviction est que l’on peut construire ensemble, femmes et hommes ensemble. On n'était pas très bien vues par les féministes historiques, alors qu’aujourd’hui il est devenu assez évident que les hommes aussi peuvent être féministes, tout comme les femmes peuvent être machistes. Les grandes questions étaient alors la loi sur la parité politique, et la question de la parité professionnelle : orientation des jeunes filles et des garçons, métiers sexués, partage des temps de vie…

J'avais été auditionnée par Valérie Pécresse, qui avait alors son premier mandat de député et conduisait une mission parlementaire sur la conciliation vie familiale vie professionnelle. On se préoccupait du partage des temps de vie, de l'égalité des salaires, de ses conséquences sur la retraite et bien sûr de tout le continuum des violences envers les femmes : la violence économique — pour nous l'écart de salaire est une violence économique  —, la violence psychologique, la violence physique et sexuelle. Avant qu’en 1999 la Suède n'adopte une loi contre l'achat de services sexuels, nous faisions aussi partie, avec nos partenaires suédoises, du combat contre le système prostitutionnel. Nous avons beaucoup travaillé sur ce sujet, fait venir à Lyon des suédoises pour en parler, avons été partie prenante du collectif Abolition 2012, (regroupant les associations féministes et luttant contre la prostitution) et du combat mené qui a conduit à la loi de 2016.

Regards de Femmes est une association qui agit pour la solidarité entre femmes et l’égalité à l'échelle du monde, c'est un point de singularité ?

Pour nous c'était juste évident. Nous avons tout de suite commencé, en juin 1999, par un colloque international à l’Université Lyon 3 sur l'excision et l’utilisation du viol comme arme de guerre, des thèmes dont on ne parlait absolument pas à cette époque. En travaillant avec des consuls de pays d'Afrique sur ces questions, celui du Burkina-Faso, pays qui venait d’adopter une loi pénalisant l’excision et celui du Congo qui nous avait proposé de faire venir la maire de Brazza-Est pour parler du viol comme arme-de-guerre, du viol pour détruire une ethnie, avec des soldats auxquels on propose comme solde de violer des filles et des femmes. Tout de suite nous avons été sur ces questions qui se posent à l’échelle du monde. Et sur des questions sur lesquelles nous sommes interpellées.

Un exemple. En 2005, une partenaire d'origine iranienne vivant au Canada m’a alerté du risque de mise en place de tribunaux de justice islamique en Ontario. L’idée était que pour les droits familiaux, divorce, séparation, mariage, garde des enfants et héritage, les personnes musulmanes n'iraient plus vers les tribunaux canadiens, mais vers des tribunaux de justice civile religieux. Nos amies canadiennes nous ont dit, ce n'est pas possible, on va faire des grands rassemblements, elles nous ont demandé si on était prêt à les suivre en France. Nous avons fait le nécessaire, et en deux mois de temps, sans internet, nous avons réuni toutes les associations — on voit la différence avec aujourd’hui —, tous les partis politiques excepté l'extrême droite. En même temps qu'il y avait le rassemblement à Toronto, nous avons organisé un rassemblement à Paris, à proximité de l’Ambassade du Canada et demandé à rencontrer l'ambassadeur. Nous y sommes allés à quatre, deux hommes, deux femmes, dont Fadela Amara. D'autres rassemblements se tenaient en parallèle à Londres, à Stockholm, en Allemagne, mais ils ne regroupaient que des personnes de confession ou de filiation musulmanes. Quand les Canadiens ont vu le matin en se réveillant ces images de Paris, ça a eu de l'impact. J’avais répondu à énormément d'interviews dans des médias aussi bien francophones qu'anglophones. Ça c'est passé le jeudi. Le samedi, le premier ministre de l'Ontario a dit : « plus de tribunaux religieux ». Pareil, lorsqu’en France nous soutenons des personnes qui sont victimes de violence dans leur pays, l’impact est énorme. Regardez Asia Bibi qui est aujourd'hui citoyenne d'honneur à la ville de Paris et libérée. Quand on s'en est occupé il y a plusieurs années, au début on nous disait : « vous n’allez rien pouvoir faire. » On l'a fait et arrivé à des résultats. C'est pour ça qu'on continue.

Pouvez-vous me brosser le panorama du féminisme à Lyon et expliquer comment il s’est recomposé ?

