Vous êtes ici :

Service public et accompagnement du défunt

Interview de François MICHAUD

Portrait de François Michaud
Directeur général des Services Funéraires - Ville de Paris.

<< Accompagner les proches d'un défunt, c'est le cœur même de la notion de service public : c'est la solidarité >>.

François Michaud est le directeur général des Services Funéraires de la Ville de Paris.

Réalisée par :

Tag(s) :

Date : 30/09/2013

D’un point de vue prospectif, les Services Funéraires - Ville de Paris prévoient-ils la poursuite de l’augmentation du nombre de crémations, ou un retour en grâce de l’inhumation ?

Je suis absolument sûr que la crémation va continuer d’augmenter au même rythme qu’actuellement. On va ainsi se retrouver avec un noyau dur de catholiques très pratiquants, de juifs et de musulmans – de l’ordre de 15 à 20% de la population française - qui vont opter pour l’inhumation quand tout le reste de la population choisira la crémation. Je suis certain qu’au moins dans les zones urbaines on atteindra 80% de taux de crémation en France, d’ici 30 à 40 ans. Cela me paraît totalement inéluctable.

Il n’y a aucune raison objective pour que ce mouvement s’arrête. Les volontés exprimées par les vivants, les volontés exprimées à travers les contrats d’obsèques, aussi bien que la comparaison avec les pays étrangers de culture similaire plaident pour une poursuite de l’augmentation du taux de crémation.

 

Pourtant un sociologue comme Tanguy Châtel estime que la crémation, perçue comme très violente, est arrivée à un seuil… J

Je ne suis pas d’accord avec lui. Si on regarde de façon objective, il n’y a pas plus de violence dans la crémation qu’il n’y a de violence dans l’inhumation. Entre mettre un corps entre quatre planches en bois pour le laisser pourrir dans le sol et le mettre dans un appareil de crémation où il va être réduit en cendres, c’est un égal désastre. La différence tient à mon avis à l’absence de représentation de la crémation pour le public. Autour de l’inhumation en revanche, il y a toute une symbolique et une sémantique : le corps repose en terre, dans sa dernière demeure, etc. L’art a illustré à foison l’inhumation mais pas la crémation. C’est ce qui explique, je pense, une vraie différence de perception du grand public. Ce qui me frappe, c’est que si on interroge les professionnels du funéraire, ceux qui savent ce qui se passe réellement quand il y a crémation ou inhumation, ils choisissent à plus de 90% la crémation. C’est abominable l’inhumation ! Pour quelqu’un qui a assisté à des exhumations notamment, le choix se porte objectivement sur la crémation. Il s’agit donc vraiment d’une question de représentation et de symbolique. Dans les sociétés nordiques où l’on a plus de 90% de crémation dans les zones urbaines autour de Copenhague ou de Londres, on n’a plus du tout cette vision.

 

Comment vous préparez-vous à cette augmentation attendue du nombre de crémations ?

Il faut créer des équipements de crémation. Mais aussi prendre en compte toute la question de l’accompagnement. Il faut également s’occuper des cimetières, anticiper sur une probable désaffection de ces lieux. Dans le Grand Londres où le taux de crémation s’élève à 90%, les cimetières ne vivent plus. Quand un cimetière n’est plus entretenu, qu’il n’y a plus de reprises de sépultures ni de nouvelles inhumations, c’est une catastrophe.

Les élus sont souvent focalisés sur un problème de saturation des cimetières, mais quand la crémation se développe comme elle s’est développée au Danemark, c’est le contraire qui se produit : le cimetière ne sert plus à enterrer les gens, il n’a plus cette fonction sociale. Cela peut donner des choses formidables, comme dans le grand cimetière intercommunal de Copenhague, conçu juste avant la poussée très forte de la crémation. Le cimetière est devenu un très bel espace vert où j’ai vu des biches se balader !

