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Les questions environnementales vues par l'association Robins des villes

Interview de Blandine ROME

<< Limiter l'étalement sans densifier la ville est un vrai défi >>.

Blandine Rome, architecte, est membre de l'association Robins des Villes qui mène depuis 1997 diverses actions de sensibilisation au cadre de vie urbain (urbanisme, architecture, paysages).

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Date : 16/09/2001

Pourquoi agir sur le cadre urbain, et à quel niveau se situe votre action ?
A mes yeux, ce cadre est insatisfaisant. Les actions de Robins des Villes ne  transforment pas directement notre environnement; elles relèvent davantage de la sensibilisation, de l'explication, de la formation. On cherche à donner des clés de lecture du "système ville", c'est-à-dire une culture générale de la  ville dans ses paysages, ses aspects techniques, ses acteurs, son patrimoine, la manière dont elle s'est construite. Cette approche ne consiste jamais à découper l'environnement en sous-thèmes, eau, air, énergie, arbres, etc, découpage qui convient aux techniciens pour délimiter leurs zones d'actions, mais qui ne convient pas au citoyen. 
On explique par exemple le POS [Plan d'Occupation des Sols] aux enfants des CP, en montrant que la ville est régie par des règles, comme dans une classe. Si tout le monde construit n'importe où, on ne peut plus se déplacer. On va par exemple suivre un chantier situé près de l'école et examiner le fonctionnement des permis de construire, ou à la mairie se faire expliquer le POS.
Quand un enfant en CP comprend ne serait - ce qu'un peu ce fonctionnement, il sera peut-être plus enclin, une fois adulte, à s'intéresser à une enquête publique, à ce qu'on construit autour de chez lui; c'est-à-dire ne pas être dans la situation de subir, mais d'agir, de connaître les règles, de provoquer des projets. Des lois sont promulguées, mais elles ne sont pas connues. Les enfants qui ont compris ce système iront davantage, en grandissant, vers des actes citoyens.

 

Quels sont, à votre sens, les défis posés généralement par les questions environnementales au niveau d'une agglomération comme Lyon ?
Limiter l'étalement sans densifier la ville est un vrai défi : comment faire pour que les villes restent vivables. Faut-il par exemple décider que Lyon ne  grandisse plus, et développer des petits pôles autour de l'agglomération, en revenant à une échelle plus humaine.
Il faut aussi savoir limiter les axes de communication : on construit par exemple une autoroute entre Lyon et Saint-Etienne. Les Stéphanois pourront la prendre le week-end pour se rendre à Auchan ou à IKEA dans la périphérie de Lyon, mais je ne suis pas sûr que cela soit bon pour le tissu urbain local. De telles liaisons produisent de l'étalement car on peut aller habiter, travailler, etc, de plus en plus loin. Le développement des communications et de la vitesse de ces communications est un phénomène global, qui va du transport au téléphone portable ou au mail.
Or, toutes les communications ne sont pas forcément bonnes. Un autre défi est celui de la qualité des espaces dans la ville, notamment des espaces verts. Il faudrait que la qualité des espaces soit à peu près équivalente, que chaque habitant, où qu'il se trouve dans la ville, puisse aller facilement à un square, qu'il puisse se promener à vélo, faire des activités sportives, culturelles. Or, ce n'est pas le cas actuellement. Alors que toutes les échelles devraient être concernées par les espaces verts, seule l'agglomération est assez bien équipée. Il manque toutes les autres échelles : celle du quartier, celle des îlots, et celle de l'habitat. Par ailleurs, on subit le logement. Normalement, chacun a des envies, des désirs, aussi bien quand il s'agit de choisir ce qu'il mange que pour se loger, et ces envies ne sont pas celles du voisin. Or, comment peut-on concrétiser ses envies en terme de logement ? Il n'est pas normal que ceux qui puissent faire ces choix soient les élites.

