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Naïm Naili, co-président du conseil de quartier du Grand Mas à Vaulx-en-Velin : « Ici, on a beaucoup de gens engagés, mais très peu qui votent »

Interview de Naïm Naili

Portrait de Naïm Naili
co-président du conseil de quartier du Grand Mas à Vaulx-en-Velin

Les jeunes s’intéressent-ils encore à la politique ?

Les milieux populaires ont-ils tirés un trait sur l’engagement militant ?

Quand on grandit dans une cité, qu’est-ce qui peut nous motiver à nous y investir, plutôt que de juste essayer d’en partir ?

Naïm Naili a 26 ans et habite Vaux-en-Velin. Citoyen engagé, il est co-président du conseil de quartier du Grand Mas, ainsi que président et fondateur de l’association A Vaulx AmbitionS (AVAS) depuis 2018.

Après avoir été manager en restauration, il se consacre aujourd’hui à plein temps au développement des activités de son association.

Dans cet entretien, il revient sur les racines de son engagement, les projets qu’il a menés, et partage son expérience des relations entre « jeunes de banlieue » et institutions.

Réalisée par :

Date : 27/03/2023

Vous avez différentes activités, alors pour commencer, comment vous présenter ?

Je suis conscient des problématiques et du retard que la jeunesse des banlieues a accumulé

Je suis un jeune Vaudais, je viens de Vaux-en-Velin et j’y habite encore, c’est important pour moi. Je suis engagé pour mon quartier, pour ma ville et mes voisins en fait ! Parce que je suis conscient des problématiques et du retard que la jeunesse des banlieues a accumulé avec le temps.

Vous avez créé l’association « AVAS ». Quand et pourquoi en avez-vous eu l’idée ?

Il fallait juste leur montrer un autre environnement de vie pour que ces jeunes-là se rendent compte qu’ils avaient la possibilité de faire des études de droit par exemple

L’association c’est A Vaulx AmbitionS, avec un « s » ! Je suis animateur depuis un petit moment, mais je suis dans le monde associatif depuis plus longtemps encore : j’ai pu bénéficier de toutes les aides associatives, les centres sociaux, les centres de loisirs de ma commune dans ma jeunesse. Je suis dans ce milieu-là depuis un moment.

Nous avons fondé l’association en 2018 avec des jeunes de mon quartier. Ils m’ont dit « Naïm, on en a marre de rester dehors, on a l’impression de déranger : on veut un endroit pour se poser ». Je venais de finir le travail, on s’est réuni au centre social, on s’est posé sur l’ordinateur et on a créé l’association le soir-même.

Au début, ils voulaient juste un endroit pour squatter, j’ai dit que ça ne fonctionnait pas comme ça : il fallait du fond, un projet, qu’on trouve un nom… On a décidé d’en faire une association, avec un local jeunesse. J’ai dit que j’étais prêt à faire tout ça s’ils s’engageaient à être disponibles pour les autres jeunes du quartier. Ça a marché ! Les grands emmenaient des plus petits en sorties, ils faisaient des permanences à l’association dans notre local avec la PlayStation, le baby-foot, le billard, ils s’occupaient de l’accueil des jeunes qu’on appelle sociologiquement des « invisibles ». L’objectif, c’était d’accueillir ces jeunes et de les mobiliser sur des évènements.

On faisait des activités de loisirs « de consommation », pas mal de sorties et puis on s’est rendu compte qu’il manquait quelque chose. C’est pour ça qu’on a décidé de monter des projets où on impliquait les jeunes intellectuellement, on les mettait au centre de l’organisation. Par exemple, si on devait partir à Londres, ce sont eux qui devaient faire les réservations, les dépenses, qui allaient chercher de l’argent et qui organisaient tout… Je me suis rendu compte que, par cette organisation, les jeunes gagnaient en compétences et que ça les faisait grandir. Même des jeunes qui n’avaient aucune ambition, qui ne connaissaient pas le milieu du journalisme, des études, etc.

Ils ont commencé à s’ouvrir et à changer leurs perspectives d’avenir : en fait, il fallait juste leur montrer un autre environnement de vie pour que ces jeunes-là se rendent compte qu’ils avaient la possibilité de faire des études de droit par exemple… Juste vivre leurs rêves !