À partir du moment où les cimetières ne sont plus des lieux de vie, ils peuvent devenir des sortes de verrues stériles dans le tissu urbain. Sauf à envisager une légère modification de leur usage. Quand ils sont bien faits, comme le cimetière de Clamart, ce sont des lieux, beaux, agréables, que l’on a plaisir à traverser. Mais s’il s’agit d’un banal cimetière complètement minéral avec des allées perpendiculaires, cela devient affreux.

Si l’on se projette dans l’avenir et que l’on réfléchit sur le nouveau cimetière, il faut donc prévoir une certaine polyvalence de leur usage.

 

Dans un de vos livres, vous vous êtes attaché à étudier l’évolution des carrés musulmans des cimetières depuis 60 ans. Qu’observez-vous ?

 Les premières tombes sont assez dépouillées. Puis, dans les années 80 on voit apparaître quelques stèles en forme de minaret, là des plantations d’arbres, des encadrements de sépulture. Dans les années 90, on commence à voir des tombes assez classiques. Vous voyez des plaques, des fleurs, des photos sur les stèles, autant de signes qui sont totalement hors du référentiel musulman. Le jour de la Toussaint, le carré musulman est plein de gens qui viennent avec leur pot de chrysanthème. C’est extrêmement intéressant de voir comment ce qui pourrait apparaître a priori comme un ghetto est un extraordinaire facteur d’intégration. Enterrer ses morts c’est s’enraciner au sens propre du terme. Plutôt que d’envoyer leurs morts au Maghreb, ils affirment que leurs racines sont ici.

Pendant toute une période encore, les carrés confessionnels vont être extrêmement importants pour ces populations et puis cela va sans doute s’estomper. Ils vont s’intégrer dans le paysage.

 

Les carrés confessionnels sont pourtant dérogatoires à la loi qui interdit toute séparation dans les cimetières français…

On est dans la contradiction totale, car le ministère de l’Intérieur publie des circulaires incitant à la création de carrés confessionnels ! La question de la laïcité est une question extrêmement compliquée en France, on ne sait pas la gérer correctement. On est le seul pays au monde, avec, dans une moindre mesure, la Belgique, à avoir une telle crispation sur la laïcité.

 

Comment faire cohabiter les différents rituels religieux pour qu’ils s’expriment pleinement, dans le respect des principes de la laïcité ?

Refuser complètement le carré confessionnel en invoquant la laïcité stricte, signifie, inéluctablement, la création de cimetières privés, ou le renvoi de personnes dans leur pays d’origine, ce qui n’est pas souhaitable. Il y a un juste milieu à trouver. C’est la collectivité qui doit gérer les carrés confessionnels en étant très stricte sur le fait que tous ceux qui le veulent ont droit à ce carré confessionnel. En aucun cas, les religieux n’ont leur mot à dire pour trier les « bons » croyants des « mauvais ». On arrivera alors à un équilibre qui fonctionne bien.

La gestion d’un crématorium, qui est un établissement laïc, doit également se faire dans un esprit d’ouverture. On doit permettre à ceux qui en ont besoin, au moment de la mort d’un proche, de se rattacher à leurs racines culturelles et cultuelles et ne surtout pas essayer d’interdire une pratique religieuse. Il faut arriver à faire cohabiter, même si c’est un peu difficile, des pratiques différentes. Pour cela, il faut discuter avec les représentants des religions, leur expliquer nos contraintes et montrer une certaine ouverture. Les musulmans par exemple sont prêts à faire des compromis pour l’exercice de leur pratique religieuse.

 

Plus que des solutions techniques, le « boom » des crémations appelle, selon vous, des réponses symboliques : il s’agit d’accompagner les familles et les proches abandonnés à un vide symbolique…

Certes il faut pouvoir répondre quantitativement aux demandes de crémations. C’est relativement facile sur le plan technique car on a beaucoup de souplesse. De plus, un équipement de crémation coûte bien moins cher qu’un cimetière. En revanche, un problème plus criant se pose : dans les grandes villes, de plus en plus de gens ne fréquentent plus les lieux de culte. À Paris, le pourcentage est impressionnant : quand il y a une crémation au Père Lachaise, dans 83% des cas, les gens ne sont pas passés par un lieu de culte. Le crématorium est donc le seul endroit où il peut se passer quelque chose de spirituel et de rituel. Il s’agit parfois d’une célébration religieuse (bouddhiste, catholique, etc.). Mais dans 66% des cas au Père Lachaise, 60% à Champigny, le seul geste rituel est laïc. C’est là qu’il est important de proposer des célébrations qui ont du sens.

