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Le design génératif : un nouveau modèle pour l'industrie.

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Portrait de Sylvain Legrand
Directeur territorial des ventes, Autodesk

Interview de Sylvain Legrand

<< Dans un avenir plus ou moins proche, on peut donc avoir des ateliers de production encore plus flexibles, ayant la capacité de produire le produit unique pour la personne ou le marché qui le demande >>.

Autodesk est une société américaine qui édite des logiciels de création et de contenu numérique, notamment spécialistes des techniques de fabrication additive, combinées ou non au design génératif (à des solutions d’Intelligence Artificielle).

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Date : 31/08/2017

En quoi consiste le design génératif ?

Avec le design génératif, on ne va pas passer par cette phase de dessin mais donner à l’ordinateur des contraintes et des objectifs

Par rapport aux méthodes classiques de conception, le design génératif consiste à donner des critères à une solution, à un ordinateur, pour aider le concepteur à réaliser un objet ou une fonction. Traditionnellement, on passe par une phase de design quand on veut créer un objet. On va le dessiner soit dans sa forme actuelle, soit dans la forme qu’on souhaite lui donner, puis on va faire tout un travail d’adaptation du concept à l’outil industriel. Avec le design génératif, on ne va pas passer par cette phase de dessin mais donner à l’ordinateur des contraintes et des objectifs, qui peuvent être de type volumique : « propose-moi une forme dans cet espace donné ». Ensuite, il peut y avoir des contraintes de poids et de matière, pourquoi pas de prix, ou bien des contraintes mécaniques. À partir là, la solution va analyser et combiner l’ensemble de ces critères pour aboutir à des milliers voire des millions d’options possibles, basées sur l’ensemble des objectifs et contraintes. Elle arrivera finalement à un sous-ensemble d’options qui semblent les plus proches de ce que le concepteur aura demandé. Puis le travail du concepteur sera justement d’analyser ces options et de sélectionner celles qu’il lui semble le plus intéressant d’industrialiser. L’approche est complètement différente.

En quoi, précisément ?

La source du design génératif est le bio-mimétisme.

On prend souvent l’exemple de la chaise conçue grâce au design génératif, parce qu’il est assez simple. Dans le domaine des drones, un certain nombre de travaux ont été effectués avec le design génératif. Il est très compliqué de demander à un ingénieur de réduire le poids ou le volume d’une pièce de 30 % tout en respectant, par ailleurs, un certain nombre de critères déjà évoqués, pour atteindre une forme qui respecte tous les critères. Or, le design génératif permet d’atteindre tous ces objectifs. Il prend notamment en considération les spécificités des matériaux et va proposer un design qui correspond aux propriétés mécaniques du matériau. Vous pouvez avoir un châssis de voiture, par exemple, dont la forme sera différente selon le matériau utilisé. Le design génératif ne génère donc pas strictement ou seulement une forme. En combinant certains critères, quel que soit leur nombre, la forme du produit va être orientée. S’agissant du design d’une chaise, la solution va proposer 100 ou 150 designs, tous les designs correspondant à vos objectifs de départ. Mais tous ne seront pas effectivement industrialisables, pour tout un tas de raisons liées soit à votre sensibilité, soit à votre outil de production, soit au marché ou à un tout un tas d’autres choses. La source du design génératif est le bio-mimétisme. Cela consiste à étudier la manière dont la nature accepte ou rejette une forme. On utilise deux algorithmes qui correspondent aux deux schémas de croissance que l’on trouve dans l’univers du vivant – celui du développement cellulaire et celui du développement osseux des mammifères. Pour une paroi destinée à un avion Airbus, la structure extérieure a été conçue sur la base du développement cellulaire, la faculté des organismes micro-cellulaires à s’accrocher simultanément en différents points ayant été mise en équation et utilisée pour ladite structure. Et pour l’intérieur, le développement s’est basé sur un quadrillage que l’on retrouve dans le développement des squelettes de mammifères, en intégrant le fait qu’on va mettre plus de matière aux points de tension. La paroi est un ensemble d’enchevêtrements avec des points de tension à certains endroits où il va falloir rajouter de la matière. Toutes ces contraintes sont déjà prises en charges, calculées par les algorithmes de conception. Ce qui n’empêche pas de passer ensuite par une phase de simulation pour bien valider que le design généré réponde à l’objectif initial. Les deux schémas de croissance ou de développement tout juste évoqués sont utilisés en d’autres domaines pour d’autres types de conception.

