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« Nation Apprenante », de quoi parle-t-on ?

Interview de Marie-Caroline Missir, du réseau Canopé

Portrait de Caroline Missir
© https://www.florence-levillain.com/
Directrice générale du réseau Canopé

Dès les premières heures du confinement, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, lançait l’opération « Nation apprenante », en lien avec les acteurs du paysage audiovisuel français, afin d’assurer la continuité pédagogique de la scolarité des élèves.

L’ensemble du système éducatif était dès lors mobilisé au sein d’une dynamique inédite, qui accordait une place majeure aux nouvelles technologies digitales. Rencontre avec Marie-Caroline Missir, Directrice générale du réseau Canopé, en première ligne dans sa mise en oeuvre.

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Date : 02/04/2020

Au sein de cette opération, quel est le rôle de votre établissement ?

Historiquement, le premier métier du réseau Canopé est l’édition de ressources pédagogiques pour les enseignants, et par ricochet pour les élèves. Nous avons un pôle audiovisuel qui dispose de centaines d’heures de programmes : des documentaires, des animations, ainsi que des films plus anciens que l’on pouvait numériser. Nous nous sommes rapprochés des chaînes, en commençant par France Télévision qui a lancé « La Maison Lumni », une déclinaison télévisuelle de la plateforme Lumni.fr, dont le réseau Canopé est partenaire. Il y a plusieurs tranches horaires selon les âges : une pour les enfants du primaire, une autre pour les élèves du collège par exemple. Nous avons répondu à la commande en livrant pour Maison Lumni 114 programmes pour les 8/12 ans, à travers plusieurs formats, tels que Les fondamentaux, des films d’animation très courts qui illustrent une notion en mathématiques, en grammaire, ou en calcul.

 

Globalement, à quelle échelle de volumes se situe-t-on actuellement ?

Au jour où je vous parle (NDLR : jeudi 2/04), Nation Apprenante, c’est déjà 449 vidéos, 45 heures de programme, et nous continuons de livrer les chaînes, selon les demandes. Le dispositif s’est très vite étendu, notamment à La Chaîne Parlementaire, pour un public plus lycéen avec des documentaires sur l’Histoire, la politique, la géographie. On a livré à LCP 62 programmes, dont 12 documentaires de 52 minutes conçus avec des maisons de production, une websérie et 19 épisodes de la collection L’esprit des Lois. On a également été sollicités par exemple par le réseau de chaînes locales en métropole et en Martinique Réseau Vià, à qui nous avons livré 223 programmes, toujours en alternant les différents formats.

Quelle est votre plus-value dans ce domaine, par rapport à des maisons de productions du secteur privé ?

Pour les diffuseurs, c’est très intéressant de travailler avec nous parce que ces programmes ont une visée éducative pilotée par notre Direction de la Pédagogie. Ils ont déjà cette labellisation que d’autres programmes de sociétés de production X ou Y n’ont pas vocation à avoir immédiatement. Pour les chaînes, c’était un gain de temps puisqu’ils ne demandent pas d’adaptation. En parallèle, il existait déjà le dispositif « Ma classe à la maison », développé par le CNED, qui est un autre opérateur fondamental et avec qui nous avons travaillé étroitement dès le début du confinement. Nous lui avons apporté un appui au niveau de leur hotline, opérationnelle depuis le 24 mars. Nous avons formé sur le territoire 200 référents « Continuité pédagogique » dans le réseau Canopé pour répondre aux questions des enseignants et des familles sur « Ma classe à la maison », et surtout pour les aider à trouver les ressources utiles à leurs cours parmi le foisonnement de ce qui est proposé.

La brutalité du changement d’échelle a-t-elle fragilisé les infrastructures ?

Les outils du CNED ont plutôt bien tenu face à l’afflux, mais effectivement quand vous basculez d’une situation qui peut ne concerner que quelques centaines de milliers d’élèves à 12 millions, vous avez une question d’infrastructure derrière. Au vu de l’importance de cette séquence et de ses enjeux, on peut dire que le système éducatif a très bien réagi et que les infrastructures ont très bien résisté.

Quel type d’accompagnement proposez-vous aux enseignants ?

