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L'avenir des cimetières urbains

Interview de Céline EYRAUD

Illustration représentant un cimetière envahit par du lierre.

<< Le cimetière idéal est un cimetière approprié, plus ouvert sur la ville un lieu pour les morts mais aussi pour les vivants. >>.

Céline Eyraud est responsable du service concessions et réglementation des cimetières de la Ville de Lyon et par ailleurs co auteur de « Construire le cimetière de demain. Clés de gestion et de valorisation ». (M&G Editions - Patrimoine Rhônalpin-CAUE - 2010).

Alors que le foncier devient un bien rare et précieux dans le centre des villes, alors que les cimetières sont confrontés à un problème de saturation, alors que les demandes et les modes funéraires évoluent, quel avenir penser pour les cimetières urbains ?

Dans cette interview, Céline Eyraud apporte des éléments de réponse qui s’imposent à l’ensemble des villes de France et notamment à l’agglomération lyonnaise et à la Ville de Lyon.

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Date : 26/05/2013

La gestion des cimetières

 

Comment la Ville de Lyon aborde la gestion des cimetières et comment anticipez-vous la question de la saturation ?

Dans notre approche, nous essayons d’avoir une vision globale de la gestion des cimetières municipaux. Notre objectif principal est de garantir une offre de service par une gestion rigoureuse des concessions. Nous réalisons environ 600 reprises de concessions par an et nous en réaffectons environ 500, ce qui laisse aujourd’hui une marge pour faire face à une augmentation de la demande.

Notre nouvel objectif est de prévoir des concessions plus grandes. Actuellement elles sont de 2m2 alors que les cercueils sont d’1,99 mètre. De fait, pour insérer les cercueils, les fossoyeurs sont contraints de créer des niches sous les allées, ce qui impacte la stabilité de ces dernières. C’est pourquoi nous envisageons désormais des concessions de 2,40 mètres de long pour faciliter l’insertion des cercueils et la création de caveaux.

L’autre grande nouveauté dans la gestion des cimetières lyonnais réside dans une gestion plus écologique en supprimant le recours aux produits phytosanitaires.
Par ailleurs, nous avons réaménagé le jardin du souvenir du cimetière de la Guillotière. La pelouse supportait mal les plus de 450 dispersions que nous réalisons chaque année ; aussi nous avons réalisé un lieu en galets, un espace autour d’un bassin pour faciliter la méditation et installé une borne informatique où figure l’ensemble des noms des personnes dont les cendres ont été dispersées. La borne est particulièrement appréciée parce qu’elle renseigne mais aussi permet une certaine personnalisation.

 

Comment s’opère la reprise des concessions ?

A échéance des concessions de 15, 30 ou 50 ans, nous prenons contact avec les familles pour connaître leur intention. Sans réponse au bout de deux années, la ville s’autorise à réutiliser l’espace en cas de besoin. Après crémation, les cendres des personnes de la concession abandonnée concernée sont dispersées dans le jardin du souvenir et leurs noms figurent alors dans la borne informatique que nous avons installée. Dans les faits, et jusqu’à maintenant, la reprise intervient rarement moins de 10 ans après échéance.

En dehors des périodes de renouvellement, nous réalisons également des constats d’abandon, prévenons les familles et au bout de trois ans sans réponse, nous établissons un deuxième Procès Verbal de constat d’abandon puis la ville reprend la concession. Cette procédure dite de reprise de concessions en état d’abandon est longue et fastidieuse et particulièrement chronophage pour le service qui en a la charge. C’est à cause de ces grandes difficultés que la majeure partie des petites communes a abandonné la possibilité des concessions à perpétuité.

 

Constatez-vous un accroissement de la crémation ?

La crémation est une pratique ancienne à Lyon. Le premier crematorium lyonnais date de 1914, c’était le quatrième créé en France. De fait, nous n’assistons pas à un accroissement massif des demandes de crémations. Certes, nous avons noté une augmentation sensible jusqu’aux années 2000, mais depuis le chiffre reste stable. Depuis une dizaine d’années, nous sommes à 50% de demande d’inhumation et de demandes de crémations. Cette année au mois de mars nous étions d’ailleurs dans une égalité parfaite. Je pense que c’est une réalité que l’on doit pouvoir constater dans les villes qui abritent d’anciens crématoriums.

 

Que deviennent les cendres après crémation ?

La plupart du temps les familles les récupèrent pour une dispersion en pleine nature. Un tel choix s’inscrit pleinement dans la logique de la crémation qui s’accorde bien avec l’idée d’un retour à la nature, d’un non attachement à un lieu précis de recueillement. Cependant, le choix de la crémation évolue et se généralise et de plus en plus souvent les familles choisissent de disperser les cendres dans le jardin du souvenir du cimetière ou d’inhumer l’urne dans un columbarium ou une cavurne.