Quel est son lien avec la fabrication additive ?

on entend souvent par celle-ci l’impression 3D alors que la fabrication additive ne s’y réduit pas

On fait souvent le lien entre les deux sujets parce que si on est capable de donner vie à une forme très complexe, il n’y a aujourd’hui que la fabrication additive pour réaliser la pièce. Or, aujourd’hui, le design génératif est utilisable par les industriels sans avoir forcément recours à de la fabrication additive. La combinaison des deux va permettre à chacun d’avancer de façon très importante. Mais un industriel qui, aujourd’hui, veut revoir le design d’une pièce a tout intérêt à s’appuyer sur le design génératif, soit au travers de l’optimisation technique soit en ayant recours à des étapes de design génératif dès le début de la conception. Si la pièce que vous obtenez de la solution est très complexe à fabriquer, vous pouvez peut-être réduire ou revoir vos critères et vos objectifs de conception pour que la solution vous donne des formes plus proches de vos contraintes industrielles. Prenons l’exemple de Hack rod, ce fabricant de véhicules indépendants, de petites séries de véhicules particuliers, qui a utilisé le design génératif et a pu ainsi alléger de 25 % le poids du châssis. Or, la réalisation a impliqué un procédé de soudage, donc un procédé traditionnel. Le design génératif a un intérêt pour le monde industriel, que l’on aille ou non vers la fabrication additive. De même qu’aujourd’hui, la fabrication additive a déjà un intérêt pour certains industriels sans nécessité de recourir au design génératif. La combinaison des deux permet cependant d’ouvrir des perspectives beaucoup plus importantes, notamment dans le secteur aéronautique et dans le secteur médical. On va alors vers des formes complexes que l’on peut réaliser en petites séries, parce que l’un permet d’avoir des designs non conventionnels – le design génératif – et l’autre permet de réaliser ces concepts – la fabrication additive. D’ailleurs, on entend souvent par celle-ci l’impression 3D alors que la fabrication additive ne s’y réduit pas. L’impression 3D consiste à fabriquer une pièce dans un matériau X ou Y. Or, la fabrication additive, c’est aussi la technologie de soudage par robot. Considérez une hélice ou une turbine d’avion ou de bateau. Imaginez qu’un objet a cassé un ou deux pales de celle-ci. Ce sont des objets de très haute précision, comparables à la fabrication horlogère, en termes mécaniques. Aujourd’hui, avec la fabrication additive, il est possible de fabriquer, sur la turbine en question, uniquement le pale ou les deux pales dont on a besoin, puis de faire de l’usinage pour traiter la surface nécessaire. […] Il n’y a pas de lien, ici, avec le design génératif dans la mesure où l’on reconstruit la pièce à partir de sa forme d’origine. Mais avec ces nouvelles formes de fabrication additive, par exemple celle qui recourt à un robot de soudage, on a pu concevoir un pont à Amsterdam. Son design a été réalisé en génératif puis il a été fabriqué, sans intervention humaine, avec des technologies de soudage par robot. Voilà donc un exemple de lien entre le design génératif et d’autres technologies de fabrication additive qui ne sont pas de l’impression 3D.

 

De quelle manière le design génératif peut-il transformer le système productif ?

la fabrication additive apporte une réelle plus-value pour la fabrication de pièces sans recourir à des méthodes de fabrication susceptibles d’être trop lourdes