L’autre vocation du réseau Canopé, c’est justement la médiation, la formation au numérique. Tous les enseignants n’ont pas la même appréhension de ces outils. Il a fallu s’adapter extrêmement rapidement pour fournir aux élèves quasiment du jour au lendemain des cours en ligne. Évidemment, il y avait les outils du CNED sur lesquels s’appuyer, mais là où nous nous intervenons, c’est sous forme de micro-formations, de webinaires, de tutos, de podcasts, pour aider en particulier les professeurs les moins à l’aise avec ces outils et leur permettre d’échanger les bonnes pratiques dans cette période de confinement.

 

Marie-Caroline Missir le 10 mars dernier en visite à la Direction Territoriale Auvergne-Rhône Alpes de Réseau Canopé, quelques jours après sa prise de poste.© RC

La relation entre les enseignants et ces technologies est-elle durablement modifiée selon vous ?

Il est trop tôt pour le dire, et c’est toujours compliqué de parler « des enseignants », alors qu’on parle de plus de 800 000 personnes, avec des profils très divers. Disons qu’il y avait déjà une habitude du numérique dans la préparation des cours : chercher des ressources, partager des documents, etc. Mais l’acte de faire classe reste jusqu’ici très lié au présentiel. Nous sommes en train de changer l’expérience de ce que c’est que faire classe sur le distanciel. On est bien au-delà de l’utilisation d’une ou deux ressources en cours. On essaie de restituer une expérience en ligne, à distance, dans un contexte de très grande ampleur. Le premier outil qui permet de faire ça, c’est la classe virtuelle, et on voit que les pratiques sont obligées de s’adapter à des choses qu’on ne connaissait pas jusque-là. Par exemple, le fait que des classes virtuelles puissent être perturbées par des élèves qui chahutent. Le « chahut numérique », c’est quelque chose dont on n’avait aucune idée il y a seulement quinze jours. Tout cela va entraîner des innovations très fortes et obliger tous les acteurs, publics ou privés, à monter très fortement en gamme pour permettre aux enseignants d’avoir des outils pour vivre de façon optimum l’expérience de cet échange, ce geste professionnel pédagogique en ligne.

Quels premiers constats tirez-vous de la situation actuelle ?

On est en train de vivre quelque chose qui va complètement changer la place du numérique à l’école

Surtout, ce que cela montre, c’est que pour les enfants comme pour les enseignants, on est dans un domaine très difficile à transcrire sur le plan du numérique. On peut enrichir la pratique pédagogique, mais la vivre intégralement, on voit bien que là on touche aux limites de ce que peuvent offrir ces technologies. L’enjeu de cette forme de performance qu’est en train de réaliser le système éducatif, il faut quand même le souligner, c’est d’emmener 12 millions d’élèves sur des outils numériques, quels que soient leurs degrés d’adaptation, qu’ils soient ou non équipés en supports informatiques, et quel que soit leur environnement familial. On est en train de vivre quelque chose qui va complètement changer la place du numérique à l’école.

Préparez-vous déjà à « l’après », et ses retours d’expériences ?

Oui. Canopé comprend une Direction des Usages, avec un site, l’Agence des usages. Cette direction a différents partenariats avec des laboratoires de recherche, avec qui nous avons immédiatement lancé une observation de cette séquence, pour produire des analyses scientifiques rigoureuses de ce qui est en train de se passer.

Avant l’action, comment aviez-vous recensé les besoins ?

C’est vraiment la richesse du réseau : dans chaque département, vous avez des Ateliers Canopé et des Directions territoriales qui ont un lien très fort avec les enseignants et les recteurs. Dès le départ, j’ai demandé à toutes les directions territoriales de se rapprocher des rectorats pour se mettre à leur disposition et répondre aux besoins qu’ils énonçaient sur le plan de la continuité pédagogique. Nous avons cette habitude de travailler étroitement avec le maillage territorial et les enseignants, en proximité. De fait, on a été capables de faire remonter ces informations et de les agréger. Nous observons aussi attentivement les réseaux sociaux et tout ce que les enseignants peuvent y partager, en termes d’usages, de pratiques et de besoin. Nous avons un service qui produit toutes les semaines des observations assez fines et poussées sur les usages des enseignants. Nous avons donc spécifiquement observé les réseaux sociaux pour pouvoir dégager des grandes lignes. C’est pour ça qu’en première semaine on s’est dit qu’il y avait un besoin d’ordonner les ressources, alors qu’en deuxième semaine nous avons vu monter très vite des demandes plus tournées vers de l’accompagnement et du partage de pratiques. Bien évidemment, nous répondons aussi aux besoins tels qu’ils sont formulés par notre tutelle, le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse.