Le féminisme était universaliste dans les années 1990, entendu de manière unanime comme un combat pour l'égalité en droit et l’égale dignité des femmes et des hommes

Le féminisme était universaliste dans les années 1990, entendu de manière unanime comme un combat pour l'égalité en droit et l’égale dignité des femmes et des hommes. Regards de Femmes faisait partie au départ du Conseil Lyonnais du Respect des Droits. En 2002 il y eu au sein de ce conseil un premier incident. Il y avait déjà, parmi les associations présentes, une association islamiste. On l’a su après. Il s’agissait de Divercité. A Regards de Femmes, nous n’étions pas dupes de leur discours, parce qu’on travaillait avec des femmes qui venaient d'Afrique et du Maghreb, en particulier des Algériennes. Comme les représentants de cette association voulaient se débarrasser de Regards de Femmes, ils sont venus un beau jour dans ce conseil, qui est une commission extra-municipale, avec une femme voilée, qui accompagnait, par ailleurs, Tariq Ramadan dans ses réunions. Nous avons envoyé un courrier au responsable du conseil, l'ancien président de la LICRA Alain Jacubowicz, et au maire Gérard Colomb, en leur disant que, pour nous, le voile traduit la soumission des femmes ce qui est inacceptable dans une telle commission. Dès lors que le maire ne nous a pas suivi, nous avons quitté le conseil, et rendu publique notre décision par un communiqué de presse. Énorme tollé ! Certains élus s'en sont pris à nous, considérant que nous étions une association féministe qui faisait une crise d'urticaire laïque. Nous avons tout entendu. Le journaliste de Libération à Lyon avait écrit un article dans lequel il me prêtait des propos absolument faux, en construisant une phrase avec le début et la fin de mon argumentaire écrit, où j’avais mentionné une histoire de viol collectif avec acte de barbarie qui venait d’avoir lieu. Ce raccourci me faisait dire que la femme qui portait le voile était responsable du viol subi par celles qui ne le portaient pas. Ma demande de rectification de l’article est restée sans réponse. La femme avait porté plainte contre moi et a été déboutée. En effet, j'avais en réponse à la plainte, déposé plainte contre Libération qui avait refusé de publier mon démenti. Le rédacteur en chef, Serge July, a été condamné en première instance, puis en appel et en Cassation, car il avait interjeté appel, puis saisi la Cour de Cassation. Au même moment, toute l'équipe de Divercité, en dénonçant les arrêtés anti-prostitution de la municipalité, a commencé à faire de l'entrisme dans pas mal d'associations de droit des femmes à Lyon, le Planning familial, Cabiria, mais aussi Act'up, etc.

Après la question de la prostitution, la question du voile est le deuxième sujet qui fâche au sein des associations féministes.

Aujourd'hui ce clash entre des associations qui considèrent que le port du voile est un droit et les autres qui y voient une forme de soumission est toujours là

Effectivement, nous menions aussi le combat contre le système prostitutionnel, et il y avait un certain nombre d'associations qui, elles, considéraient le droit de se prostituer comme un droit humain. En 2004 Regards de Femmes a été l’association marraine de Ni Pute, Ni Soumise. Ce clash entre associations sur les questions d'islamisation et d'intégrisme religieux a eu des conséquences. La présidente du Planning de Grenoble, à ce moment-là, qui était elle aussi marraine de Ni Pute, Ni Soumise a depuis quitté son poste. Aujourd'hui ce clash entre des associations qui considèrent que le port du voile est un droit et les autres qui y voient une forme de soumission est toujours là. Je peux comprendre que les personnes qui veulent le porter le portent, mais de là à l'imposer à d'autres et l'imposer aux enfants, avec le voilement des fillettes, c’est autre chose ! Notre association est là pour défendre celles qui ne veulent pas le porter.

Ressentez-vous une dislocation du féminisme ?

Je dirais que le féminisme a divergé dès les années 2000 sur deux points, le voile, et le système prostitutionnel. Ensuite, au début des années 2000, qu’il s’agisse du mouvement masculiniste qui s'est développé en France avec SOS Papa, ou de l’approche intersectionnelle, j’ai vu l’arrivée d’une influence anglo-saxonne. Jusque-là, le féminisme était uni autour de l’idée claire de la solidarité de femmes par rapport à la domination masculine. Là, ça s'est fracturé, certaines femmes ont commencé à parler de « ces pauvres garçons qui a l’école se font dépasser par les filles ». Le courant masculiniste a aussi eu énormément d'effets sur les femmes. Quand vous avez des journaux qui titrent « les garçons ne peuvent plus rien faire à l’école », cela vient du courant masculiniste, pas d'ailleurs. Comme ces mères de familles qui vous disent : « Oui nos fils avec les femmes d'aujourd'hui, ils ont plus de problèmes. »

On ne peut nier que les garçons éprouvent des difficultés voire des inégalités dans certains domaines. Des sociologues ont mis en évidence le phénomène de « la fabrique des garçons », qui, en vertu de stéréotypes de genre, les pousse à affronter l’institution par exemple, ou à prendre des risques.