Les élus sont contents et fiers de célébrer des mariages dans la maison commune ceints par leur écharpe tricolore. C’est un devoir auquel ils se soumettent bien volontiers. Mais pourquoi, quand on se marie, on aurait droit à la maison commune et des gestes signifiants et quand les gens meurent, que leurs proches sont dans la détresse, la collectivité ne ferait rien ? Ce n’est absolument pas normal. Il faut commencer par avoir des crématoriums qui ont une certaine qualité symbolique, comme une mairie.

 

Or les crématoriums sont souvent moches et excentrés dans des zones industrielles à côté des déchetteries…

Exactement. On doit avoir de beaux bâtiments, signifiants, et des gens pour animer les cérémonies. L’idéal, je ne le cache pas, serait des élus avec leur écharpe tricolore. Quand on fait des cérémonies du souvenir au moment de la Toussaint – la dernière, au Père Lachaise a réuni plus de 500 personnes – la présence d’un édile venu, au nom de la collectivité, reconnaître la peine des endeuillés est extrêmement importante. On le voit : les gens viennent se masser autour de l’élue, à la fin, pour la remercier.

Je sais qu’il est très difficile d’imaginer la présence d’un élu à chaque funérailles. Mais au moins, acceptons de payer et former des gens qui puissent assurer cet accompagnement.

 

Ce serait donc à la collectivité de payer et former ces accompagnants ?

Oui. Mais cela peut être rentabilisé. Cela n’a pas besoin d’être subventionné. Quand quelqu’un demande une cérémonie à l’église, il paie 200 à 250€. Pour ce même prix, on a largement de quoi payer un maître de cérémonie, de la musique, etc. Ce n’est pas une charge financière pour la collectivité, il suffit de l’organiser. Il faut du professionnalisme pour réintroduire ces rites correctement. Un curé se forme à 7 ans de séminaire. Avec la nouvelle réforme, on demande à un maître de cérémonie 70 heures de formation théoriques et 70 heures pratiques. C’est totalement insuffisant !

 

Comment repenser ces rituels funéraires laïcs ?

Aux Services Funéraires - Ville de Paris, nous avons travaillé avec un anthropologue qui se définit comme ritologue. Il faut, bien sûr, travailler avec des gens qui ont étudié les rituels funéraires. Si on veut donner du sens, il faut rattacher les gens à quelque chose qui est profond, enraciné dans notre humanité et surtout pas inventé ou bricolé. Le pire c’est le rien. Mais juste après vient la pure personnalisation. Sans qu’il y ait un maître de cérémonie (c’est-à-dire une altérité) les familles animent une cérémonie en passant les musiques préférées et en montrant des photos. C’est affreux parce qu’alors, l’émotion vient, les gens se mettent à pleurer, mais il n’y a rien pour les raccrocher. C’est comme si un psy commençait à casser les défenses de quelqu’un et s’en allait. C’est exactement le même phénomène. On ne peut donc pas laisser les gens faire n’importe quoi.

Puisque personne ne s’en occupe, les professionnels se sont auto investis. Aux Services Funéraires - Ville de Paris, nous sommes exactement dans ce cas-là. Parce que la société a changé, parce que tout un système de croyances a été abandonné sans que rien de nouveau n’advienne, il faut bien apporter des réponses.