 

L'environnement est devenu une préoccupation forte des Lyonnais (et des Français en général). Mais suffit-il que quelqu'un soit sensibilisé pour qu'il change de comportement effectif et fasse passer l'intérêt collectif devant son intérêt individuel ?
Je crois que l'environnement passe d'abord par l'individu, par un intérêt  individuel et non pas collectif. Je pense qu'il faut être individualiste, c'est-à-dire penser à sa santé, à son bien-être, à sa qualité de vie, pour que cela devienne un intérêt général. Passer des heures dans un embouteillage, fumer sa clope dans la voiture avec les gamins derrière, laisser sa voiture sur le trottoir, c'est d'abord s'embêter soi-même. Dans ce cas, on subit un système dont on n'est pas conscient. Il n'y a pas de respect de l'environnement car il n'y a pas de respect de soi. Quand on travaille avec des gamins, on remarque souvent qu'ils n'ont même  pas acquis le respect de soi - bien manger, savoir se reposer, etc. - Dans ce  cas, on ne peut pas passer au respect de l'autre, puis au respect de l'environnement. Quand les deux premières "phases" sont acquises, le respect de l'environnement va tout seul. Le respect de l'environnement est donc individuel avant d'être collectif. Quand on est dans le collectif, on pense que "les autres gèrent pour moi et à ma place."

 

Concrètement, comment sensibiliser les habitants - et en l'occurrence les enfants puisque vous travaillez beaucoup avec eux - au respect de l'environnement ?
On apprend aux enfants à porter un autre regard : ce n'est pas forcément parce qu'on leur dit de quelque chose que c'est bien ou mal que ça l'est pour tout le monde ou au bout de la chaîne. Je prends l'exemple d'une observation que l'on réalise avec les enfants pour me faire comprendre : on jette un papier dans la bonne poubelle, celle du tri. Mais si les éboueurs mélangent le papier avec d'autres déchets - des éboueurs nous ont dit que cela arrivait -, notre geste initial est bon, mais la chaîne ne suit pas. On peut également faire un travail avec les enfants sur les déchets trouvés dans le quartier, par exemple leur demander de réaliser leur cahier d'étude avec du papier récupéré dans l'école. Ces dispositifs sont beaucoup plus intelligents que ceux qui consistent à dire aux enfants, "il faut recycler", ou "il ne faut pas jeter ses papiers par terre". A partir de ces actions, on peut impliquer d'autres enfants, les parents, etc.

 

Lors des actions de sensibilisation menées auprès des enfants, quelles préoccupations environnementales percevez-vous ?
Dans le cadre de ces actions, on commence par discuter avec les enfants, et puis progressivement apparaît un besoin : le principal problème ou besoin est celui des déplacements. Ce qui importe aux enfants, ce n'est pas d'avoir moins de pollution. Quand ils tiennent ce propos, ils reproduisent un discours d'adultes. A leur échelle, ce qui les intéresse, ce sont les déplacements inter-quartiers, les problèmes à l'école, l'insécurité sur le quartier, le mal-être adolescent. A Vaulx-en-Velin par exemple, des enfants ont mené un projet sur un passage piéton portable. Ils le déroulent dans la rue pour se sentir plus libres, ce qui est significatif d'un problème de sécurité qu'ils ressentent dans leurs déplacements.
D'autres enfants se sont dit : "on habite Vaulx-en-Velin Sud et on ne peut pas  aller au cinéma qui se trouve au nord de la commune; que pourrait-on mettre  en place pour y arriver plus facilement". Ils ont conçu un projet de métro sur  Vaulx-en-Velin qui correspond d'ailleurs à un véritable besoin. Ils ont prévu  une station près du marché, une autre près d'une grande surface, une autre dans le centre-ville pour profiter des commerces, et une à Miribel-Jonage pour les loisirs. C'est finalement une lecture de la ville pertinente. Il y a donc un projet qui se met en place. Les "anciens" apprennent aux enfants qu'il y avait un tramway à Vaulx-en-Velin. On découvre également qu'il y a des caisses pleines de projets. On construit donc un rêve. Souvent on le provoque, car les gens manquent de rêves, ils n'y croient pas, ils n'imaginent pas le futur ou bien le voient très sombre.