Comment éviter que l’apprentissage à la maison ne soit un amplificateur des inégalités ?

Tout ce que je vous décris de notre participation au dispositif Nation Apprenante contribue à réduire les inégalités d’accès à des contenus éducatifs, en particulier à travers la télévision qui est un média de masse. C’est déjà une réponse à cette problématique. Au niveau de Canopé, très concrètement, nous avons ouvert, à la demande de notre ministre, la plateforme « Cap école inclusive », dédiée à l’accompagnement des élèves plus fragiles ou à besoins éducatifs particuliers, comme celles et ceux en situation de handicap, avec cet objectif de lutte contre les inégalités, qui peuvent effectivement s’accroître dans cette période.

 

Vous avez pris les commandes de Canopé il y a seulement quelques semaines, après avoir notamment dirigé la start-up lyonnaise digiSchool. Dans ce contexte de crise, qu’avez-vous pensé de l’agilité d’une institution aussi établie que Canopé ?

On a été capables de sortir un site en trois jours

Entre la culture « start-up » que je souhaite transmettre et mon expérience de journaliste, je considère que dans des moments de crise, ce qui compte c’est l’exécution. C’est vraiment ce que je retiens de mes expériences passées. Ce qui compte, c’est de prendre des décisions au bon moment, d’être très réactif, et j’ai pu constater à Canopé que même si c’est un établissement qui compte 1400 personnes réparties sur l’ensemble du territoire, on a été capables de sortir un site en trois jours, CanoTech, qui a été conçu comme un outil de curation pédagogique au service des enseignants, dans un premier temps, mais de manière très évolutive. Nous sommes d’ailleurs en train de mettre en place un nouvel espace dédié à tout ce qui est formation, webinaire, accompagnement des professeurs. Ce que je trouve très intéressant à Canopé, c’est que vous avez à la fois de très fortes expertises en pédagogie, et aussi en numérique, puisque nous comptons un grand nombre de développeurs et gérons plusieurs plateformes. Il y a une vraie capacité à faire. C’est comme cela que je souhaite piloter cet établissement, mais cela repose avant tout sur le talent de tous les collaborateurs et leur engagement, surtout dans cette période si difficile que nous vivons.

Quelles évolutions cette période peut-elle entraîner dans les missions assumées jusqu’à présent par votre réseau ?

On est en train de vivre une période qui positionne très clairement Canopé sur un appui absolument indispensable au niveau de la formation des enseignants, sur leurs compétences numériques. C’est une première jambe de notre action, et la seconde est l’accès à des ressources éducatives de qualité, labellisées pédagogiquement. On voit très bien les lignes de force de Canopé : accompagner les enseignants au quotidien, et contribuer à leur développement professionnel, dans le cadre d’actions de formation tout au long de la vie. C’est la nouvelle feuille de route de Canopé. Je pense que ces missions sont essentielles, et qu’elles le seront d’autant plus à l’avenir.

 

Réseau Canopé, c'est :

En temps ordinaires :

  • Un réseau physique constitué de 101 Ateliers Canopé (Un par département dont l’Outre-mer)
  • Un écosystème digital reseau-canope.fr de 350 000 comptes usagers et 11M de pages vues en 2019
  • 4M d’élèves concernés par la Semaine de la Presse et des Médias organisée par le Clémi (Centre pour l’éducation aux médias et à l’information), service de Réseau Canopé

En temps de crise sanitaire :

  • Plus de 450 000 visites/j sur le site des Fondamentaux contre 10 à 15 000 avant la crise sanitaire.
  • 800 vidéos et 60h de programmes livrées par le pôle audiovisuel dans le cadre de l’opération « Nation apprenante »

 

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