Il y a effectivement un décalage important entre la réalité de ce qui se passe dans l’espace périurbain, et l’image qu’en donne les médias. Laurent Cailly avait fait une très belle analyse d’un numéro de Télérama sur la “France moche”. Il y a aussi le débat sur le supposé “vote Front National” des périurbains qui est aussi très présent (mais seulement à plus de 35km des villes…). Sur ce dernier point, quand vous faites une comparaison entre l’Ouest et le Sud de la France, vous constatez que les différenciations inter-régionales sont biens plus fortes que les différenciations locales. Michel Bussi avait montré dans les années 2000 que l’écart s’expliquait essentiellement par les effets de composition sociale et assez peu par un pur effet territorial (1 ou 2 points). Je me suis toujours demandé si la situation actuelle, un peu plus nette, n’était pas une prophétie autoréalisatrice…
Effectivement, “le” périurbain est un problème : personne ne l’a conçu, ce n’est pas un projet urbanistique, ce n’est pas un projet politique volontariste. Le développement des espaces périurbains est arrivé parce qu’on a eu des politiques d’aide à la pierre sans avoir l’offre foncière nécessaire dans la continuité des villes denses et compactes. Le périurbain n’a pas été planifié, c’est quelque chose qui est arrivé comme une conséquence d’autres décisions. Pourtant, le périurbain, aujourd’hui, il est là et il faut faire avec. Donc, il vaut mieux le comprendre, pour réfléchir, et faire en sorte que les gens vivent correctement, sans pour autant continuer à le développer de façon importante. Il faut effectivement essayer de refaire la ville sur la ville pour limiter le développement des espaces périurbains, mais cela se joue avant tout dans la ville. Finalement, au lieu de poser le débat de cette façon, on a souvent rejeté la faute de l’existence du périurbain sur ses habitants, ceux qui y allait, en disant que c’était une volonté de “se mettre en dehors de la ville”. Le géographe Jacques Lévy a été assez sévère de ce point de vue. Dans les faits, ce n’est pas du tout le cas, sauf pour une minorité. Il existe de l’urbanophobie dans les espaces périurbains, certes, mais pas plus qu’ailleurs.
Avec tout ça, les habitants du périurbain se sont sentis eux-mêmes agressés. Ils avaient l’impression d’être montrés du doigt comme étant les seuls responsables de la pollution, de la congestion urbaine, de l’extension urbaine… Alors que chacun, et c’est légitime, essaie seulement de vivre sa vie normalement. D’ailleurs, c’est souvent un projet plutôt positif d’aller s’installer dans l’espace périurbain, de faire construire sa maison, pour héberger sa famille. Ce sont des valeurs qui sont assez présentes et qui sont plutôt vécues de façon positive. Les jeunes qui quittent le périurbain nous disent souvent, après coup : “J’étais quand même heureux même si c’était un peu difficile en étant ado”. C’est aussi quelque chose dont il faut tenir compte. On a tellement insisté sur la responsabilité des périurbains qu’il y a une partie de la réaction qui est un peu populiste, forcément : “Pour moi c’est difficile financièrement parce que j’ai pris pour trente ans de prêt et en plus on va me dire que je suis responsable de tous les maux de la ville ?”
Je pense qu’il faut casser cette spirale négative en disant que l’espace périurbain, il est là, il existe et qu’il faut justement que les politiques publiques investissent cet espace, qu’elles accompagnent ce développement. On souffre d’un déficit de service public dans ces territoires : on est loin de l’hôpital, des structures d’enseignements, etc. Il y a de petits pôles de proximité qui se créent, qui se renforcent, qui remettent de l’urbanité dans ces espaces périurbains et il faut les conforter. Et une fois qu’on aura montré qu’on fait quelque chose, qu’on agit, les habitants vont pouvoir constater qu’ils ne sont pas laissés pour compte, que la puissance publique s'intéresse à eux. C’est un élément déterminant.
Dans les travaux que j’ai mené avec la région Pays de la Loire, c’était un peu leur idée. Ils essayaient de faire passer le message que ce ne sont pas les gens qui sont responsables de la situation, que la puissance publique a aussi sa part de responsabilité puisqu’elle a laissé faire. Ce sont les collectivités territoriales qui ont donné les permis de construire ! Les gens n’ont rien fait d’illégal. Les politiques nationales d’aide à la pierre ou le prêt à taux zéro, les aménagements routiers, ont beaucoup incité à tout ça. Et puis, surtout, ce n’est pas si facile que ça de vivre dans le périurbain. On le voit dans les entretiens : si on leur avait proposé ou permis de vivre plus près du centre leur réponse aurait presque toujours été positive, notamment pour des gens qui habitent dans du périurbain assez lointain principalement en raison du coût du foncier.
J’en profite pour rappeler que tout cela s’inscrit dans le contexte d’un débat plus large, dans lequel les urbanistes ont postulé que la ville dense et compacte était la seule solution durable à l’urbanisation, ce qui est discutable aussi. Il y a 30 ans déjà, Vincent Fouchier avait montré qu’on avait les mêmes densités entre un grand immeuble avec un peu d’espace vert, des petites barres avec un petit peu moins d’espace vert, ou un lotissement dense avec des parcelles de tailles réduites. En d’autres termes, il a montré qu’on pouvait aussi faire du lotissement qui ne consommait pas plus de foncier que du logement collectif. Or, dans le contexte métropolitain actuel, c’est ce que cherchent une certaine partie des gens et ce n’est pas forcément pour se mettre en dehors de la société. C’est peut-être pour contrôler un peu mieux leur environnement immédiat, pas de façon négative mais de façon positive, une manière de dire “Je veux vivre bien”. Je pense que c’est légitime à entendre, aussi.