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Emmanuelle Santelli : « Le confinement n’a fait qu’exacerber des disparités déjà existantes au sein du couple »

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Portrait d'Emmanuelle Santelli
© Laurence Danière
Sociologue

Interview de Emmanuelle Santelli

Au printemps dernier, la pandémie de Covid-19 bouleversait le quotidien de tous les foyers, y compris les plus solidement arrimés aux modèles dominants.

Vie de famille, vie de couple, carrière, intimité, égalité entre femmes et hommes : après avoir vu notre normalité voler en éclat, il était temps de faire le point avec la sociologue Emmanuelle Santelli.

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Date : 01/09/2020

Vous menez actuellement un projet de recherche : « Sexualités ordinaires, pratiques conjugales, normes médicales, une approche socio-historique ». Pouvez-vous nous le présentez s’il vous plaît ?

Les recherches sur la conjugalité ont souvent ignoré la sexualité

Je travaille actuellement sur différents projets, dont celui-ci en effet, qui a bénéficié du soutien de la Maison des Sciences de l'Homme Lyon Saint-Étienne et du soutien financier du Projet IDEXLYON de l’Université de Lyon, dans le cadre du Programme Investissements d’Avenir.

Depuis les années 1960, la sphère privée est régie par de nouvelles normes auxquelles l’activité sexuelle n’échappe pas. Ce projet a donc pour objectif de s’intéresser à la place que tient la sexualité dans le couple, et à ce qu’elle révèle des relations entre les hommes et les femmes.

En sociologie, jusqu’à une date récente, les recherches sur la conjugalité ont souvent ignoré la sexualité, tandis que la sociologie de la sexualité ne s’est guère intéressée aux couples « durables ». L’une des originalités de ce projet consiste à articuler ces deux sociologies pour tenter de parvenir à comprendre plusieurs choses.

D’une part, l’écart entre une volonté manifeste d’érotisation des relations amoureuses (on vit dans cette période où le couple amoureux doit être aussi désirant) et le vécu des couples dans lesquels finalement, rapidement après leur formation, décline l’intérêt pour « l’exploration sexuelle ». Dans le cadre de couples stables, ce relatif désintérêt semble plus manifeste chez les femmes que parmi les hommes. Le projet s’intéresse à ce rapport différencié à la sexualité, suivant l’hypothèse d’une moindre socialisation des femmes à la composante désirante de la sexualité. Ces dernières ont en effet été socialisées de manière plus contraignante à l’égard de la morale sexuelle, et le corollaire de cette socialisation asymétrique à la sexualité est une moindre disposition à exprimer du désir sexuel et à le ressentir comme légitime. Cette situation questionne les processus sociaux qui placent les femmes dans l’impossibilité de définir par et pour elles-mêmes une sexualité qui leur est propre.

D’autre part, ce projet s’intéresse à la sexualité en tant qu’indicateur des relations entre les femmes et les hommes, afin d’approfondir ce qui a changé en termes de désir, de plaisir et de jouissance sexuelle au cours des dernières décennies. Habituellement centrées sur la différence homme-femme, les analyses ont tendance à masquer les différences à l’intérieur de chaque groupe de sexe : outre le fait de comparer les femmes et les hommes, on apporte également une attention particulière aux différences au sein de chaque groupe.

Peut-être pouvons-nous préciser que, pour la première fois, je suis engagée dans une nouvelle démarche qui consiste avec l’aide, et grâce aux compétences de Jeanne Drouet, ingénieure d’études en méthodologies visuelles au Centre Max Weber, à réaliser un film d’animation scientifique à destination d’un large public. Il nous a en effet paru essentiel de pouvoir diffuser par un autre canal les résultats de cette recherche qui peuvent servir à promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce travail sera produit avec deux réalisatrices, Jeanne Paturle et Cécile Rousset.

J’ai une autre recherche en cours, qui a démarré au moment où débutait le déconfinement. Intitulée « Couples et confinement », cette enquête a pour but de saisir comment cette période a été vécue. Pour l’heure, une vingtaine d’entretiens ont été réalisés, et je vais poursuivre durant les prochains mois. Si la situation inédite du confinement a provoqué de nombreuses questions et soulève des inquiétudes pour la vie économique, elle a également eu des conséquences dans la vie privée.