 

Quand vous parlez plus haut d’activités « de consommation », c’était des sorties qui ne nécessitent pas un engagement particulier de la part des jeunes ?

Oui, on faisait du karting, et autres sorties ludiques. Après, attention, c’est très important, on permet à des jeunes qui ne font pas forcément ce genre d’activités avec leurs familles de le faire, et c’est toujours bien pour la culture personnelle d’avoir déjà fait un escape game dans sa vie, d’avoir fait du paintball, ça permet d’avoir de la discussion quand on parle avec des gens. Malgré tout, il ne faut pas faire que ça. Donc on proposait ça, et on le propose encore, et ça nous permet de mobiliser des jeunes sur des projets avec plus de fond ensuite.

Quels sont les projets de l’association en ce moment ?

Tout ce qui est mis en place vient des jeunes

Pas mal de choses… On est sur un projet de lecture critique des médias. Ça concerne plutôt les jeunes pré-ados/ados, qui sont tous mineurs : on fait de la compréhension du média dans sa globalité, de l’extrême-droite à l’extrême gauche, on travaille avec différents médias comme Le Progrès, Rue 89 ou France 3. On veut comprendre d’abord comment fonctionne une rédaction, puis plus largement comment avoir l’esprit critique, comment lire et comprendre un article.

Comme autres projets, on organise aussi depuis deux ans maintenant sur la commune le marché du Ramadan, le plus grand de la région. AVAS et ses membres gèrent et sécurisent l’évènement. Pour notre organisation, on se base sur l’emploi du temps des habitants. Quand ils se mobilisent, ils montent une petite équipe et on lance un appel sur les réseaux pour trouver des moments, on invite un journaliste, un sociologue ou d’autres acteurs. Tout ce qui est mis en place vient des jeunes et quand ça vient de moi, on discute de l’idée, mais c’est toujours eux qui ont le dernier mot.

 

Vous avez également participé à un projet dont la portée dépasse la seule vie locale : PoliCité. Pouvez-vous nous en parler ?

On est invités un peu partout pour des colloques sur le sujet des relations police/population

PoliCité a démarré en 2016. C’est une recherche-action participative qui vise à comprendre et réduire les tensions dans les quartiers entre les jeunes et la police. Mais c’est aussi un projet qui donne du pouvoir aux jeunes, c’est un projet qui te responsabilise, qui te donne confiance en toi. On te considère quand tu fais un projet comme celui-là. En fait, on te voit comme une personne intelligente plutôt qu’un jeune de quartier débile.

À l’époque, j’étais accompagnateur de ces jeunes, mais je participais aussi au projet. Ça m’a vraiment changé et je me suis dit « On peut faire de l’animation et de l’associatif différemment que les associations de quartier qu’on a l’habitude de voir, qui ne font que des barbecues ». On peut faire du vrai travail de fond avec des jeunes, qui sont vraiment en demande en plus ! La participation à ce projet de recherche a aussi été un moteur pour la création de l’association AVAS : elle m’a permis de prendre confiance dans mes possibilités d’action, pour mon quartier.

Aujourd’hui, PoliCité n’est pas fini : l’État ne trouve pas forcement d’utilité à continuer de travailler avec nous sur le sujet du rapprochement police/population, mais on est invités par des villes pour monter des conférences citoyennes de consensus, ou encore pour travailler sur des conseils municipaux de la jeunesse, ou tout simplement exposer notre méthodologie de travail à d’autres structures.

On a pas mal voyagé, j’étais au Canada il y a peu pour interroger des jeunes dans les quartiers de Montréal-Nord. On est invités un peu partout pour des colloques sur le sujet des relations police/population, au Kenya, en Turquie, en Angleterre, au Canada.

 

Vous êtes aussi élu au conseil de quartier du Grand Mas, et même co-président depuis 2021 : comment est-ce que vous en êtes arrivé à cet engagement ?

Un projet ne réussit que quand on met son égo de côté et qu’on met au centre le public visé

Ça part du même postulat, un constat que ça ne fonctionne pas trop bien… Je me suis demandé comment apporter ma pierre à l’édifice et mon expertise pour faire en sorte d’améliorer le truc.