La « fabrique des filles » les pousse à avoir peur de tout et à ne pas oser, la « fabrique des garçons » les oblige à avoir une virilité agressive

C’est pour ça que nous dénonçons les stéréotypes qui enferment les filles et les garçons, aussi négatifs l'un que l'autre. De même que la « fabrique des filles » les pousse à avoir peur de tout et à ne pas oser, la « fabrique des garçons » les oblige à avoir une virilité agressive. Quand nous intervenons auprès d’étudiant·es et collégien·nes, nous leur disons « vous êtes uniques, faites ce que vous souhaitez faire, en fonction de vos aptitudes, de vos goûts, et de votre désir de travailler ». Aujourd'hui il est extrêmement important de le rappeler, parce qu’on sépare en catégorisant. On nous dit : on ne peut pas lutter pour quelque chose qu'on n'a pas vécu. On voit dans les médias en France le poids de cette idée qui me parait extrêmement dangereuse. Je pèse mes mots. N'ayant jamais été battue, cela voudrait dire que je ne peux pas lutter pour les femmes battues. Or combien de combats ont été menés par des personnes qui n’ont pas vécue ce qu’elles dénonçaient ? Si Victor Schœlcher n'avait pas été là, peut-être y aurait-il encore des esclaves.

Ces divisions du féminisme nuisent-elles aux causes que vous défendez ?

Bien sûr que ces divisions fragilisent le féminisme. Par exemple, vous avez toujours ces mêmes associations, Médecins du Monde, Planning familial, Act'up qui ont essayé de faire une QPC [Question Prioritaire de Constitutionnalité] sur la loi de 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel en France. Elle a été invalidée, et ils se sont tournés vers le Conseil des Droits Humains de l'Europe.

Ressentez-vous un changement au niveau des jeunes militants sur les moyens de conduire des luttes ?

Quand la radicalité est dans les têtes [...] on n'est plus du tout dans le débat, et encore moins dans l’acceptation qu’à l’issue d’un débat on se soumet à l’opinion majoritaire, mais dans le tribal.

Dès lors que des mouvements se créent sur un modèle sectaire, « nous avons raison, et ceux qui ne font pas exactement comme nous disons ont tort », on est dans quelque chose de radical. On le ressent. Les végans par exemple sont allés détruire un abattoir dans l’Ain où j’habite, parce qu’ils ne mangent pas de viande. Personne ne les oblige à manger de viande, pourquoi veulent-ils empêcher les autres de le faire ? Quand la radicalité est dans les têtes, ça m’inquiète. J’ai l'impression que dans ces cas-là on n'est plus du tout dans le débat, et encore moins dans l’acceptation qu’à l’issue d’un débat on se soumet à l’opinion majoritaire, mais dans le tribal. Chacun sa tribu, les croyances de sa tribu, et celui qui n'est pas dans la tribu à 100% on l'exclut, c'est l'ennemi. C'est assez récent. Notre association au contraire, et nous ne sommes pas les seules heureusement en France, cherche ce qui nous rassemble. Si nous pouvons mener une action commune sur un point, on essaie d'y aller ensemble. Par exemple, sur le droit à l'avortement, nous sommes allées ensemble avec des associations, sans que ça veuille dire qu'on est d'accord à 100% avec ce qu’elles défendent.

Aujourd'hui, quelles sont vos principaux combats ?