Comment cette situation a-t-elle été vécue ? Qu’est-ce qu’elle permet de révéler ? À partir de cet événement exceptionnel, je pense pouvoir mettre en évidence des tendances à l’état latent en temps ordinaire, par exemple au sujet de l’engagement des femmes dans la sphère domestique. Ce temps particulier a été un amplificateur des difficultés que nous rencontrons habituellement dans la société : les conditions de logement, les inégalités de scolarité, la précarité économique, les relations familiales et conjugales parfois tendues, voire violentes, etc.

 

Quels sont les profils de couples qui entrent dans votre grille d’analyse ?

J’ai été attentive à recruter ces couples dans différents milieux sociaux

Ils sont composés de jeunes adultes, âgés en moyenne de 28 ans. J’ai été attentive à recruter ces couples dans différents milieux sociaux, car comme pour les autres pratiques sociales, on y observe des écarts importants. Toutefois, il est plus difficile d’obtenir l’accord des individus appartenant aux classes populaires pour réaliser un entretien, et ces derniers demeurent sous-représentés, malgré mes efforts pour les intégrer à mon corpus.

On vous a d’abord connue à travers des études liées de façon plus évidente à des enjeux politiques, tels que l’immigration. Comment est née votre démarche actuelle, qui vise, comme un paradoxe, à monter en généralité ce qu’il y a de plus intime ?

Le processus d’égalisation des conditions de vie est plus lent dans le cadre de la vie intime

Je ne suis pas sûre que mon précédent terrain d’études était plus politique (l’intime est aussi politique), il questionnait les conditions sociales permettant l’intégration des descendants de l’immigration maghrébine dans la société française et, en ce sens-là, il y a un enjeu politique à se demander quelle place la société fait aux descendants d’immigrés. Aujourd’hui, ma démarche vise à questionner l’intime mais, comme vous le soulignez, c’est dans un objectif de monter en généralité : prendre le couple comme un laboratoire des inégalités entre les femmes et les hommes. Et elles demeurent nombreuses.

Certes, le combat féministe a permis au cours du siècle dernier d’améliorer significativement le statut social des femmes. Par contre, le processus d’égalisation des conditions de vie est plus lent dans le cadre de la vie intime. Il est donc important d’étudier le couple, de comprendre ses dynamiques en vue de saisir où se « nichent » les difficultés qui limitent ce processus d’égalisation. Ce dernier pourrait être favorisé par des décisions politiques concernant le monde du travail - une égalité de salaires, mais aussi une disponibilité en fin de journée pour permettre aux hommes comme aux femmes d’aller chercher leurs enfants à la crèche ou l’école, etc. - mais elles demeureront insuffisantes sans remise en question du système de représentations asymétriques associées au féminin et au masculin, et aux rapports sociaux et rapports de pouvoir entre les sexes, ce qu’on appelle le genre.

À l’image de l’évolution des « gender studies », les sciences humaines ne souffrent-elles pas parfois d’un désintérêt pour la « norme », ou plutôt d’une forme de fascination pour le minoritaire ? Ou le « déviant », si on reprenait la terminologie de Howard Becker.

Nous avons encore beaucoup de choses à étudier concernant les couples hétérosexuels et leurs dynamiques conjugales

Les collègues qui s’intéressent à des pratiques plus minoritaires, ou à des groupes minoritaires, vous répondront que les marges permettent d’éclairer la norme, et que nous avons besoin de ces travaux, ce qui me semble en effet essentiel, toutefois, ce n’est pas ma démarche. Nous avons encore beaucoup de choses à étudier concernant les couples hétérosexuels et leurs dynamiques conjugales, afin de comprendre les inégalités qui demeurent. Pour n’en citer que quelques-unes parmi celles dont nous disposons de statistiques nationales : les femmes passent de manière significative plus de temps que les hommes à s’occuper des tâches domestiques et parentales, et l’écart s’accroît au fur et à mesure que le nombre d’enfants augmente. Les temps partiels subis, mais aussi le congé parental, concernent plus souvent les femmes : les familles monoparentales (dans 85% des cas une femme) connaissent un net appauvrissement ; au-delà de 50 ans, les femmes revivent moins souvent en couple que les hommes ; les travailleurs pauvres sont le plus souvent des femmes ; parmi celles qui vivent en couple, les trois quarts d’entre elles ont un niveau de revenus inférieur à celui de leur conjoint, et il persiste un écart de salaire entre les hommes et les femmes de l’ordre de 25%. Lorsque nous regardons les niveaux de rémunération des femmes et des hommes, les premières, lorsqu’elles sont en couple, gagnent en moyenne 42 % de moins que leur conjoint, alors qu’une femme célibataire gagne en moyenne « seulement » 9 % de moins qu’un homme célibataire (Bessière, Gollac, 2020). Cette différence a, dans le cadre de la vie conjugale, de nombreuses répercussions.