Le design génératif peut transformer le système productif de différentes façons : d’une part, parce qu’on aboutit à des formes qu’aucun ingénieur ne pourrait imaginer de lui-même – c’est une première forme de rupture puisque les formes imaginées sont non conventionnelles – et, d’autre part, le concepteur va adapter la situation en fonction de l’outil industriel à sa disposition. Soit il veut continuer d’aller vers un outil industriel classique, vers des moyens de fabrication classique tels que l’usinage ou le moulage ou encore d’autres types de technologie traditionnelle, et il peut alors choisir de se limiter dans son design par rapport à ce qui est aujourd’hui possible et disponible. Soit il choisit d’aller vers des outils de fabrication qui n’ont quasiment aucune limite, tels que la fabrication additive. Les seules limites actuelles de la fabrication additive sont : 1) la taille des pièces : dans certains cas, les machines ne sont pas assez volumineuses pour fabriquer les pièces en question ; 2) la contrainte de matériau : il n’y a aujourd’hui que quelques dizaines de matériaux disponibles quand, dans le domaine industriel au sens large, on a plusieurs milliers de matériaux à sa disposition ; 3) le coût de fabrication : fabriquer aujourd’hui des pièces en 3D, selon le matériau utilisé, peut s’avérer relativement coûteux. Il s’agit d’établir la balance entre le côté très novateur, disruptif, du concept que la solution de design génératif vous a proposée et les moyens de production que vous avez à votre disposition. […] Si l’on va vers une approche intégrant complètement la fabrication additive, on peut aller plus loin, mais il faut alors des machines plus volumineuses dans certains domaines ou des matériaux plus adaptés à la réalisation de la pièce. […] Aujourd’hui, la fabrication additive apporte une réelle plus-value pour la fabrication de pièces sans recourir à des méthodes de fabrication susceptibles d’être trop lourdes. Là où vous avez besoin d’un moule pour fabriquer une pièce, il faut concevoir ce moule, l’usiner et le mettre en service au travers de machines, ce qui s’avère coûteux au démarrage mais qui, lorsque vous avez des centaines de milliers de pièces à produire, permet de réaliser des économies d’échelle sur la fabrication de la pièce en tant que telle. Mais si vous avez des petits volumes de pièces ou des pièces très spécifiques à réaliser, les méthodes traditionnelles peuvent s’avérer coûteuses et longues en termes de mise en service. Avec la fabrication additive, vous allez donc vers des approches beaucoup plus rapides et beaucoup plus flexibles. Et si l’on combine design génératif et fabrication additive, alors s’étend encore plus la capacité des entreprises à concevoir des produits totalement novateurs et à leur donner vie.

Quels sont les départements et métiers de l’entreprise industrielle les plus immédiatement transformés par l’essor du design génératif ?

Aujourd’hui, les gens les plus ouverts à nos technologies sont les designers car ils sont créatifs, doivent réfléchir à de nouvelles approches, à de nouveaux produits

Aujourd’hui, à l’instant T, les services Méthodes et les départements qui sont en relation avec la fabrication. Prenons l’exemple d’une société qui travaille dans le domaine médical. Ils ont 3 ou 4 imprimantes 3D pour faire des prothèses. Il y a, du reste, un certain nombre d’industriels dont les départements, je songe à leurs services Méthodes et services de fabrication, qui sont directement en prise avec cette nouvelle manière de produire. Et nous, avec la partie conception, nous remontons en amont dans le cycle de design, de conception de la pièce. En termes de jargon, on parle de design pour parler de conception mais si vous êtes dans l’automobile ou dans l’aéronautique, les gens qui font du design sont des gens qui font de la forme. La forme, c’est le domaine des créateurs, de celui qui va dessiner et créer une nouvelle forme comme une nouvelle automobile, un nouveau fuselage, une pièce esthétique. On les appelle les designers. Et ceux qui font du design, dans le jargon de la 3D, ce sont ceux qui sont en amont, au tout début du cycle. Les bureaux d’étude, eux, vont prendre le concept et commencer à l’industrialiser au cours de cette étape de conception qui va consister à faire le lien entre le produit que l’on imagine et sa fabricabilité, c’est-à-dire la façon dont on va pouvoir le fabriquer, le réaliser d’un point de vue économique, etc. Or, nous remontons jusqu’aux premières étapes du design, en fournissant aux designers des solutions permettant de rompre avec leur environnement actuel, avec les connaissances établies. Aujourd’hui, les gens les plus ouverts à nos technologies sont les designers car ils sont créatifs, doivent réfléchir à de nouvelles approches, à de nouveaux produits, et ils voient bien l’intérêt de donner libre cours à de nouvelles voies. Les bureaux d’étude sont un peu plus réfractaires. Ils considèrent la chose sous l’angle de la dépossession de leurs attributions, de leurs compétences, plutôt que sous l’angle de la collaboration. Néanmoins, nos solutions permettent de récupérer un modèle de conception pour passer ensuite à la phase de fabrication additive. 