 

Qu’est-ce qu’une cavurne ?

C’est un emplacement destiné à recueillir jusqu’à 4 ou 5 urnes funéraires, une sépulture pour les cendres. La cavurne recueille de plus en plus de succès. Cette solution est moins onéreuse, consomme moins d’espace et surtout elle est plus personnalisable qu’une place dans un columbarium. En effet, les personnes peuvent plus facilement fleurir une cavurne ou y installer des plaques que dans un columbarium où souvent l’espace manque et les modèles de plaques sont imposés. Nous avons créé au cimetière de la Croix Rousse un espace de cavurnes en arc de cercle qui fonctionne très bien et donne grande satisfaction aux familles.

 

Il semble qu’une autre évolution importante concerne l’augmentation du nombre d’inhumations de musulmans. Quelle conséquence cette réalité induit sur l’organisation de l’espace ?

Effectivement certains cultes s’opposent vigoureusement à la crémation et c’est le cas de la religion musulmane. Or, de plus en plus de personnes de cette religion demandent à être enterrées en France. C’est un phénomène tout à fait logique puisque la troisième génération se sent aujourd’hui parfaitement française. Les musulmans souhaitent être enterrés orientés en rapport à la Mecque. Or, nos cimetières sont construits dans un souci de rationalisation de l’espace et cette exigence vient donc heurter ce principe. Par exemple, l’espace dédié aux musulmans dans le cimetière de la Guillotière accueille ainsi 130 tombes alors qu’il serait en capacité d’en accueillir près de 300 sans cette exigence d’orientation. Les conséquences sur l’organisation des cimetières ne se traduisent pas seulement en termes de place, mais aussi d’agencement puisque la religion musulmane prône l’inhumation dans un espace dédié à sa religion. Aussi, nous réalisons des séparations végétales pour marquer l’espace sans pour autant l’isoler totalement des autres pour respecter le principe de laïcité du lieu. Par ailleurs, les musulmans n’ont pas l’habitude de la tombe familiale. Chaque personne devrait être enterrée individuellement.

Cependant, ce principe est une invitation, pas une exigence et la religion musulmane est capable d’adaptation. Aussi, progressivement on assiste à la création de tombes familiales musulmanes. Par ailleurs, nous avons discuté avec le CRCM - Conseil Régional du Culte Musulman Rhône-Alpes – sur la question de la durée des concessions qui considère désormais qu’une concession à trente ans est d’une durée tout à fait compatible avec la religion musulmane. En fait, le plus gros problème auquel nous sommes confrontés provient du fait que seul le cimetière de la Guillotière accueille les personnes de confession musulmane. De fait, pour pouvoir enterrer leurs défunts à Lyon, des familles qui n’habitent pas la ville sollicitent des lyonnais pour profiter de leurs concessions ce qui va entrainer de nombreux problèmes au moment des renouvellements des concessions. Les musulmans devraient pouvoir être enterrés dans l’ensemble des cimetières de France.

 

Le cimetière perdrait-il son caractère laïc en séparant plus formellement les espaces dédiés aux différentes religions ?

Il est certain qu’aujourd’hui nous sommes dans une certaine hypocrisie. Je pense qu’il est effectivement souhaitable de favoriser clairement des regroupements cultuels sans pour autant isoler les différents espaces des uns des autres. En fait, chacun devrait être invité à faire reconnaître sa différence dans une volonté de rester ensemble. C’est toute la question de la vie ensemble qui se retrouve dans la mort ensemble !

Il est impératif de se préoccuper de ces questions dès maintenant car nous allons sous peu être amenés à accueillir aussi les personnes de confession juive. En effet, les cimetières juifs de la Mouche et de Champagne arrivent à saturation.

 

Faut-il installer un crématorium dans chaque cimetière ou augmenter le nombre de fours dans les crématoriums existants ?

De mon point de vue, il n’est pas nécessaire de créer un crématorium dans chaque cimetière. Par contre, il est indispensable de couvrir l’ensemble du territoire national de crématoriums. En effet certains territoires à l’exemple de la Haute Loire n’ont pas de crématorium ce qui contraint les gens d’aller à Saint-Étienne, Clermont Ferrand ou Lyon. Alors qu’à Roanne, le crématorium de la ville est situé en face de celui de la ville voisine, dans la même rue !