La fascination pour le minoritaire est à mettre en lien avec une attention accrue aux questions identitaires, à la reconnaissance des libertés individuelles et à une justice plus soucieuse des droits individuels. Nous avons la chance de vivre dans une démocratie qui a permis leur avènement, et les mouvements militants continuent d’être vigilants. Toutefois la démarche sociologique est autre.

À première vue, à quoi ressemble alors « l’amour au temps du coronavirus », comme avait pu le nommer la presse, en référence à la nouvelle de García Márquez ?

Le confinement n’a fait qu’exacerber et révéler des problèmes, ou des disparités, déjà existantes au sein du couple

L’amour au temps du coronavirus je ne sais pas, mais la situation inédite du confinement a fait que de très nombreux couples se sont retrouvés, pour la première fois, à passer tout leur temps ensemble. Alors qu’au quotidien, chacun·e a ses journées organisées et rythmées par son emploi du temps personnel, son travail, ses loisirs, ses engagements divers, et par la vie familiale qui se déroule pour partie à l’extérieur du foyer (accompagner les enfants à leurs activités, faire des courses, aller rendre visite à la famille, aux amis, partir en week-end…). Au moment du confinement, les couples ont dû, pendant une longue période, vivre et partager un même espace, c’est pourquoi la taille et la configuration du logement ont été un critère si déterminant : un nombre élevé de pièces et l’accès à un espace extérieur ont indubitablement offert de meilleures conditions de vie.

Les couples n’avaient pas (ou très partiellement, le temps des courses, ou de la sortie autorisée d’une heure), la possibilité de s’extraire de ce face-à-face. Il leur a fallu mettre au point de nouvelles modalités de fonctionnement : la répartition des espaces pour s’isoler, travailler au calme, négocier le temps passé sur les écrans, etc.

Ce qui habituellement était compliqué au quotidien, pouvant susciter des tensions, voire des conflits au sein du couple, pouvait être « compensé » par la vie que chacun·e avait à l’extérieur. Cela procurait un équilibre que les personnes n’ont plus eu le temps du confinement.

Il y avait aussi un côté positif : enfin chacun·e avait du temps ! Ils/elles n’avaient plus besoin de « courir » pour accomplir tout ce qui doit être fait dans une journée, pour arriver à tout concilier. Ces couples ont eu la possibilité de « se réapproprier leur vie », de se questionner dessus, sur ce qu’ils aimeraient retrouver après le confinement, mais aussi ce qu’ils aimeraient changer, etc. Pour que cela puisse se vivre ainsi, le couple devait disposer d’une bonne qualité relationnelle, c’est-à-dire savoir dialoguer, être écouté·e, pouvoir se livrer… Cela implique aussi (et surtout) de ne pas avoir d’autres problèmes plus immédiats : comment faire à la fin du mois pour payer ses factures ? Auront-ils toujours un emploi ? Quelle sera l’ampleur de leur perte de revenus ? Et avoir un logement suffisamment confortable pour que chacun·e puisse aussi « se ressourcer », s’isoler, pour lui donner envie de retrouver son partenaire dans la pièce d’à-côté. Quand on partage toute la journée le même canapé, c’est plus dur... Il faut aussi préciser que les femmes semblent s’être plus préoccupées des méfaits du confinement sur leur couple ou, dans une version plus positive, comment parvenir à « enchanter le quotidien » dans ces conditions (se faire des surprises, éviter la routine…). Irène Jonas a montré que la prise en charge du « care conjugal » repose surtout sur les femmes : ces dernières sont les garantes de la bonne santé affective et relationnelle du couple. Une charge mentale supplémentaire, même en temps de confinement !