 

Avez-vous noté, depuis la création de l'association en 1997, un changement dans les attitudes des élus, des décideurs économiques, vis-à-vis des thèmes environnementaux ?
Nous nous sommes surtout rendus compte que l'on pouvait faire de l'argent avec l'environnement. Sous prétexte d'environnement et d'écologie, on fait l'inverse de ce qui est prévu, ce qui est une forme d'escroquerie. Des entreprises se revendiquent du développement durable mais continuent à spéculer. De même, quand Jacques Chirac devient "Vert", on devine que cela doit payer aujourd'hui de se dire préoccupé par l'environnement. C'est la raison pour laquelle le Grand Lyon doit faire attention à la façon dont sont employés les mots.
Par ailleurs, sous prétexte de préservation de l'environnement, on fait passer  des mesures qui vont dans un sens opposé.
Par exemple la loi SRU densifie les quartiers sous prétexte de préserver les  espaces naturels : il devient possible sur une seule parcelle de ne pas mettre d'espace vert par exemple. On va rendre la ville plus invivable et y perdre en qualité de vie. Les gagnants de cette densification sont les politiques, qui y gagnent par les taxes d'habitations, et les promoteurs, privés ou publics.
Ils pourront exploiter les moindres parcelles, faire monter les immeubles au  maximum. Il est improbable qu'un promoteur choisisse délibérément de construire un peu moins haut un immeuble pour qu'il y ait une lumière plus belle, afin que dans la rue et dans les appartements les gens se sentent mieux. Dans dix ans et du fait de cette loi, la ville aura totalement changé de visage. Il faudrait plus de promoteurs militants, comme le père Bernard Devert 1 . Et de notre côté, celui des architectes, il faut changer également nos façons de faire. Pour vivre quand on est libéral, on est souvent prêt à vendre sa signature. Même les plus grands architectes l'on fait.

 

Vous parlez d'approche plus individuelle de l'environnement. Faut-il rapprocher la gestion de l'environnement des citoyens, permettre aux habitants d'agir plus directement ?
On oublie trop souvent une échelle très intéressante, celle des quartiers.  Elle convient à l'action humaine, elle est suffisamment proche pour que les  gens soient concernés. Cette échelle permet également la diversité urbaine : si les habitants d'un quartier se mobilisent, ils peuvent arriver à une belle  réalisation que l'on ne trouvera pas dans un autre quartier. Enfin, il est suffisamment vaste pour qu'il y ait renouvellement d'idées.  Si pour la démocratie, l'échelle du quartier est intéressante, pour l'environnement, c'est celle de l'îlot, du groupe d'habitats. La question est alors de trouver les moyens d'arriver à un îlot complètement écologique, avec recyclage des déchets sur place, sans qu'il y ait de circulation à une échelle plus vaste. L'îlot est une échelle qui permet à la fois la mutualisation et la gestion de systèmes complexes. Il serait intéressant par exemple d'arriver à se détacher du réseau du tout à l'égout. Ce réseau a des inconvénients : infiltration des eaux de pluies, grosses unités de recyclage qui dénaturent des sites et qui, quand il y a trop d'eau, remettent l'eau dans l'environnement sans la traiter. Il serait intéressant de recycler l'eau sur place; faire en sorte qu'il y ait des zones d'infiltration pour les eaux de pluie, ce qui remettrait en cause la ville telle qu'elle est pensée actuellement avec ses grands nappages de goudron. Il serait intéressant également de se chauffer en partie avec ses déchets. Cela apporterait une relative indépendance au niveau du gaz et du pétrole. On pourrait ainsi multiplier les dispositifs, par exemple utiliser l'eau de pluie pour les chasses d'eau, placer des petites éoliennes sur les toits plutôt que d'avoir de grandes éoliennes qui ont de nombreux inconvénients - bruit, dénaturation des paysages, oiseaux -, etc. Pour penser global, il faut penser petit.
Lyon devrait d'abord travailler sur le local, sur les squares, sur la qualité de ce qui est proposé, sur la qualité des trottoirs pour passer en poussette  par exemple, avant de penser à l'international, au développement des échanges et au tourisme à grande échelle.

1. Promoteur et prêtre fondateur de l'association Habitat et Humanisme. Il invente des formes d'habitat social intégrées à la ville, qui permettent notamment aux populations les moins favorisées de rester dans les centre-villes.