[Infographie] Rendre la ville perméable, un impératif face au changement climatique
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Il faut rendre la ville plus perméable. Mais comment faire ?
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Texte de Philippe Clergeau
La diversité du vivant intègre la richesse en espèces, la variabilité génétique et la diversité des fonctions écologiques et des écosystèmes. La biodiversité intègre à la fois les relations entre ces compartiments et des enjeux pour la population humaine. En aucun cas on ne peut restreindre la biodiversité à une liste d’espèces. Pour en avoir beaucoup, il suffit d’en introduire ou bien de perturber le milieu, gage d’apparition d’espèces généralistes (qui par leur plasticité comportementale peuvent occuper des habitats très différents). De plus en plus, les écologues soulignent l’importance de prendre en compte le fonctionnement du système (par exemple la cohérence des chaînes alimentaires) et la présence des espèces rares qui sont le plus souvent des espèces spécialistes (adaptées à l’utilisation d’un seul type d’habitat dans lequel elles sont très performantes).
La biodiversité concernait encore récemment essentiellement les espèces sauvages présentes dans les espaces plus ou moins naturels, depuis les montagnes, zones humides et mers jusqu’aux zones agricoles. Les animaux domestiqués, par exemple les vaches en milieu agricole, ne sont en général pas intégrés dans la biodiversité en espèce, même s’ils peuvent avoir un rôle dans le fonctionnement écologique global du système. Mais en ville peut-on conserver cette attitude ? La place d’espèces exotiques (plantes ou animaux qui ont été introduits depuis d’autres continents dans nos jardins ou nos mares) ou d’animaux de compagnie y est telle que leur rôle peut devenir fondamental. Par exemple, le chat qui est le principal prédateur de la faune urbaine joue un rôle considérable dans le fonctionnement du système et dans la disparition de nombreuses espèces. Est-il possible alors de l’écarter des inventaires parce que c’est une espèce non sauvage ? Difficile de trancher car accepter de lui donner toute sa place dans la biodiversité c’est aussi accepter que toutes les espèces exotiques ou domestiquées puissent devenir le fondement d’une nature non plus autochtone (les espèces qui composent nos faunes et nos flores forment des ensembles originaux) mais beaucoup plus banalisée (ce sont les mêmes espèces généralistes que l’on retrouverait dans tous les milieux et sous toutes les latitudes !).
La ville est a priori faite pour l’homme, pas pour la nature. Et tout développement de celle-ci ne sera possible que si le citadin l’accepte sous ses différentes facettes. Car s’il est bien le premier à réclamer une nature de proximité avec des espaces de verdure et des espèces sauvages dans son quartier, il est aussi le premier à refuser celles qui piquent, font sales ou pourraient être dangereuses. Même si c’est bien la diversité en espèce sauvage qui est retenue, la définition d’une biodiversité urbaine reste donc encore très ouverte.
On peut parler d’un écosystème urbain car la ville a ses propres caractéristiques de climatologie (températures plus élevées…), de sol (déstructuré, pollué…), de luminosité (quasi permanente…), de perturbations (parmi les plus importantes…), etc.
Cet écosystème s’est formé au cours de l’histoire récente et présente une évolution très rapide qui va expliquer l’apparition d’espèces végétales puis animales. Avant le milieu du XIXe siècle, les jardins publics, parcs et promenades, étaient rares dans les villes ouest européennes, les pressions combinées de mise en scène paysagère, d’acclimatation d’espèces exotiques puis d’hygiénisme ont abouti à la construction de nombreux parcs urbains dans la plupart de nos villes. Les types de parcs d’abord très entretenus avec leurs paysages de mosaïques de fleurs ont ensuite évolué vers les jardins anglais plus romantiques puis vers la présentation de zones de plus en plus naturelles. Au fur et à mesure, ces espaces de détente se rapprochent ainsi d’une végétation plus sauvage, des arbres sont plantés en abondance sur les boulevards et les jardins privés abandonnent progressivement leur caractère de potager. Ces espaces et leurs gestions de plus en plus écologiques offrent de nouveaux abris et de nouvelles ressources à des espèces animales et végétales qui colonisent la ville depuis les campagnes proches et s’installent.
