Vous êtes ici :

La gastronomie, un secteur emblématique pour lyon

Interview de Christophe MARGUIN

Photographie de l'intérieur d'une cuisine

<< Aujourd’hui, on retrouve la convivialité qui existait autrefois entre les chefs de la génération de Bocuse, Nandron, Orsi, etc. C’est la base de tout >>.

Comment va-t-on gérer l'après Bocuse ? L'image gastronomique de la ville ne va-t-elle pas pâtir de cette nouvelle donne ? Comment la restauration a-t-elle évolué et quels sont les projets identifiables et représentatifs de cette évolution ? Quel est le rôle des produits locaux ? 

Afin de redonner un coup de fouet  à ce secteur emblématique que représente la gastronomie à Lyon, La Ville de Lyon réfléchit actuellement sur la création d'un événement axé sur la "bonne cuisine".

Rencontre avec le cuisinier Christophe Marguin nouveau président des Toques Blanches.

Date : 19/04/2006

Lyon est-elle toujours la capitale de la gastronomie ? Et d’ailleurs, le terme de gastronomie convient-il vraiment pour décrire la réalité de la cuisine lyonnaise ? Est-ce qu’il n’apporte pas une connotation trop élitiste, au détriment de la convivialité ?

« Gastronomie » est un terme qui s’applique bien à la France ; la gastronomie, c’est la France. En Italie, quatre restaurants ont trois étoiles, trois seulement en Allemagne… Ensuite, en France, la capitale de la gastronomie, c’est Lyon. Il est vrai que deux régions en particulier, l’Alsace et la Provence Alpes-Côte d’Azur, nous attaquent sur ce terrain. Mais nous avons la particularité d’être une ville, une ville au centre d’un territoire.

Par ailleurs, nous avons deux atouts. La nouvelle génération de chefs est très bonne et on a la chance extraordinaire que cette génération s’entende bien. Aujourd’hui, on retrouve la convivialité qui existait autrefois entre les chefs de la génération de Bocuse, Nandron, Orsi, etc. C’est la base de tout. C’est ça qui a fait la force de la génération de mon père. Ils se faisaient des canulars, des coups pendables, il y avait une vraie complicité entre eux. On retrouve cette ambiance entre nous, même si on reste des enfants sages à côté d’eux ! Entre la génération de Bocuse et la nôtre, il y a eu un trou. Beaucoup n’étaient pas cuisiniers dans leur affaire, et ils ont été bloqués par une génération très forte et assez écrasante. Aujourd’hui Bocuse laisse de la place à notre génération. Nous sommes sollicités, de plus en plus souvent, et Bocuse, un peu moins. Disons également qu’il a moins envie de répondre. On a aujourd’hui la liberté de faire et la chance fabuleuse que les anciens nous soutiennent. Lacombe, Bocuse, Orsi ; ce sont eux qui ont fait l’image de la ville.

 

Comment voyez-vous l’après Bocuse ?

Je pense qu’aujourd’hui ce qui est important dans notre génération, c’est qu’il n’y a pas de guerre de clan, parce que personne ne cherche à se mettre en avant. Et c’est un point positif. Bocuse avait le monopole de ce genre de choses. Tant qu’il était là, personne ne pouvait se le permettre. Mais aujourd’hui, alors que la nouvelle génération pourrait le faire, elle ne le fait pas. D’ailleurs, il vaut mieux qu’elle reste unie car après Bocuse le meneur médiatique sera Alain Ducasse et il n’est pas à Lyon. Bocuse a beau être très critiqué, il garde encore sa place et tout le monde la respecte. Profitons encore, tant qu’il est là, de ce qu’il nous apporte.

 

Sans Bocuse, Lyon peut-elle garder cette image ?
Oui, grâce à la nouvelle génération qui là et qui est forte.

 

Est-ce que vous pensez qu’il manque des « étoiles » à Lyon ?

Les étoiles, ça a aujourd’hui moins de valeur auprès de la clientèle. J’en n’ai pas. Si on m’en donne une, je ne cracherai pas dans la soupe, mais je n’irai pas pleurer pour en avoir une. Les étoiles peuvent faire la différence pour une clientèle étrangère, mais ce n’est pas elle qui nous fait vivre. Ceux qui nous font vivre sont de la région et ils viennent chez nous. La réputation d’un établissement passe aussi par d’autres voies que le Michelin…

 

On parle d’une crise de la restauration, vous la ressentez ?

Ce n’est pas une crise de la restauration, c’est une crise économique. Or beaucoup de nos clients sont des industriels ; ce sont aussi les repas d’affaire qui font vivre nos maisons. D’ailleurs, quand la cuisine est bonne, les maisons tournent bien. Et puis il ne faut pas oublier l’importance d’être présent dans les restaurants et d’accueillir les gens qui viennent.

 

Aujourd’hui la cuisine évolue. On se préoccupe de santé, il y a les cuisines nouvelles, moléculaires, etc. Comment Lyon doit-elle se situer dans cette évolution pour ne pas rater le train ? Faut-il évoluer pour rester dans cette auréole gastronomique ou faut-il conserver nos traditions ?

L’image de la ville est très belle. Il faut se méfier des phénomènes de mode. On a eu la nouvelle cuisine, on trouve aujourd’hui, ici où là en Europe, des engouements comme la cuisine moléculaire mais, au fond, ce ne sont que des phénomènes éphémères. Ça ne marche pas.