 

Désormais, la compétence de construire de nouveaux cimetières ne relève plus des communes, mais de la Communauté urbaine. Les cimetières devraient-ils relever exclusivement des compétences communautaires ?

Il me semble qu’effectivement l’agglomération est la bonne échelle pour gérer les cimetières. Cela permettrait de travailler sur une seule base de données, d’accorder les modes de faire et d’avoir une approche globale plus adaptée au bassin de vie et aux attentes des personnes. Est-ce cohérent que le cimetière de Caluire et Cuire et celui de la Croix-Rousse distants de 800 mètres soient gérés différemment l’un de l’autre ?

 

Les cimetières communautaires sont gérés par délégation de service public. Pensez-vous qu’il serait souhaitable d’opter pour un mode de gestion unifié sur l’ensemble de l’agglomération ?

Pour envisager cette question, il me semble important de distinguer la partie administrative de la partie technique. Je pense que la délivrance des titres de concessions, les autorisations d’inhumation, ou l’encaissement, doivent rester à la commune ou à la Communauté urbaine si demain celle-ci se dote d’un service dédié. Cependant, la partie technique de la gestion des cimetières - les reprises de concessions, les inhumations ou la construction de nouveaux caveaux - peut tout à fait être confiée à une SEM ou à une entreprise par délégation de service public.

L’essentiel est d’impliquer les communes dans l’élaboration d’un cahier des charges précis et de leur permettre d’être en coresponsabilité des espaces avec l’opérateur. Le système actuel de le la Ville de Lyon qui travaille avec les Pompes funèbres intercommunales (Pfi) - un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) qui gère pour la ville le crematorium, les chambres funéraires et les salles de cérémonies et assure dans un même temps une prestation de pompes funèbres - n’existe pas ailleurs en France où en grande majorité ce sont des SEM qui gèrent les espaces funéraires. Une réflexion est en cours pour  envisager la création d’une Société Publique Locale (SPL).

 

Comment s’organise la collaboration entre la ville et les entreprises de pompes funèbres ?

Depuis 2007, la ville organise tous les semestres une réunion avec les marbriers et les entreprises de pompes funèbres.
Il existe une centaine d’entreprises dans l’agglomération et souvent elles sont à la fois marbriers et pompes funèbres. On connaît généralement les plus importantes comme les pompes funèbres générales (Pfg), les pompes funèbres intercommunales (Pfi), ou Roc Eclerc, mais il existe aussi nombre de petites entreprises, plus familiales. De plus certaines sont spécialisées sur les obsèques confessionnelles comme les pompes funèbres musulmanes ou arméniennes.

L’objectif de ces rencontres est d’aborder les questions en cours, de s’interroger ensemble pour progresser dans l’information aux familles par exemple ou encore d’échanger différentes informations sur l’activité du funéraire. Les entreprises sont très en demande et aujourd’hui des entreprises non lyonnaises veulent également participer à ce temps d’échange. Ce sont les entreprises de pompes funèbres qui accueillent et accompagnent les personnes.

 

Ce travail d’accompagnement fait-il l’objet d’évaluation ?

L’important est de garantir le libre choix des familles. Ce qui est essentiel, et c’est vraiment le conseil principal à donner aux familles, est d’avoir confiance en la personne qui va assurer l’accompagnement. Peu importe que l’on fasse appel à une entreprise privée ou publique, petite ou grande ; ce qui est fondamental, c’est la relation humaine et la qualité de l’information. Il ne faut pas hésiter à partir si une telle relation ne s’instaure pas, si l’on ne se sent pas en confiance. L’avantage des petites entreprises est d’offrir un même interlocuteur tout au long de la démarche, ce qui peut être rassurant pour les familles. Légalement, la collectivité, la ville, ne peut pas intervenir sur la qualité de l’accueil développé par les entreprises, ni sur leurs stratégies de vente. C’est pourquoi, il est important de maintenir un service public concurrentiel.

La ville d’Orange a développé un service funéraire complet particulièrement attractif avec un accueil et un accompagnement de qualité et des tarifs très bas, environ 1500€ pour une inhumation et 1200€ pour une crémation. De fait, ce service répond à 97% des demandes et le secteur privé n’existe pas. En Espagne, certes du temps de Franco, tous les Espagnols payaient dès leur naissance un impôt « obsèques » et en contrepartie, l’État prenait en charge leurs obsèques. Ce principe présente trois avantages, celui de protéger les familles, celui d’alimenter les recettes de l’Etat et celui de ne pas développer de concurrence avec des entreprises privées. Il est important parfois de rappeler l’impact que peut avoir un service public sur le secteur privé.