Comment ?

Nous avons une solution, un outil qui s’appelle Netfabb, centrée sur le passage du monde de la conception vers la fabrication additive. Dans notre solution de conception 3D Inventor, nous avons des fonctionnalités d’optimisation topologique, ce qui a un lien avec le design génératif sauf que vous partez d’un concept existant. Par exemple, j’ai une pièce rectangulaire qui sert de soutien à d’autres éléments dans mon assemblage et je veux optimiser le poids de cette pièce ; cela va être long et laborieux pour un ingénieur de savoir comment évider la pièce et/ou modifier sa forme pour en diminuer le poids, alors on utilise quelques fonctionnalités de design génératif pour permettre aux dessinateurs, aux techniciens, d’alléger la pièce de tant de grammes ou de kilos, ce qui permet d’économiser du matériau et le prix de revient de la machine. Au niveau du bureau d’étude, c’est ce qu’on appelle l’optimisation technique et cela peut être fait aujourd’hui avec nos solutions. Cela peut conduire à la réorganisation des fonctions du bureau d’étude ou en tout cas des étapes au travers desquelles on aboutit à un nouveau design. Cela peut, à terme, réorganiser les tâches au sein du bureau d’étude même si le design génératif, en soi, n’évite pas de passer par les autres étapes de la conception : la simulation mécanique, par exemple, qui est l’étape au travers de laquelle on va valider que la forme, le concept obtenu, est bien en adéquation avec les contraintes de fabrication, soit de résistance, soit des critères comportementaux assignés au nouveau produit ou à la nouvelle pièce. 

Vous avez certainement été amené à observer quels secteurs de l’industrie en sont aujourd’hui les plus friands…

Là où l’on a besoin de faire des produits unitaires ou à très forte valeur ajoutée, le design génératif combiné à la fabrication additive a un véritable intérêt

Il y a un vrai bouillonnement. On voit que les fabricants d’imprimantes 3D s’encastrent, en nombre, dans les marchés de l’après-vente. On peut prendre une pièce et la fabriquer pour la remplacer dans n’importe quel système électrique, de plomberie, etc. Ce qui manque aujourd’hui, d’un point de vue « grand public », c’est que les coûts de fabrication de l’impression 3D soient suffisamment attractifs pour que le produit proposé soit accepté par le marché, par le client. On comprend aisément que, même si vous remplacez la pièce d’un appareil électroménager et que cela vous coûte plus cher que l’appareil en question, vous allez éviter de dépenser plus que pour obtenir le même produit neuf, sauf si cet appareil a une très grande valeur et que vous souhaitez le faire fonctionner à nouveau. Mais si, enfin, la pièce à remplacer est proposée à un prix raisonnable, cela peut amener le consommateur à dépenser peut-être un peu plus que s’il achetait une pièce normale dans le commerce, à ceci près que cela lui permet de prolonger la vie de son appareil de 6 mois, 1 an, 2 ans. Le prix de production des pièces dans la fabrication additive est donc un facteur-clé, au-delà du fait que de nouveaux matériaux arrivent sans cesse dans ce domaine. Là où l’on a besoin de faire des produits unitaires ou à très forte valeur ajoutée, le design génératif combiné à la fabrication additive a un véritable intérêt et l’on voit que cela commence doucement à prendre de l’ampleur dans le monde industriel. L’industrie médicale est à la pointe actuellement. Elle a besoin de fabriquer des pièces unitaires, telles qu’une prothèse interne ou externe, dans des matériaux résistants et très légers. L’aéronautique également. Ce secteur recourt à la fabrication additive depuis plus longtemps. Les travaux réalisés avec Airbus en vue d’alléger le poids des aéronefs suscitent un grand intérêt. Plus vous économisez le poids des avions, plus vous pouvez soit intégrer plus de confort et d’équipements pour les passagers, soit réduire les consommations de carburant sans remettre en question la sécurité des passagers ni l’efficacité de l’aéronef. Des pièces de petites séries caractérisent souvent le secteur aéronautique et la fabrication additive est alors plus efficace. Le reste du monde industriel n’a pas les mêmes contraintes. Dans le secteur automobile, il y a déjà eu beaucoup de réflexions sur l’allègement des véhicules. On est passé, il y a quelques années, à de nouveaux matériaux pour les châssis. Depuis 20-30 ans, on a normalement réduit la consommation des moteurs. Sauf que si vous regardez les 15-20 dernières années, les moteurs consomment quasiment la même quantité de carburant. C’est que, désormais, dans les voitures, vous avez beaucoup plus d’équipements qu’il y a 20 ans. […]L’automobile commence à venir à la fabrication additive mais sa problématique est vraiment celle de la fabrication de pièces en grande série, là où la fabrication additive n’est pas adaptée. [...] Ici, il vaut mieux envisager le design génératif indépendamment de la fabrication additive dans un premier temps, notamment pour alléger le châssis d’un véhicule, en passant par des techniques de fabrication traditionnelles. 