Il s’est passé un mouvement parallèle dans le domaine de la mort périnatale, comme le montrent les travaux de Dominique Mémmi, sociologue au CNRS, auteure de La seconde vie des bébés morts. Pendant des années on a dit aux jeunes mères d’enfants morts nés, « ce n’est pas grave, tu en auras d’autres ». 20 ans après, on constate sur le terrain que cette façon de faire a produit des désastres. Du coup, dans les maternités, mais aussi dans les cimetières, chez les psys, etc., tout le monde s’est mis à inventer quelque chose pour ces mères. Il y a eu tout un foisonnement d’initiatives. Ce n’est pas la société qui s’est saisie de cette question, ce sont des professionnels, sur le terrain, qui ont réagi à ce vide sidéral face auquel se trouvaient les parents qui perdaient un bébé.

Dans le champ funéraire, c’est exactement le même phénomène. Quand un convoi part de la chambre mortuaire de l’hôpital pour aller directement au cimetière, parce que le défunt n’était pas croyant, on ouvre la fosse, on met la boîte dans le trou et il ne s’est rien passé. Les gens reviennent complètement hébétés, en grande souffrance, en disant : « on l’a enterré comme un chien ». C’est vrai, car l’un des propres de l’homme, ce sont précisément ces rituels funéraires.

Sur le terrain, des gens se disent que ce n’est pas possible. C’est pour cela qu’on assiste à des bricolages rituels dans les cimetières : des opérateurs funéraires qui sont normalement là pour gagner de l’argent, proposent de poser le cercueil sur des tréteaux, de dire un petit mot, puis de faire un jeté de fleurs pour avoir un geste symbolique. Il y a une sorte d’invention de terrain qui se fait parce que personne ne s’en occupe.

 

Pour vous cela relève t’il d’une mission de service public ?

S’il y a bien un sens à la mission de service public, oui c’est celui-là ! Vider des poubelles, cela peut parfaitement être fait par le privé. En revanche accompagner les proches d’un défunt, c’est le cœur même de la notion de service public : c’est la solidarité.

 

Vous estimez que ce besoin de rituel est particulièrement criant dans les cas de morts qui ne sont pas « dans le cours des choses » : morts prématurées, accidentelles…J

’ai vécu l’affaire Saint-Vincent de Paul qui m’a frappé de façon extraordinaire ; j’y consacre d’ailleurs un chapitre dans La Révolution de la mort. En plein été 2005, on découvre près de 450 fœtus et corps d’enfants morts nés (pour certains conservés depuis plus de 30 ans), dans la chambre mortuaire de l’hôpital Saint-Vincent de Paul. L’Assistance Publique met en place un numéro vert ; des centaines de parents appellent pour savoir si leur enfant fait partie des corps découverts. On a organisé des obsèques. J’ai débriefé la personne des pompes funèbres qui s’en est occupé ; elle était totalement traumatisée. Pour l’entourage, c’était une fausse couche tardive. Ces mères allaient oublier, passer à autre chose, en faire un autre…

Dans les faits, beaucoup ne s’en étaient jamais remises. Cet épisode dramatique a bien démontré que le besoin d’accomplir des gestes rituels n’est pas une invention. Peut-être que dans 90% des cas, effectivement, ça passe. C’est comme sur la route, dans 99% des cas, on n’a pas besoin de ceinture de sécurité. Le rituel c’est un peu la ceinture de sécurité. S’il y a une faiblesse à un moment donné, il vaut mieux avoir accompli les gestes qu’il faut au bon moment pour que cela ne devienne pas une situation catastrophique.

 

Vous avez proposé l’idée de mettre en place une cérémonie laïque, républicaine. Des gens s’en sont-ils saisis ; fait-elle son chemin ?

Dans la grande majorité des crématoriums en France, l’idée est passée et des choses sont faites. C’est extrêmement inégal, mais ça se fait. Lyon par exemple est une exception. C’est une chance extraordinaire que l’association L’Autre Rive intervienne parce que cette association a une bonne théorisation de la cérémonie et une approche ouverte. Mais que se passerait-il s’il n’y avait pas cette association, ou si elle devait être en difficulté ? Car il n’y a rien d’autre pour l’instant.

Je pense que pour toute inhumation ou crémation, il est important que ceux qui le souhaitent puissent bénéficier d’une cérémonie.

 

Politiquement, des élus ou des citoyens ont-ils relayé cette proposition ?