Notre combat prioritaire porte sur le milliard de personnes, dans le monde, qui n'ont pas d'identité juridique et les soixante millions d’enfants par an qui ne sont pas déclarés à l'état civil à la naissance. C’est pour moi et pour nous un combat très important que nous menons au niveau international depuis 2012. En 2015 j’avais été invitée par l'UNHCR à Abidjan lors d’une réunion interministérielle pour intervenir sur les questions d'état civil. La question des femmes qui ne peuvent pas déclarer leur enfant n'avait jamais été mise à l'ordre du jour. Après les interventions il y a eu comme toujours un cocktail, je me suis retrouvée à côté du Ministre de la justice de Côte d'Ivoire. Je lui ai dit qu'on travaillait sur ces thématiques avec les associations de son pays, et je l’ai taquinée : « mais je ne comprends pas, dans un pays avec une croissance à deux chiffres, vous ne connaissez même pas l'état de votre population, comment pouvez-vous vous projeter ? ». Il me demande : « qu'est-ce qu'on pourrait faire ? » et je lui dis : « faites comme en Algérie, pour tous les enfants qui arrivent à l'école sans avoir d'identité, vous leur faites un jugement supplétif ». Il me regarde et me dit : « mais c'est une excellente idée !  Je vais en parler aussi avec la Ministre de l'éducation ». A partir de là les ministres de l'éducation, de l'intérieur et de la justice ont fait une proposition de loi. L'école est obligatoire et tous les enfants qui n'ont pas d'état civil font l’objet d’un jugement supplétif. Pour l'année scolaire 2018-2019, il y a eu plus d'un million d'enfants qui ont obtenu leur document d’état civil.

Un autre combat important est la parité politique. Nous incitons en ce moment les femmes à être candidates aux élections, par des formations. On vient de faire dans l'Ain une série de sept formations le samedi matin, un énorme succès. On les forme au savoir-être, à se sentir légitimes, crédibles et visibles. Une fois qu'elles se sentent rassurées là-dessus, elles y vont. J'ai été élue à Caluire de 2001 à 2014, et pendant ces deux mandats, j'étais aussi vice-présidente de l'association des conseillères et conseillers municipaux du Rhône en charge des élus. Les femmes élues c'est quelque chose d'important.

Vous avez parlé du voilement des fillettes en France, vous agissez dans ce domaine ?

Nous avons parmi nos administratrices une psychiatre tunisienne qui, quand elle est arrivée en France, a été stupéfaite de voir des fillettes voilées. Ça a été le point de départ. Avec d’autres associations et personnalités nous avons lancé une pétition en expliquant en quoi c'est une maltraitance sur enfant par personne ayant autorité, une maltraitance au sens de l’OMS, au niveau physique et psychique. C'est aussi une discrimination parce qu’elles sont aussi séparées des autres et habituées dès l’enfance à porter le voile. La pétition a recueilli plus de 15000 signatures mais n'a eu aucune réponse à ce jour du Président de la République. Le Président a fait une déclaration sur le séparatisme islamiste. Il n'y a pas mieux que le voile pour être séparé du reste de la société. J'ai fait un communiqué de presse la semaine dernière à ce sujet, donc on poursuit sur cette action.

Quels sont vos moyens d'action et quelle est votre influence, votre impact ?

On a de l'influence aussi bien en France qu'à l'étranger. Nous essayons d'intervenir au plus haut niveau, auprès de ministres, et auprès des parlementaires. Je pense que nous sommes écoutées parce qu’on argumente toujours, et que chacun reste dans son domaine. On envoie à nos réseaux deux fois par semaines des points d’actualité. Nous travaillons en partenariat avec des associations. Nous organisons nos cafés Regards de femmes, moins qu’on le voudrait parce que nous organisons de gros événements internationaux, qui rassemblent plus d’une centaine de personnes, comme cette année à la mairie du septième arrondissement sur les mineurs non accompagnés, et à l'ONU-Genève sur les enfants-fantômes en Afrique.

Sur les 10-15 dernières années, sur quels sujets pensez-vous avoir eu de l'influence ?

Sur la parité politique, sur toutes les lois qui sont passées, dont celle de 2013 qui instaure l'obligation de parité des listes de candidats dans les communes de 1000 habitants et plus. La mise en place de binômes paritaires dans les Départements, c’était une revendication de Regards de Femmes. On avait envoyé une lettre à Chirac et à Jospin qui étaient alors Président et Premier Ministre, pour leur dire qu'on voulait des binômes de députés pour l'Assemblée nationale. À l'étranger il y a des beaux combats qu'on a réussis. Je pense à mon action au Sénégal auprès de la Ministre du genre lorsqu’elle agissait pour l’obtention de la loi sur la parité intégrale dans son pays. J’avais été invitée par le Président Abdoulaye Wade lors de l’installation de l’observatoire de la Parité à Dakar, en 2011. Cette cérémonie au grand théâtre avec des milliers de femmes clamant leur joie est un de mes plus beaux souvenirs d’activiste. On a fait beaucoup sur la prostitution, sur la parité, sur l'articulation des temps, sur le congé parental, en allant au Parlement. Souvent, on travaille avec des parlementaires. Sur ce sujet du congé parental, on avait rencontré les commissions qui étaient en charge de la question au Sénat et à l'Assemblée. On travaille aussi beaucoup avec leurs commissions des droits des femmes. On nous invite parfois à intervenir sur ces questions.