En vous écoutant, on pense à cette phrase d’Elon Musk à propos de la Gigafactory de Tesla où « les machines fabriqueront les machines ». Peut-on envisager déjà ou pour bientôt une solution de design génératif qui prenne tout en charge, sans intervention humaine ?

[…] Comme on est aujourd’hui capable de relier un design physique, une pièce existante, à des réseaux de neurones ou à d’autres solutions permettant de réaliser des calculs, on peut remonter les résultats d’utilisation de la pièce en situation pour que la solution ait de nouveaux critères exploitables en vue d’optimiser la pièce. On est donc déjà dans un système où la solution conçoit d’elle-même, ou presque, le produit ou le fait évoluer elle-même. Une telle tâche est très compliquée pour un ingénieur alors que des dizaines de capteurs sur un véhicule remontent directement des informations à la solution qui dit : « là, en tenant compte de la contrainte du châssis à tel endroit, je vais modifier ce critère à un autre endroit mais sans altérer l’ensemble de ma conception ». Seules les solutions d’Intelligence Artificielle peuvent y parvenir.

La combinaison du design génératif et de la fabrication additive peut-elle conduire à une production plus durable, plus ciblée et plus pondérée ou à une inflation de produits manufacturés ?

cela veut dire qu’on aura peut-être chacun, à l’avenir, la paire de chaussures unique qui correspondra à notre morphologie

Ce qui est sûr aujourd’hui, c’est que la demande est de plus en plus exigeante, avec la nécessité d’offrir des produits de plus en plus personnalisés en particulier. Prenons l’exemple de Under Armour[1], qui a conduit avec nous des travaux sur la conception de semelles fabriquées en design génératif associée à l’impression 3D. Lorsque vous voyez le design de la semelle, celui-ci est impossible à réaliser au travers de technologies d’injection plastique et de moulage comme celles qu’on utilise pour les semelles habituelles. Là, il n’y a que la fabrication additive qui puisse réaliser ce type de semelle. Or, nous allons vers des produits de plus en plus personnalisés réalisés grâce aux mêmes procédés. Cela ne veut pas forcément dire beaucoup plus de produits demain sur le marché ; cela veut dire qu’on aura peut-être chacun, à l’avenir, la paire de chaussures unique qui correspondra à notre morphologie comme cela veut dire qu’on aura peut-être plus d’équipements spécifiques pour répondre à des besoins particuliers. Il pourrait donc y avoir, en effet, plus de produits spécifiques mais, a contrario, ces produits pourraient être encore plus polyvalents. On pourra avoir une chaussure couvrant encore plus de contraintes, dont on fera des usages encore plus larges. Si demain vous avez besoin d’un nouveau lampadaire, – prenons l’exemple de Leroy-Merlin ou d’une société qui fabrique des produits pour la maison –, vous n’allez pas mettre plus de lampadaires au mur que vous n’avez de prises ou de besoins d’éclairage chez vous. Par contre, avoir un éclairage unique au monde parce qu’il a été fabriqué suivant votre goût, cela a un intérêt. Je ne suis pas sûr que cela amène plus de produits sur le marché. 