Cependant, il ne faudrait pas oublier, même si je ne connais pas d’estimations de leurs proportions, que dans de nombreux couples, au moins l’un des conjoints a continué de travailler : les soignants, bien entendu, mais aussi les caissières, les agents d’entretiens, les livreurs, les éboueurs, les policiers…

Le confinement n’a fait qu’exacerber et révéler des problèmes, ou des disparités, déjà existantes au sein du couple. Même pour les individus qui étaient déjà dans cette démarche réflexive et féministe, qui promeut une égalité entre les femmes et les hommes, le confinement a pu être une épreuve…

Après les décennies terribles marquées par la peur du Sida, la « démocratisation » des sites de rencontres avait laissé croire à une nouvelle ère de liberté sexuelle, avec en parallèle d’ailleurs un certain retour du discours féministe, avec lequel on pourrait peut-être faire un lien (cf. AdopteUnMec.com ?). Mais a-t-on depuis changé de contexte, au risque que cette pandémie entraîne une dérive hygiéniste, qui modifierait durablement notre rapport au corps de l’autre ?

Je ne pourrais malheureusement pas en dire grand-chose car nous n’avons pas assez de recul, et je travaille depuis trop peu de temps sur ces questions pour faire des comparaisons pertinentes. Par contre, sans prendre trop de risques, on peut penser que la pandémie va modifier durablement nos modes de vie, nos rapports aux autres - proches et « lointains » - et nos aspirations. J’en ai déjà quelques exemples à partir de l’enquête en cours, « Couples et confinement ». Parmi ceux qui ne vivaient pas dans une maison, ils envisagent d’avoir un pied à terre à la campagne, voire de déménager. Ils se déclarent aussi plus soucieux d’avoir un mode de vie plus écologique, et se disent prêts à être plus attentifs à leurs modes de consommation, dans l’idée de réduire leurs achats.

Millénaire 3 mène depuis plusieurs années un vaste chantier sur l’égalité entre femmes et hommes. Les changements d’équilibre au sein des couples – on pense notamment à la répartition des tâches ménagères, aux questions dites de charges mentales – sont-ils de l’ordre de l’affichage, ou sont-ils structurels, et substantiels ? Peut-on parler d’un « effet cliquet » ?

La période du confinement nous a montré que dès que les femmes sont à la maison [...] elles passent beaucoup plus de temps que leur conjoint à réaliser de nombreuses tâches domestiques et parentales [...] Si les couples ont un fonctionnement globalement plus égalitaire que par le passé, c’est parce que les femmes occupent un emploi et surtout qu’elles l’exercent en dehors de leur logement

Non, on ne peut pas parler d’« effet cliquet ». La période du confinement nous a montré que dès que les femmes sont à la maison – ce qui était le cas de celles qui ne travaillaient pas ou étaient en télétravail – elles passent beaucoup plus de temps que leur conjoint à réaliser de nombreuses tâches domestiques et parentales.

Dans les entretiens que j’ai conduits, cette situation est apparue aussi nettement : ce sont elles qui généralement se sont occupées de faire « l’école à la maison », qui ont pris en charge la préparation des trois repas pour toute la famille, qui passaient plus de temps avec les enfants, y compris quand elles-mêmes étaient en télétravail, certaines devant aussi faire les courses et le ménage…

Cette période n’a donc pas favorisé un partage des tâches plus égal, bien au contraire. En fait, le confinement semble avoir démontré que si les couples ont un fonctionnement globalement plus égalitaire que par le passé, c’est parce que les femmes occupent un emploi et surtout qu’elles l’exercent en dehors de leur logement. Dès que ce n’est plus le cas (par exemple en période de confinement), on revient à l’ancien schéma. Ce qui voudrait dire que nous ne sommes pas parvenu·e·s à un fonctionnement plus égalitaire au sein des couples parce qu’il y aurait une prise de conscience que le travail domestique et parental doit être pris en charge par les deux adultes du foyer, mais parce que ces derniers travaillent tous deux en dehors de l’espace domestique. Dès qu’ils et elles y passent plus de temps, les femmes continuent de consacrer nettement plus de temps et d’énergie aux tâches domestiques et parentales. J’ai d’ailleurs lu dans la presse que le monde scientifique n’était pas épargné ! Il faut, bien entendu, faire des distinctions selon le milieu social et l’âge, par exemple. Il s’agit évidemment d’un sujet complexe.