La reconnaissance de l’association en tant qu'ONG change-t-elle quelque chose ?

Oui, c'est extrêmement important, cela fait levier. Quand l'an dernier la commission CEDAW à Genève a voulu travailler sur les recommandations sur l’article 6 concernant le trafic et toutes les formes d’exploitation sexuelle des femmes et des filles dans le contexte de migration, nous en tant qu'ONG, avons fait une déclaration écrite, puis avons été porte-parole d’associations françaises dans une déclaration orale. Nous avons mis l’accent sur l’exploitation sexuelle en vue de prostitution et sur la nouvelle forme d’exploitation due à la maternité de substitution. C’est important aussi vis-à-vis des ministères. Être une ONG complètement indépendante est aussi une force de Regards de Femmes. C'est pour ça qu'on est écouté.

Comment l’association se positionne-t-elle sur des sujets comme la PMA, les lois de bioéthique, la GPA, l’assistance sexuelle pour les personnes handicapées, la réforme des retraites, … ?

Nous sommes pour la PMA pour toutes. Sur les violences sexuelles, nous dénonçons la maternité de substitution, ce qui est désigné par le sigle GPA. Nous ne parlons pas de gestation, qui concerne les animaux et non les femmes. Louer le ventre des femmes pendant neuf mois est une violence sexuelle, quoi qu'en disent certains. Nous faisons partie de la coalition internationale pour l'abolition de la maternité de substitution. Nous sommes contre l’assistance sexuelle pour les personnes en situation de handicap qui pour nous est de la prostitution. Sur la réforme des retraites, nous n’avons pas pris de position générale, mais partagé les avis divergents sur les effets envers les femmes parce que notre ligne, c'est les droits des femmes et leur effectivité. De partout, lorsqu’il y a des actions qui nous paraissent aller à l'encontre du droit des femmes, on s’y oppose. Ça paraît un petit peu caricatural, mais c'est vraiment notre ligne de conduite. A l’inverse, nous sommes favorables à tout ce qui va dans le sens de leur émancipation et de leur autonomisation.

Quels sont vos principaux alliés dans le champ associatif ?

Au niveau national, toutes les associations universalistes et laïques, telles le CNFF, Femmes Solidaires au niveau national, Osez le Féminisme avec qui on fait des choses en fonction des actions, plus avec le national qu'avec le départemental, le Mouvement du nid et l’Amicale du nid, le CIDFF, Elles Aussi avec qui on a beaucoup agi.

Avez-vous le sentiment que les associations LGBT se font mieux entendre que les associations féministes ?

Ça dépend. Récemment, j’ai pris conscience à quel point les courants autour du « self determined gender » sont puissants. À l’ONU Genève, en octobre 2019, avec le soutien d’associations comme le Planning familial, ils nous ont saboté toute la réunion de préparation de l’évaluation Pékin+25 qui aurait dû avoir lieu à l’ONU New York en mars 2020. Ce qui est extrêmement grave, c'est que dès lors que chacun décide s’il est homme ou femme, qu’un jour on peut être femme, et un jour être homme, il n’y a plus besoin alors de parler d’égalité femme-homme. J'ai eu l'occasion d’être en bugne à bugne avec des tenants de cette ligne. Ils ont énormément d'argent. Ils sont très influents dans le monde anglo-saxon. Je pense que c'est le danger à venir. Malheureusement, à Regards de Femmes, c'est un peu notre problème, on est partout, on voit les courants arriver. Les associations de lesbiennes avec lesquelles nous sommes partenaires sont aussi très inquiètes de cette montée. Ces mouvements s'opposent totalement aux associations universalistes, la scission aujourd'hui se fait entre universalistes et différentialistes. De la même façon que j’avais vu le danger de l’islamisme rampant au début des années 2000, je vois ce danger. Les mouvements LGBT se font manipuler comme les associations de droit des femmes se sont faites manipulées, manipulées et infiltrées. Parce que ces mouvements arrivent avec un discours très englobant, très victimaire aussi. Et énormément de moyens financiers.

 

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