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Un besoin croissant de cérémonies civiles

Interview de Richard FERET

Portrait de Richard Feret

<< Mais je pense que quelle que soit la nature de l’installation, il ne faut pas oublier de remettre au centre la personne la plus importante : le défunt, sa famille et ses proches >>.

Richard Feret est le directeur général délégué de la Confédération des Professionnels du Funéraire et de la Marbrerie (CPFM).

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Date : 30/09/2013

Progrès des sciences et techniques, éclatement des lieux de décès, urbanisation croissante, perte d’influence du religieux, montée de l’individualisme, etc. Toutes ces évolutions sociétales ont une incidence sur les pratiques funéraires et, partant, sur les professionnels du funéraire. Quelles sont selon vous les évolutions les plus significatives 

 L’évolution première me semble être le besoin croissant de cérémonies civiles. On en voit de plus en plus. On observe aussi que les crématoriums se dotent de plus en plus d’espaces dédiés aux cérémonies. Il y a trente ans, la crémation était marginale et le fruit d’une démarche très militante. Aujourd’hui, elle représente le tiers des modes de sépultures et s’accompagne de plus en plus de cérémonies. Or, toute la difficulté est de donner du sens et du contenu à ces cérémonies. Si la cérémonie est religieuse, l’officiant est nécessairement un religieux, prêtre ou laïc. Quand les proches ne souhaitent pas de cérémonie religieuse, ce rôle échoit à l’opérateur funéraire, ou à des associations – comme les Charitons en Normandie ou L’autre rive à Lyon. Ils se trouvent à la croisée d’un semblant de rite religieux qu’ils ne peuvent pas vraiment assurer. Généralement, ces associations se sont imprégnées des rites religieux auxquels elles ont enlevé le sacré. Hormis quelques structures, tout est fait de manière relativement empirique.

 

Les professionnels du funéraire se sont-ils saisis de cette question ? Comment répondre à ce besoin de cérémonie de manière professionnelle ?

Le CNEF, Comité National d’Ethique du Funéraire – créé par la Société de Thanatologie et la CPFM -  se pose des questions et réfléchit sur ce sujet. C’est en cours d’étude. Nous avons réuni quatre représentants des principales religions dans l’idée de décoder avec eux les différentes séquences et gestes, ainsi que le sens, des cérémonies funéraires. On y trouve beaucoup de convergences et quelques différences. Le CNEF veut décoder ce phénomène pour aider demain, peut-être, à établir une cérémonie civile qui serait à la croisée de ces différents rites. L’important est de créer du sens. Le travail de l’assistant funéraire va être de plus en plus de bâtir cette cérémonie. Dans les professions du funéraire, il y a assez souvent la fonction de maître de cérémonie. Il reçoit la famille, construit la cérémonie avec eux, la valide avec les proches, et la conduit. On a milité dans ce sens au sein de la profession pour obtenir la validation de deux diplômes au 1er janvier 2013 : conseiller funéraire et maître de cérémonie. La formation a été renforcée en sciences humaines. On a ajouté des modules sur le traitement d’une cérémonie ou la question du multiculturalisme. La profession a ressenti le besoin de renforcer les savoir faire et les savoir être de ses agents. C’est un cheminement logique pour répondre à l’accroissement de la demande d’accompagnement que nous observons.

 

Si la demande d’accompagnement s’accroît, la demande en articles funéraires et objets du souvenir persiste-t-elle ?

Jusqu’à ces dernières années, une grande part de l’hommage résidait dans des tentures dressées, des signes portés sur soi, le cercueil, des plaques sur la tombe, des fleurs. Aujourd’hui, le besoin de prise en charge des gens porte davantage sur le besoin de comprendre ce qu’ils vont organiser, et de prolonger le souvenir du défunt de façon virtuelle. On est moins dans les produits et beaucoup plus dans les services. Le nombre d’articles funéraires a tendance à diminuer. Certains pensaient que les articles funéraires allaient se ringardiser ; pourtant, ils persistent. 