Avec la relative banalisation des divorces lors des dernières décennies, les hommes d’aujourd’hui ont pour nombre d’entre eux été élevés par des mères isolées, qui ont malgré tout mené de front leurs vies personnelles, sans forcément s’enfermer dans leur rôle de mère (carrière, vie sociale, sexualité…). Ces hommes ont-ils grandi à l’écart, voire dans le rejet de certaines conceptions patriarcales ? Au sein des couples hétérosexuels, la posture « virile » a-t-elle été suffisamment remise en cause pour permettre une plus grande égalité, aux avantages reconnus par chacun ?

La posture « virile » n’a pas que des avantages, elle enferme aussi les hommes dans des rôles !

Oui, vous avez raison, le fait que des hommes aient grandi auprès de mères isolées, qui ont tout mené de front, obligeant leurs fils à partager les tâches domestiques, a contribué à faire émerger chez eux une conscience féministe. Mes entretiens m’en ont donné de nombreux exemples : des jeunes hommes des classes moyennes supérieures intellectuelles font part d’un discours égalitaire et d’une conviction très forte sur la nécessité de partager à parts égales le travail domestique et parental. Il y aurait donc bien un effet socialisateur du divorce de leurs parents auprès de jeunes hommes. Mais, cette conception n’est pas partagée par tous les hommes, et cela reste plus facile d’annoncer ses intentions égalitaires quand ces jeunes couples n’ont pas encore d’enfants, que les enjeux de carrières ne se font pas encore sentir, par exemple parmi ceux qui sont encore étudiants, et que le couple est jeune et très amoureux… Une fois que le couple est dans une certaine forme de routine, que les enfants sont là et accaparent beaucoup de temps et d’énergie, que chacun·e veut aussi penser à sa carrière et à ce qui lui fait plaisir, il est beaucoup plus difficile de maintenir l’égalité.

Il ne faut pas oublier que la famille n’est pas la seule sphère socialisatrice. On vit dans une société qui est certes nettement moins patriarcale que dans le passé et en comparaison d’autres sociétés, mais sa structure patriarcale n’a pas totalement disparu pour autant. Notons d’ailleurs que s’il existe des sociétés matrilinéaires, aucune n’est matriarcale, comme l’a démontré Françoise Héritier. Toute société est donc patriarcale, la différence réside dans la place qu’elles occupent sur un continuum allant du plus au moins patriarcal, ce qui ne veut pas dire non plus qu’une société matriarcale serait souhaitable. Le pouvoir économique est encore largement entre les mains de dirigeants masculins, et malgré une féminisation de la vie politique, le pouvoir politique reste lui aussi très masculin. Ces dernières années ont démontré la virulence des pratiques de prédation sexuelle. L’écart des salaires demeure lui aussi toujours important en faveur des hommes, sans compter leur moindre implication dans l’espace domestique…

Si l’égalité en droit des femmes et des hommes a été obtenue, l’égalité « pratique » entre les femmes et les hommes reste encore à conquérir. Elle implique de se départir des représentations qui enferment chacun·e dans des rôles stéréotypés. Si les parcours de femmes aux caractéristiques dites masculines (volontaires, aventurières, fortes…) ont été invisibilisés, du côté des hommes, on a masqué ce qui était jugé féminin : leurs émotions, leur intériorité, leur désir de prendre soin de leurs enfants, etc. La posture « virile » n’a pas que des avantages, elle enferme aussi les hommes dans des rôles ! Ce qui semble intéressant dans la contestation de la binarité, ce n’est pas tant de dire qu’il n’y a plus d’hommes, ni de femmes, que de refuser d’être assigné à des rôles stéréotypés. C’est cette liberté qui peut amener l’égalité.

 

Biographie d'Emmanuelle Santelli :

 

  • Directrice de recherche au CNRS
  • Membre du Centre Max-Weber (CMW), Université de Lyon
  • A publié notamment :

 

 

APPEL À TÉMOINS :

Dans le cadre de ses travaux, Emmanuelle Santelli recherche actuellement des personnes (qui vivent en couple dans un même logement et âgées de 25 à 40 ans) prêtes à témoigner sur leur expérience du confinement, lors d’un entretien anonyme, bénévole et confidentiel d’une durée d’une heure.

Pour participer : emmanuelle.santelli@msh-lse.fr

Ou pour toute demande d’information supplémentaire : 06 38 37 93 90

 

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