 

Il semble pourtant que le souci de la santé corresponde à un vrai mouvement de fond…

Nous sommes des cuisiniers, pas des médecins. Un jour, Paul Bocuse m’a dit : « Toi, n’enlève pas tes volailles et tes grenouilles de la carte. Dans 10 ans, plus personne ne saura faire et tout le monde aimera toujours ». Cela fait bien 30 ans que la carte de Bocuse n’a pas bougé. D’une manière générale, la cuisine s’est un peu allégée et tous les cuisiniers en tiennent compte. Mais les gens aiment cette nourriture. La cuisine des bouchons n’est pas une cuisine allégée, et pourtant, combien jouent sur cette image « bouchon » ! Si on ne mange pas forcément comme ça chez soi, on peut avoir envie de ça au restaurant. Ça fait partie du plaisir et de la convivialité que de se permettre ça.

Notre souci à tous, c’est la qualité des produits. La base de la cuisine est là. La bonne cuisine est une cuisine saine et la qualité des produits s’est améliorée avec le temps. D’ailleurs, c’est parce que les produits sont de meilleure qualité que la cuisine s’est allégée : que peut-on ajouter à une volaille de Bresse rôtie !

 

Vous venez de prendre la présidence des Toques Blanches. Quel est votre positionnement ? Qu’avez-vous envie de faire ?

Nous voulons nous ouvrir sur la région et ne pas faire une cuisine élitiste. Pour l’association, cela signifie qu’elle doit s’ouvrir. Bien sûr, nous ne sommes pas prêts à faire entrer n’importe qui ! Mais c’est important de nous ouvrir et notamment aux femmes que nous voudrions intégrer. Peut importe s’il s’agit de bistrots ou de restaurants. Nous souhaitons qu’il y ait de tout, du trois étoiles au bouchon lyonnais. Il faut cultiver la diversité de la cuisine lyonnaise tout en en conservant la qualité. L’essentiel, c’est que ce soit bon.

 

Cela va-t-il jusqu’à intégrer des restaurants à « concepts », des cuisines du monde, etc. ?

Ce que l’on souhaite, c’est attirer des chefs qui restent. Encore une fois, on ne cherche pas des phénomènes de mode. On entre dans l’association grâce au parrainage de deux membres et après avis favorable du bureau qui se réunit deux fois par an et décide à la majorité. Mais on ne cherche pas à faire masse — nous sommes déjà la plus importante association de cuisiniers en France —, on cherche des gens motivés, prêts à s’engager. Aujourd’hui, on est respecté par les autres régions. Les parisiens nous ont par exemple demandé s’ils pouvaient créer une filiale des Toques Blanches à Paris.

Ce que je souhaite également, c’est que de plus en plus, nous accueillions des chefs patrons de leur affaires afin de trouver une vraie stabilité. Et puis Nicolas Le Bec ou Mathieu Vianney, pour ne citer qu’eux, sont dans une position plus difficile que d’autres chefs qui sont soutenus par des groupes. Ils engagent leur argent. Les groupes peuvent investir dans une cuisine ou compléter une brigade pour viser une étoile supplémentaire et proposer une cuisine de prestige qui rapporte, en terme d’image, que ce soit à un casino ou à un hôtel.

 

Quels sont les projets que vous souhaitez développer ?

Nous voudrions travailler avec la région. Je crois qu’il faut qu’on travaille avec des gens de chez nous et que l’on développe des partenariats avec des producteurs locaux. On le fait déjà avec R3AP, mais ce sont des collaborations que l’on souhaiterait développer.

Pour ce qui est des opérations de promotion et de communication, nous avons peu de moyens car la cotisation est peu élevée. Il faut donc que l’on trouve des financements récurrents pour pouvoir agir sans manger notre trésor de guerre. Notre image est belle, mais il faut la maintenir et pour ça on a besoin de communiquer.

 

Un label pour les produits et les restaurants peut aider à communiquer ?

C’est fini les labels ! Personne ne répond. Nous, le label des Toques Blanches nous intéresse, mais comment le mettre en avant ! Il faut qu’on communique sur notre identité. Qu’est-ce qui à Lyon, est lyonnais et symbolise la ville ? L’Olympique lyonnais et la gastronomie lyonnaise. Il n’y a pas vraiment d’autre réflexe d’associations entre Lyon et un symbole. La lumière, la mode oui, mais c’est plus élitiste. La cuisine concerne tout le monde, touche tous les milieux sociaux, rassemble tout le monde !

 

Pourquoi mettre l’accent sur les producteurs locaux ?

Si Lyon a cette réputation, c’est parce qu’elle est située au cœur d’une région unique. A l’intérieur d’un cercle tracé autour de Lyon, on trouve des bœufs du Charollais, des volailles de Bresse, des poissons de Saône, les vins du Bugey, du Beaujolais, des côtes du Rhône, des fruits et des légumes de la vallée du Rhône, etc. C’est pour ça qu’il faut qu’on travaille ensemble. On a un intérêt commun.

 

La ville de Lyon réfléchit à la création d’un événement grand public, le long d’un quai par exemple, et qui associerait les chefs et les producteurs. Une sorte de « festival de la bonne cuisine ».

C’est bien et ce n’est pas difficile à organiser. Sur un quai, c’est une bonne idée. Il est possible de préparer un peu à l’avance, d’associer ça à un marché, le matin et le début de l’après-midi (que les chefs puissent être en cuisine le soir…). On pourrait faire des flans de courgettes, des tartes à la rhubarbe, etc. On peut trouver 30 chefs pour faire ça.

Nous sommes très partant pour des opérations de communication, pour croiser les métiers, travailler autour de l’image de la cuisine, des chefs. Nous avions fait quelque chose qui avait bien fonctionné pour l’inauguration de la Biennale d’art contemporain avec Hermès. On est demandeur. Je termine par une anecdote qui va dans ce sens... Pour les 100 ans de la maison, j’ai fait faire une veste de cuisine par Nicolas Fafiotte, avec la carte du restaurant imprimée dessus…