Au démarrage de Gare Remix, les discours introductifs entretiennent une ambiguïté quant à la liberté donnée aux participants dans la réalisation de leurs prototypes. L’écart est important entre l’invitation au hacking1, à « renouveler l’expérience de la gare2» et créer des « services innovants pour les clients du train3». La commande est précisée dans un document présentant douze personnages fictifs de la gare Saint-Paul qui formalisent un diagnostic et émettent des idées à même d’orienter le hack de la gare Saint-Paul.
Comment les participants ont-ils interprété la commande et l’ambiguïté relative aux discours introductifs ? Les concepts mis en avant et les prototypes proposent de nouveaux usages dans la gare et sur le parvis. Les services rendus relèvent surtout de l’occupation du temps d’attente,
de manière ludique, poétique et sensible. Trois projets ont d’abord pour ambition la création de liens sociaux dans la gare. Trois autres ciblent les touristes et les riverains. Par ailleurs, un prototype s’est nourri d’une des revendications des habitants et des commerçants du quartier Saint-Paul concernant la remise en marche de l’horloge de la gare. Si les prototypes réalisés sont novateurs, ils ne ciblent pas les « clients du train » exclusivement. Il s’agit là d’une forme de résistance à l’instrumentation du hacking, ce qui constitue à notre sens un des apports majeurs du dispositif.
Steven Levy retrace l’histoire du hacking en remontant aux années 1940 sur le campus du Massachussetts Institute of Technology (MIT). à ce moment-là, le terme désignait « au-delà de simples objectifs constructifs, un projet conduit, ou un produit fabriqué en ressentant un immense plaisir du simple fait de s’y impliquer ». Le terme s’est depuis centré autour de l’idée du détournement, qu’il s’agisse d’un objet, d’un espace ou d’une norme. Alors que la figure du hacker a longtemps été mise au ban, elle redevient populaire avec la montée en puissance du mouvement « faire » tel que le décrit Michel Lallement. Polysémique, elle est à la fois synonyme de piraterie, de liberté, d’engagement politique, de créativité et d’innovation. A l’origine, le hackathon, organisé par les hackers pour les hackers, vise le développement de logiciels libres et open source dans un temps contraint. Les entreprises l’ont depuis longtemps repris à leur compte, le partage du code en moins. Dans le champ de l’action publique, on observe l’appropriation du hacking au sein de dispositifs institutionnels4. Gare Remix en est un exemple, reprenant ici le format du hackathon, sa sémantique, ainsi que le principe de documentation des prototypes. Cette appropriation est loin d’être neutre et contribue à la re-définition du hacking. En effet, à Gare Remix comme ailleurs, des objectifs ambitieux sont posés en termes de production. Le temps et l’espace sont quadrillés, encadrés ; les participants finement sélectionnés.
Ce type de dispositifs pose plus largement la question de l’instrumentation du hacking dans l’action publique. Ce sont tant des expérimentations pour renouveler la démocratie participative en mal de bonnes pratiques que la mise en réseau d’acteurs issus de la classe « créative », qu’il s’agit d’intégrer sociologiquement et symboliquement dans la configuration de gouvernance. La figure de l’habitant ou de l’usager s’efface au profit de l’implication d’acteurs nouveaux et de profils inédits en termes de compétences et de réseaux (laboratoires de fabrication numérique, « hacktivistes », designers...). Par ailleurs, la place accordée aux acteurs privés interroge. Comment garantir, pour l’institution, l’usage des productions dans le respect du droit d’auteur ? Ici, le dispositif institutionnel alimente la réflexion de la SNCF sur les services à apporter en gare tout en protégeant les productions des participants par l’utilisation des licences libres. En cela, Gare Remix apporte une piste de réponse intéressante face aux défis posés par ce type de dispositif d’innovation ouverte mêlant acteurs publics et privés.