 

Ne faudrait-il pas penser à un service public de la mort comme il existe un service public pour le baptême républicain ou les mariages ?

Une telle solution aurait été intéressante quand il n’y avait que le seul recours aux cérémonies religieuses pour commémorer un mort. Aujourd’hui, il existe des salles de cérémonies laïques qui de plus sont souvent à proximité des cimetières ou des salles funéraires.

 

 

Cimetière et patrimoine

 

Vous avez co-écrit un vadémécum « Construire le cimetière de demain. Clés de gestion et de valorisation » pour faciliter la mise en valeur du patrimoine des cimetières. Pourquoi la gestion de ce patrimoine est-elle si compliquée ?

La gestion de ce patrimoine est compliquée car personne ne s’est intéressé à cette question. De fait, il n’existe pas de textes précis qui correspondent aux réalités d’aujourd’hui. Le cimetière est un espace hybride, là la fois public et privé. Avec Patrimoine Rhônalpin, on tente de sensibiliser les élus pour qu’un texte adapté aux réalités soit enfin élaboré. Un projet de loi porté par le sénateur Jean-Pierre Sueur est en réflexion depuis 2003 mais n’a pas abouti dans la loi de 2008 ; et pourtant, nous devons vraiment progresser sur les questions de patrimoine, de protection ou de réglementation.

Il est important de protéger ce patrimoine constitué en grande partie de monuments remarquables. Ces derniers représentaient la famille et avaient de l’importance. Aujourd’hui, ce sont les plaques qui comptent.

A Lyon, nous avons lancé une étude patrimoine avec des préconisations juridiques et conduit un travail avec la DRAC et les architectes des bâtiments de France pour sans doute se diriger vers un cahier des charges aux familles par avenant au règlement intérieur du cimetière. Par ailleurs, nous lançons une opération de sensibilisation à l’occasion du bicentenaire du cimetière de Loyasse.

 

Qui visite les cimetières de la ville ?

Auparavant le public des visiteurs de cimetière était un public très ciblé, constitué essentiellement d’historiens et de chercheurs. Aujourd’hui, ce public s’est diversifié et l’on trouve aussi bien des curieux que des « morbides » qui cherchent le frisson, je pense à Dark Tourism ou au tourisme gothique, que des touristes bien plus traditionnels intéressés par l’histoire que raconte le lieu. Par ailleurs, nombre de lyonnais souhaitent mieux connaître les cimetières de leur ville après en avoir visité à l’étranger.

Nous ouvrons les cimetières dans le cadre des journées du patrimoine depuis 4 ou 5 ans et si les premières années on comptait près de 50 visiteurs, on en accueille aujourd’hui plus de 400. L’office du tourisme organise des visites sur commande pour des groupes de 25 personnes mais aussi Jean-Luc CHAVENT de TLM ou certaines associations à l’exemple des passagers de l’histoire.

 

A l’évidence, les cimetières anciens, au premier rang desquels celui du père Lachaise, ont une valeur patrimoniale importante. Les cimetières plus récents peuvent-ils revendiquer une valeur patrimoniale ?

Par exemple, le cimetière de Bron n’abrite effectivement pas de chapelles ou de bâtiments funéraires remarquables. Néanmoins, il a une valeur patrimoniale. En effet, il appartient aux cimetières paysagés construits dans les années 1980 et il est tout à fait caractéristique d’une époque.

 

L’art funéraire est assez classique et semble avoir peu évolué. Est-ce parce que la mort est un sujet tabou ? Ne mériterait-il pas d’être renouvelé ? L’artiste a t-il une place au cimetière ? Ne serait-ce pas une occasion pour redonner aux cimetières une valeur patrimoniale ?

L’art funéraire est surtout une mode du XIXème siècle lorsque les sculpteurs utilisaient des références antiques, qui ont eu une résonnance particulière chez les gens compte tenu de leur dimension symbolique, et des symboles chrétiens. Les monuments totalement personnalisés du début du XIXème siècle étaient composés d’une stèle pour écrire le nom, de deux acrotères par référence antique et d’une couronne qui signifie l’infini. Plus tard, les monuments ont été agrémentés de sabliers, chouette ou fleurs, autant d’éléments symboliques. Avec l’industrialisation, la fleur a été un élément particulièrement repris. Aujourd’hui, on assiste à une uniformisation avec un choix de pierre tombale et stèle qui se porte plus sur le granit, un matériau digne qui ne nécessite pas d’entretien et qui vieillit bien, que sur un bâtiment personnalisé. Nous sommes toutefois sollicités par les compagnons des devoirs unis ou par les petits frères des pauvres pour la création de monuments plus pensés et artistiques. Lorsque nous avons travaillé sur la création de jardin de la mémoire qui accueille tous ceux qui n’ont pas de sépulture, nous avons conduit une réflexion bien au delà des simples aspects techniques avec un architecte particulièrement intéressant Pedro ANDRADE ILVA. De mon point de vue, l’artiste a toute sa place car il peut induire un autre regard et permettre une plus grande personnalisation.