S’il ne s’agit plus d’acquérir le lampadaire de telle série, chez Ikea par exemple, mais d’avoir son lampadaire, son objet façonné selon sa personnalité, son goût personnel, alors on peut supposer que la production de masse soit remise en cause dans certains secteurs.

Dans un avenir plus ou moins proche, on peut donc avoir des ateliers de production encore plus flexibles, ayant la capacité de produire le produit unique pour la personne ou le marché qui le demande

Oui, parce que si l’on prend l’exemple d’Ikea, le fait qu’ils aient des prix aussi attractifs leur a permis d’optimiser leur approche de standardisation de manière assez extraordinaire. On a le même nom de produit dans tous les pays et on retrouve les mêmes meubles un peu partout. Or, au lieu de cette standardisation extrême, on peut avoir, demain, des unités de production beaucoup plus réduites, parce qu’on fabriquera des produits unitaires. Alors peut-être qu’on fabriquera en plus grande quantité parce que les gens auront accès au produit qui leur va bien alors qu’aujourd’hui ils ne le trouvent pas encore sur le marché. Cela contredit un peu ce que j’ai dit tout à l’heure. Disons que dans certaines situations, on pourrait voir une augmentation de la production de produits correspondant à un besoin particulier, avec des unités de production qui seront certainement amenées à changer puisque la production de masse sera moins adaptée. Là où l’on a déjà commencé à optimiser les cycles de production avec des productions « juste à temps », par exemple dans l’industrie automobile, dans les unités de production de PSA, Mercedes ou ailleurs dont la cadence est de 10 ou 20 véhicules de telle référence, les sous-traitants sont capables de lancer sous 24-48 heures la production de 10 sièges pour tel modèle, 10 sièges pour tel autre, sans stock. On produit très exactement les sièges qui vont correspondre aux véhicules qui sont sur la chaîne de production. Dans un avenir plus ou moins proche, on peut donc avoir des ateliers de production encore plus flexibles, ayant la capacité de produire le produit unique pour la personne ou le marché qui le demande. Une production plus durable, on peut l’imaginer en effet, car si l’on met en œuvre moins de matière et moins d’énergie pour fabriquer la pièce, donc in fine moins d’énergie également pour la recycler, on est dans un contexte de développement durable plus abouti. On produit mieux en limitant l’énergie et la matière nécessaires à la fabrication. Au niveau de l’utilisation, le recyclage est lui aussi amélioré. Et puis la quantité d’énergie nécessaire à cet usage est également limitée. Si l’on prend l’exemple de l’avion, Airbus annonce des économies de kérosène assez importantes après avoir mis en œuvre le design génératif, […] ce qui signifie moins de rejet de CO2 dans l’atmosphère. On ne peut pas obtenir, pour autant, une industrie sans déchet. Les matériaux utilisés pour la fabrication additive, pas forcément le plastique mais par exemple les matériaux métalliques qui sont souvent en poudre pour être ensuite fusionnés lors de la phase de fabrication de la pièce, génèrent tout de même un surplus de poudre qui ne peut pas être remis dans la machine afin de relancer un cycle de production. Il y a des contraintes, d’hygrométrie par exemple, liées aux propriétés physiques, pour atteindre l’objectif de fabrication. […] Ceci dit, si l’on compare avec la fabrication soustractive ou à de l’usinage traditionnel lorsque vous partez d’un « brut », d’un bloc de matière, qui est usiné à 80 % afin d’obtenir la pièce voulue, on a certainement une consommation de matière et d’énergie beaucoup plus importante que si vous recourez d’emblée à la fabrication additive. Même si l’on a aujourd’hui des procédés de fabrication additive qui nécessitent un peu d’usinage, autrement dit même si vous avez des traitements de surface, dans la fabrication additive, qui ne permettent pas d’obtenir des surfaces aussi lisses, d’une qualité aussi élevée, que celles obtenues par l’usinage. Même si vous concevez votre pièce en une fois et assez rapidement, sans les contraintes déjà évoquées, il faut passer par une étape d’usinage pour réaliser le traitement de la surface nécessaire. Il y a toutefois un vrai bouillonnement dans ce domaine. Assurément, on va vers quelque chose de plus durable, de plus économique et de plus écologique.