Non, tout se passe sur le terrain, cela se passe selon un mode d’organisation assez organique : par essais, erreurs, bourgeonnements, etc. Mais j’y travaille !

 

Vous travaillez sur un concept de complexe funéraire. De quoi s’agit-il ?

L’idée du complexe funéraire propose une belle synthèse des innovations à venir. Actuellement, vous allez du domicile à la chambre funéraire, puis éventuellement à l’église avant d’aller au cimetière ou au crématorium.

Avec un complexe funéraire qui regroupe crématorium, chambre funéraire et salle des cérémonies, vous partez du domicile pour aller au complexe funéraire. C’est le modèle espagnol. Il coûte moins cher, offre une meilleure qualité car les gens sont formés, est écolo car les déplacements sont limités. Par ailleurs, cet équipement peut offrir de nouvelles fonctionnalités, notamment pour les nouvelles religions. De plus en plus de populations immigrées en France (Tamouls, Pakistanais, Chinois, Indonésiens, etc.) n’ont pas de lieu de culte.

Dans ce type d’équipement, il est possible de discuter avec les représentants de ces cultes pour qu’ils aient un lieu à investir qui prenne en compte toutes leurs spécificités. Par exemple, la communauté des Sri Lankais vient en nombre, uniquement les hommes, et se saoule bruyamment pendant la cérémonie. Il faut donc prévoir un espace insonorisé.

Pour de multiples raisons, le complexe funéraire est une solution intelligente et pas chère. Je pense donc que c’est une solution pour l’avenir. Mais ce complexe funéraire ne doit pas être mis sous la bretelle d’autoroute ou à côté de la déchetterie. Les gens qui se marient ont droit à la mairie en centre ville, les gens qui sont catholiques pratiquants ont droit à l’église en centre ville, sans que les allées et venues du cercueil ne pose problème en ville…

Si l’on veut faire un très beau bâtiment, un coup de pouce à l’investissement est sans doute nécessaire, mais ensuite, l’équipement s’autofinance. Cela ne coûte donc pas cher à la collectivité, y compris le personnel qui assure les cérémonies.

 

Avec revolution-obseques.fr, vous avez mis en place un service en ligne de funérailles low-cost. Pourquoi avez-vous lancé ce service ; êtes-vous satisfaits des premiers résultats ?

Toute une catégorie de la population a l’habitude de recourir à l’outil Internet. Avant d’acheter un billet d’avion, ils se connectent à un comparateur de prix et choisissent le vol le plus compétitif. Par ailleurs, pour une raison ou une autre, beaucoup de personnes n’ont pas forcément de peine au moment du décès ; ils ont simplement un acte social à accomplir.

Ce sont des gens qui organisent matériellement des obsèques mais qui ne supportent pas d’aller dans une agence funéraire avec un conseiller funéraire qui va essayer de les culpabiliser en disant « vous n’allez tout de même pas mettre votre mère dans ce cercueil en bois » !

On avait déjà un certain nombre de gens qui nous appelaient de Brest ou Toulon pour nous demander d’organiser les obsèques de leur parent mort à Paris. On faisait tout par téléphone, fax et éventuellement Chronopost pour les originaux. Les gens arrivaient sur Paris uniquement pour les obsèques. Forts de ce constat, on a souhaité aller au bout de la démarche avec revolution-obseques.fr Il ne s’agit pas de faire du discount mais du low-cost, c’est-à-dire ramener la prestation au cœur obligatoire.

 L’idée est de faire de la qualité. Mais les contraintes sont fortes : nous ne proposons qu’un seul modèle de cercueil, il faut forcément partir d’une chambre mortuaire d’hôpital ou d’une chambre funéraire pour arriver dans un cimetière connu ou dans un crématorium. Impossible de faire du sur mesure et de partir d’un domicile. La clientèle est d’un bon niveau socio-culturel ; on a observé un pic de fréquentation du site vers 21h30. Pour l’instant, le résultat correspond à l’équivalent de celui d’une agence ; on espérait un peu plus.