 

Il semble que les gens soient de plus en plus attentifs à la qualité des lieux, - chambres funéraires, salons de présentation, crématoriums, etc. – Observez-vous cette tendance  ?

Les chambres funéraires n’existaient pas il y a 30 ans. Aujourd’hui, il y en a plus de 2000 en France. Avant, ces lieux n’étaient que fonctionnels. Aujourd’hui, on travaille sur les matières, les couleurs, les ambiances. C’est vrai aussi pour les crématoriums qui se dotent désormais de salles de convivialité pour y servir des collations. Longtemps, les crématoriums ont été considérés comme des lieux techniques ; la convivialité, le besoin de réception étaient très peu exprimés. Ils sont souvent excentrés. Mais il en est des crématoriums comme des gares TGV : tout le monde en veut mais pas à côté de chez lui ! Désormais, la tendance est un peu inverse. Tous les crématoriums aujourd’hui repensent une salle de cérémonie modulable de 30 à 300 personnes – selon les recompositions familiales, les cercles d’amis et de connaissances -, équipée techniquement pour le son, la vidéo, la musique et dotée d’un espace de convivialité. Il y a 160 crématoriums en France et beaucoup d’autres sont en projet ou en cours de réalisation. Les demandes des communes et des communautés de communes sont de plus en plus tournées vers des outils qui sont des vitrines : ils souhaitent un bâtiment basse consommation, en bois, doté d’un toit végétalisé… Inconvénient : les factures s’envolent. Avant il fallait compter 1,5 M€ pour un crématorium, aujourd’hui 4 à 5 M€. Ça contribue à renchérir le coût de la crémation, ce qui fait qu’à terme, on arrivera à une convergence du coût crémation – inhumation.

 

On parle de plus en plus de « complexes funéraires » réunissant dans un même espace toutes les fonctionnalités du funéraire, comme en Espagne ou au pays-Bas. Est-ce un modèle d’avenir ?

En Espagne, les professionnels du funéraire ont trouvé un terrain d’entente avec l’Eglise : les prêtres sont quasiment à demeure dans les complexes funéraires, à la différence de la France où ils viennent très peu. Aux Pays-Bas, où les cimetières sont privés, la notion de complexe funéraire intègre le salon d’organisation des obsèques, une maison funéraire, des boutiques et un vrai restaurant, ce qui est interdit en France, comme le fait de sigler d’une manière ou d’une autre le bâtiment. Le complexe funéraire est une organisation qui tend à se développer. L’unité de lieu permet une plus grande réactivité, et une optimisation des coûts par une concentration des moyens. Elle présente un inconvénient pour les opérateurs : elle fait disparaître un certain nombre de prestations comme le convoi funéraire. À Grenoble par exemple, on est déjà dans un lieu qu’on peut presque qualifier de cathédrale, et là, il s’agit d’un pôle public.

Mais je pense que quelle que soit la nature de l’installation, il ne faut pas oublier de remettre au centre la personne la plus importante : le défunt, sa famille et ses proches. C’est vers eux que doivent être orientés les services. Il faut veiller à ne pas déshumaniser le lieu, ne pas oublier l’importance du contact.

 

Les Pompes funèbres sont  service public à caractère industriel et commercial  ». Aux yeux des gens, les opérateurs funéraires publics – qu’ils soient régie municipale, société publique locale, société d’économie mixte, etc . – n’ont-ils pas un avantage certain sur les opérateurs privés dans l’exercice de cette mission de service  public ?

 Il ne devrait pas y avoir confusion pour le grand public. Quelle que soit la forme juridique, elle a sa raison d’être. Je considère qu’il ne faut pas qu’il y ait d’avantages concurrentiels. On n’est pas en conflit avec le pôle public. On participe tous d’un service public.