Quel rapport voyez-vous entre le design génératif associé à la fabrication additive et le phénomène des fab labs ?

Le Techshop de Leroy-Merlin a déjà une certaine notoriété auprès du grand public mais, sur la place parisienne, il y a aussi Usine IO, Station F, le concept de Xavier Niel récemment inauguré, qui sont des espaces de « makers ». Il s’agit d’une mouvance nouvelle qui ne consiste pas simplement à partager une machine et des compétences mais à offrir un laboratoire d’access aux nouvelles technologies pour travailler sur des concepts novateurs là où les industriels n’ont pas encore franchi le pas pour les intégrer à leur cycle de fabrication. Ce sont des incubateurs.

Reste-t-il à imaginer les synergies de demain entre l’industrie et ces incubateurs, fab labs, lieux d’innovation, espaces « makers » ? Peuvent-ils joindre leurs forces ?

[…] On peut alors voir évoluer le rôle du bureau d’étude et l’envisager, non plus comme le lieu unique de la création, mais comme un incubateur ou un lieu de centralisation de la réflexion autour de l’évolution des produits

Nous parlions des bureaux d’étude un peu plus tôt. Je pense qu’on va voir à très court terme leur rôle évoluer aussi au travers de ce phénomène des fab labs. Si historiquement et aujourd’hui encore le bureau d’étude est vraiment la tête pensante de l’entreprise, ce n’est pas parce que vous n’êtes pas au bureau d’étude que vous n’êtes pas un inventeur, un créateur, un « maker » pour employer la terminologie actuelle. On voit aujourd’hui déjà des personnes dans l’entreprise avoir des idées et aller à la rencontre de ces lieux qui proposent des nouvelles technologies, que ces personnes peuvent utiliser à titre individuel et qu’elles peuvent ensuite rapporter dans le monde professionnel. […] Là où vous êtes incapable de concevoir certains produits selon certaines contraintes parce que vous n’avez pas les connaissances ni les outils de base pour le faire, il devient possible, sans recourir à des moyens très importants, d’accéder à des solutions, d’être éventuellement guidé par quelqu’un qui va vous permettre de créer un objet, par exemple une paire de rollerblades conçue en design génératif. […] On peut alors voir évoluer le rôle du bureau d’étude et l’envisager, non plus comme le lieu unique de la création, mais comme un incubateur ou un lieu de centralisation de la réflexion autour de l’évolution des produits. Si l’on fait un parallèle avec l’évolution observée s’agissant de la donnée 3D, notamment de toute la technologie de Réalité Virtuelle, on voit que cela intéresse le service marketing, le service commercial, le S.A.V., de pouvoir manipuler des modèles soit dans des lunettes de réalité virtuelle, soit sur un PC, une tablette, alors que les images ou les modèles  étaient auparavant beaucoup trop gros pour être manipulés par tout le monde et étaient par conséquent réservés aux gens du bureau d’étude. […] Du fait d’ouvrir à d’autres équipes l’accès aux données et de partager la connaissance avec d’autres personnes, viennent des discussions et des idées émanant d’autres services. Les technologies et la créativité ne sont plus réservées à un sous-ensemble de personnes dans l’entreprise. On passe désormais d’un concept à un produit réel en des temps très resserrés et l’on a donc aujourd’hui des sociétés qui nous demandent déjà si nous sommes capables, avec nos solutions, de passer très rapidement d’un modèle 3D à un produit réel en quelques heures. Si l’on adopte les techniques de fabrication traditionnelles, la réponse est oui. Et si l’on adopte le design génératif associé à la fabrication additive, la réponse est encore oui. Cela signifie qu’on va voir à très court terme des fonctionnalités dans l’entreprise qui vont s’intégrer, notamment le bureau d’étude avec la fabrication qui sont aujourd’hui souvent deux pôles séparés.