J’ai regardé le journal de Vaulx-en-Velin où je vois qu’il y a un conseil de quartier, je crois même que j’étais encore mineur ! J’ai décidé d’aller voir, sans trop parler au début pour comprendre le fonctionnement, la répartition de la parole, comment ils réfléchissent, et j’ai fini par être président élu à deux reprises ! La première fois, je ne me suis même pas présenté et ce sont les habitants qui ont voté pour moi. La deuxième fois, j’ai été élu avec 90% des voix.

Dans tous les projets que je mène, je mets mon égo de côté, je peux gagner ou perdre mais je mets au centre l’intérêt des voisins, des Vaudais, pour la réussite. Un projet ne réussit que quand on met son égo de côté et qu’on met au centre le public visé.

Quelles sont les missions de ce conseil de quartier ? Notamment en ce moment où un très gros programme de rénovation est en cours au Mas du Taureau ?

Il ne faut pas avoir peur de l’intelligence de la population

Il y a de gros enjeux sur la rénovation du Mas du Taureau, le T9 doit arriver, on doit détruire la place emblématique du quartier… En tout cas, peu importe mon avis sur cette rénovation, certaines choses sont déjà votées : notre mission est d’accueillir les différents acteurs et d’en parler au maximum aux habitants, les faire venir quand il y a des consultations, des conférences sur le sujet. Ça c’est pour la rénovation, mais on est sur plein d’autres fronts : le cadre de vie, les fêtes de quartier, comment éviter le squat dans certains secteurs…

Par exemple, début décembre, lors d’un conseil de quartier, nous avons identifié certaines zones, en disant « Ici, ça va très mal ». Au conseil, on a la possibilité d’inviter des élus ou des techniciens, donc on a demandé à recevoir l’élu à la sécurité, la commissaire et le responsable de la police municipale de Vaulx-en-Velin. On s’est dit « Il faut qu’ils nous expliquent leur politique de sécurité pour l’année 2023 sur ces quartiers, parce que ça ne va pas ».

Je pars du principe que les habitants sont experts du quartier, experts de leurs vies, experts de leur quotidien. Aucun élu ne peut savoir comment fonctionne telle place, tel commerce, il n’y a rien de mieux que les habitants, c’est un vivier de savoir et il faut s’en servir au mieux. Il ne faut pas avoir peur de l’intelligence de la population, on se prive d’une expertise super importante, celle de ceux qui utilisent la ville au quotidien.

Dans ce quartier et cette ville de Vaulx-en-Velin, des évènements très forts ont marqué l’histoire de la relation de la France à ses banlieues, avec notamment les émeutes de 1990. Au niveau des habitants, cet héritage continue-t-il d’inspirer la vie démocratique locale ?

La participation citoyenne et électorale est essentielle pour une vie saine dans la Cité

Dans toutes les banlieues françaises, on a des gens engagés qui font vivre le quartier et qui permettent, tout proportion garder, de le faire évoluer. Il y a beaucoup d'engagés associatifs, mais beaucoup moins de personnes engagées politiquement.

De ce que j’ai pu comprendre de mes discutions avec les habitants, la raison est qu’ils n’ont plus trop confiance dans les politiques, les journalistes et sociologues qui viennent dans leurs quartiers. Ils n’ont plus confiance parce qu’on vient les voir tous les cinq pu six ans, selon les élections, et on leur demande de venir voter. À la fin, ils se rendent compte qu’ils ont été les dindons de la farce et ils n’ont plus envie de jouer le jeu. Ici, on a beaucoup d’associations, beaucoup de gens engagés, qui travaillent pour améliorer le quartier, mais on a très peu de gens qui votent.

À l’époque, on avait des associations politisées comme Agora, et toutes les associations après les émeutes de 1990, qui se sont bougées, qui sont montées à Paris, qui ont fait changer des choses dans la loi française. Maintenant, en garde à vue, tu as le droit de voir un médecin, un avocat par exemple. Bien sûr que les révoltes citoyennes ont permis de faire avancer les problématiques des inégalités dans les quartiers, mais j’ai l’impression que les résultats de ces luttes ne sont plus trop palpables à l’heure actuelle.

C’est pour ça que la participation citoyenne et électorale est essentielle pour une vie saine dans la Cité. Même si je comprends les habitants qui considèrent l’abstention comme un choix politique, et qu’ils disent : « Vous ne nous écoutez pas, bah on ne se déplacera pas pour vous ». C’est dommage, parce que les premières victimes de ces choix, bah c’est nous !