 

Régulièrement, des mauvaises pratiques et des tarifs exorbitants sont épinglés chez les opérateurs funéraires. Comment éviter ces ‘funestes’ pratiques ?

Si ces prétendues dérives existent, elles sont évidemment condamnables. J’entends assez souvent, quelle que soit la profession, qu’il existe 2% de délinquants. La vraie difficulté est de les identifier, d’apporter la preuve de leurs malversations, de les sanctionner et de remettre les choses en ordre. Sur une ville comme Paris, la profession a mis des années à faire retirer l’habilitation préfectorale à un opérateur connu pour ses mauvaises pratiques.

 

Cela ne passe t’il pas également par une clarté et une transparence de l’information, dans les documents présentés, les devis établis et lors de l’entretien avec l’agent funéraire ?

Bien sûr, on est d’ailleurs tout à fait favorable au modèle de devis. La Confédération a travaillé avec les pouvoirs publics, les associations de consommateurs et les professionnels pour l’établissement de ce modèle de devis des prestations du funéraires. On demande aux opérateurs de respecter ce modèle même si sur quelques points (l’indication du prix TTC et HT notamment) il apparaît un peu confus pour les familles. La vraie difficulté c’est qu’avant la survenance du décès, ces informations n’intéressent personne ! Aujourd’hui, Internet permet de diffuser très largement l’information, avec une approche grand public.

Toute une documentation très codifiée est à disposition des familles chez les opérateurs funéraires. Au cours de l’entretien, le conseiller funéraire doit informer sur le champ des possibles, les contraintes, la réglementation, et leur présenter des devis. Le tout en 1h15 environ. Sachant que les personnes ne sont pas toujours à leur niveau d’écoute maximal. La formation à la conduite d’entretien est donc également très importante.

 

Les produits et services proposés par les opérateurs funéraires sont généralement très classiques. Comment expliquer cette résistance à l’innovation ; est-elle due au conservatisme des professionnels ou à celui des clients, peu enclins à l’originalité dans un moment douloureux ?

Est-ce le vendeur qui vend ou le client qui achète ? Éternelle question… C’est un métier à innovation lente ! La tradition pèse, évolue doucement. On observe que les produits référencés qui font preuve d’originalité dans les formes, les matières, les essences de bois, ont un taux de vente très marginal. On voit cependant apparaître des formes plus épurées, des recherches stylistiques moins brutes, mais ce n’est pas la révolution.

 

Les professionnels du funéraires travaillent-ils à des alternatives à l’inhumation ou la crémation, telle que la promession, réduction du corps par plongée dans un bain d’azote ?

Non, tout simplement parce que ce n’est pas autorisé en France.

 

Les nouvelles technologies favorisent l’apparition de nouveaux services : vidéo retransmission de funérailles, cimetières virtuels, mais aussi organisation de funérailles en ligne… 

L’Internet va modifier les comportements d’achat et les modes de distribution. Ce sera un facteur clivant au niveau des opérateurs : ceux qui ne seront pas présents sur la toile seront clairement défavorisés. D’ailleurs la chambre syndicale de l’art funéraire développe un site Internet grand public avec la présentation de ses produits mais aussi des informations sur ce que sont les obsèques en France. Un service de funérailles low cost en ligne comme Revolution-obseques.com, je crois que c’est essentiellement un support de communication. Le prix présenté ne comprend que le cercueil et le véhicule avec chauffeur. Les démarches restent à faire, le portage est à la charge de la famille. Je n’ai pas vu d’opérateur sur le créneau low-cost qui fonctionne bien. Car des services premier prix sont disponibles chez tous les opérateurs. Et puis réduire les prestations au minimum quand le besoin de services est de plus en plus fort, c’est un peu un contre sens. Pour le reste, je pense que la vente de services tel le service de formalités après obsèques (hors aspect notarial) va se développer. Pour l’instant, ces services fonctionnent surtout en milieu urbain, mais leur disponibilité en ligne les rendra accessibles partout.