 

Que pensez vous du service de vidéo à distance qui permet d’assister en direct aux obsèques, dont vous avez déjà équipé les salles de cérémonies du Père Lachaise ?

Tout à fait honnêtement, je pense que pour les gens qui sont en deuil et qui souffrent, il est important de payer de leur personne, se déplacer, offrir des fleurs, accomplir des gestes symboliques. Si on regarde la fonction anthropologique de la cérémonie d’obsèques, il vaut mieux se déplacer. Il y en a qui ne peuvent pas, qui sont très malades, qui sont à l’étranger. Pour eux, c’est une alternative qui peut être intéressante. On ne fait pas de publicité.

C’est cher et compliqué à réaliser, notamment d’un point de vue juridique. Nous pilotons l’expérience mais nous avons un prestataire informatique. Je considère que c’est un gadget dans la mesure où ce n’est pas structurant. Nous ne cherchons pas à l’imposer comme une généralité.

 

Que pensez-vous des flash codes mémoriels ?

Tout dépend comment on les utilise. On vient de sortir un site qui est un espace mémoire : tous les gens qui s’adressent à nous vont avoir droit à un faire part électronique gratuit et à un espace mémoire gratuit privatisé et personnalisable sur lequel les gens vont pouvoir venir déposer des messages et éventuellement des photos.

 Il ne sera accessible qu’aux personnes qui auront reçu un faire part électronique. Cet espace mémoire durera six mois maximum. Une semaine avant, on préviendra les gens qu’on va fermer l’espace et qu’ils peuvent alors télécharger sous forme de pdf l’espace mémoire et en faire une sorte de livret du souvenir sur papier. Cela deviendra alors quelque chose que l’on peut ranger dans un tiroir. Je pense que c’est bien car cela permettra aux proches de fonctionner comme ils fonctionnent habituellement avec l’informatique. Mais il ne faut pas que cet espace mémoire devienne une sorte d’ectoplasme numérique qui vienne hanter les vivants. D’où sa durée limitée.

 

Travaillez-vous à d’autres innovations ?

On réfléchit notamment à la marbrerie, car dans ce domaine, on est encore au Moyen Âge.

 

Comment expliquez-vous que le domaine du funéraire semble rétif à l’innovation et à l’originalité ?

C’est vrai. Tout ce qui est gadget avec des cercueils de forme bizarre, etc., ne prospère pas. Un décès c’est toujours une déstabilisation. Pour se restabiliser, on se fie à des racines, à des choses connues. C’est pour cela qu’on suit des rituels. Tout ce qui sort du cadre est encore plus déstabilisant, c’est pour cela que ça ne peut pas marcher.

Nous avons en catalogue une gamme design, une gamme écolo. Mais il s’agit d’un design acceptable qui ne sort pas du cadre. Nous proposons par exemple un cercueil bicolore et écolo, qui reste dans une forme conventionnelle. Il y a une découpe sur un côté pour qu’on puisse voir le visage du défunt sans avoir à se pencher au-dessus.

 

Dans votre livre, vous estimez que la mort est un « enjeu politique ». Or, politiquement, peu de personnes se saisissent de cette question qui touche pourtant tous les citoyens. Est-ce parce qu’il s’agit d’un tabou de notre société ?

Ce n’est pas uniquement un tabou de notre société, c’est aussi un tabou pour nos politiques. Démocratie oblige, les politiques doivent être élus. Or, quand on cherche à être élus on est forcément dans la séduction, c’est-à-dire l’Eros et non le Thanatos. Avec le mariage, on est dans l’Eros, et là, il n’y a aucun problème pour que tout le monde s’implique ! J’ai remarqué que les politiques ont une sainte horreur de tout ce qui touche à la mort. Pourtant, pour discuter avec des élus qui ont vraiment eu l’occasion de travailler sur le funéraire, ils en sont changés. J’ai même un ancien président de la SEM (société d’économie mixte) des Services Funéraires - Ville de Paris qui m’a confié avoir suivi une véritable psychanalyse ici.