Au cimetière de la Croix Rousse, une personne a carrelé avec beaucoup de soin la dalle de la concession où se trouve sa femme : n’est-ce pas la plus belle façon de commémorer quelqu’un que de créer pour lui plutôt que d’acheter quelque chose de standardisé ?

 

 

Place des cimetières dans la ville

 

Comment le cimetière peut-il plus s’ouvrir sur la ville ?

Il existe encore beaucoup de réticences à l’idée d’ouvrir plus le cimetière sur la ville. Le premier frein est législatif. Les communes ont, en matière de surveillance des cimetières, une obligation de moyens. Au cimetière de Loyasse, nous avons été confrontés à de nombreux vols et c’est pourquoi nous avons voulu l’ouvrir plus encore aux visites patrimoniales. Quand il est ouvert, le cimetière de la Guillotière est traversé par des piétons qui ainsi se rendent plus facilement d’un quartier à l’autre. Les visites, et plus globalement une plus grande fréquentation constituent une forme de surveillance. Cependant, la loi impose des limites à cette ouverture qu’aucune ville n’est prête à dépasser. Le cimetière est perçu comme un espace fermé, à protéger. Or, c’est un lieu naturel, un îlot de verdure en cœur de ville qu’il est intéressant de confirmer dans sa vocation écologique. C’est aussi un lieu de patrimoine et cet aspect commence enfin à être reconnu. Nous pourrions le rendre plus visible de l’extérieur et, à l’intérieur, créer des espaces de pauses qui offrent des vues.

Le cimetière est aussi un lieu pour les vivants. Et, je suis persuadée qu’en ouvrant plus les cimetières sur la ville, on permet de faire tomber des tabous et des appréhensions. La mort fait partie de la vie même si elle dérange. C’est ce souci d’ouverture qui guide l’organisation du bicentenaire du cimetière de Loyasse que nous sommes entrain d’organiser. Nous voulons ouvrir le cimetière sur la vie lyonnaise. C’est pourquoi nous envisageons différentes manifestations avec de la musique, des photos, des rencontres où l’on parle de la vie, de la mort et surtout des gens ! « Le vrai tombeau des morts, c’est la mémoire des vivants ».

 

Quels nouveaux usages le cimetière pourrait-il accueillir ?

Le cimetière peut accueillir de nouveaux usages : être traversé, permettre par exemple la déambulation, la lecture, le jogging, le yoga ou d’autres pratiques de méditation qui participent de l’appropriation du lieu. Cependant, il convient de veiller à ce que ces nouveaux usages ne perturbent pas l’esprit du lieu et sa première vocation : le repos des morts et le respect de la mémoire. Dans les cimetières espagnols il y a des distributeurs de coca cola et de café, l’entrée des cimetières cubains est payante, les cimetières italiens sont également très vivants, mais en France nous sommes encore très attachés à la quiétude du lieu.

 

Selon vous, quel serait le cimetière idéal ?

Bien sûr, en réponse à cette question on est tenté de proposer une organisation très ordonnée, avec une grande allée centrale bordée d’ifs si symboliques ; le columbarium, les cavurnes et le jardin de dispersion à l’entrée ; puis les espaces dédiés aux caveaux, les tombes pleine terre et enfin les stèles. Mais ne serait-ce pas triste que de proposer un cimetière trop ordonné ? Ne serait-ce pas plus dynamique que de penser l’espace sur un principe de diversité, de mélange, de mixité ?

L’essentiel est que le lieu soit « cosy », végétalisé, respectueux de l’intime. A Budapest, le cimetière est traversé par une grande allée qui ouvre sur une diversités de coins qui offrent des ambiances très différentes, variées, organisées par les gens eux mêmes et pas seulement dans une logique imposée par les pompes funèbres. Il serait souhaitable de permettre l’appropriation et l’initiative, pour moi le maître mot est liberté.

Il est important également que le lieu soit ouvert, notamment qu’il offre des vues, pour ne pas séparer autant le monde des morts de celui des vivants. Ainsi, et de mon point de vue, le cimetière idéal est un cimetière approprié, plus ouvert sur la ville ; un lieu pour les morts mais aussi pour les vivants.