Le phénomène est donc récent et sa dynamique s’amplifie d’autant plus que des zones humides (avec leurs roseaux et leurs grenouilles) ou des friches (avec leur fouillis de végétaux plus ou moins spontanés) sont des nouveaux espaces créés qui vont accueillir des espèces qui n’étaient pas encore présentes dans la ville. On ne peut cependant pas dire que la ville est un refuge pour la biodiversité et qu’il y a plus de nature en ville qu’en campagne.
Les villes restent encore très déficitaires en espèces et c’est seulement quand on compare les grandes cultures de la Beauce avec des jardins naturels urbains que la ville présente plus d’espèces animales et végétales.
Cette évolution accompagne une demande sociale également en pleine transformation. Le citadin veut une nature de proximité, riche en espèces animales et végétales, et pas n’importe quelles espèces. Il préfère la plupart du temps celles qu’il connaît et qui composent le cadre campagnard de sa région, même s’il reste encore prudent par rapport à certaines espèces sauvages jugées dangereuses. En ville, l’Homme bénéficie aussi de nombreux services rendus par la Nature. La présence d’une biodiversité urbaine améliore le cadre de vie (bienêtre, création de liens sociaux, récréation et loisir, santé) et sert de support pour des transports alternatifs (vélos, piétons) jusque dans le périurbain (liaisons ville-campagne), quand la largeur permet les fonctions nature et transports. Elle régule également certains problèmes environnementaux en réduisant l’imperméabilisation du sol pour les eaux de pluie, en fixant le particulaire atmosphérique, en stockant du CO, en faisant baisser significativement la température du boulevard, etc.
Nos travaux recherchent quelles sont les espèces qui peuvent s’installer dans la ville et tentent d’établir des typologies en la comparant à la campagne. Chez les plantes, les traits les plus généralement notés sont des capacités reproductrices accrues comme la production de petites graines facilement disséminées, la reproduction rapide ou la tolérance à des perturbations comme le piétinement. Récemment, il a aussi été mis en évidence l’interrelation entre une nitrification du sol urbain par les pollutions atmosphériques et la facilitation des espèces végétales les plus nitrophiles. Pour les oiseaux, c’est avant tout le caractère de généraliste que ce soit pour l’habitat ou pour l’alimentation qui est remarquable. Ces larges tolérances, que l’on retrouve aussi chez certains mammifères urbains (renard par exemple), sont aussi facilitées par la grégarité qui favorise les alimentations de nombreux individus sur des ressources souvent ponctuelles. Nous étudions aussi comment la structure des peuplements animaux répond à l’organisation du tissu urbain.
D’une manière générale, le nombre d’espèces décroît au fur et à mesure que l’on rentre dans la ville de plus en plus dense. Les espèces volantes (oiseaux, libellules…) qui arrivent à s’affranchir des obstacles que constituent les bâtiments sont les plus nombreuses. La ville est ainsi capable d’accueillir une avifaune riche, même en son cœur, si les espaces de végétation offrent suffisamment de ressources. En revanche, le nombre d’espèces de mammifères diminue très rapidement dès l’entrée dans le tissu urbain. La qualité de l’habitat ne suffit pas pour ces animaux terrestres, il y a un problème de capacité de déplacement qui implique directement la structure du tissu urbain. On illustre donc ici différents niveaux d’organisation écologique, comme le local avec ses ressources disponibles ou le paysage avec ses contraintes aux déplacements permettant le cheminement depuis la campagne source d’espèces. Mais les espèces elles-mêmes sont capables d’adaptation et peuvent répondre aux caractéristiques de l’écosystème urbain.
Ainsi le faucon crécerelle qui, en campagne, chasse ses proies (essentiellement des campagnols) avec son célèbre vol en Saint Esprit, mange plutôt des moineaux en ville et change de techniques de chasse (plus à l’affût). Cela lui a permis de nicher jusqu’au cœur de la plupart des capitales européennes. Les goélands et les renards se sont mis aux ordures ménagères et les hérissons aux croquettes pour chien… Mais il y a aussi adaptation aux contraintes de déplacement, le renard par exemple va avoir un territoire plus petit en ville mais aussi moins stable dans le temps, le pissenlit va émettre plus de grosses graines que de graines légères en ville pour assurer sa pérennité, etc.
Si on veut encore franchir une étape pour obtenir une biodiversité riche et fonctionnelle, il faut redonner la possibilité à de nombreuses espèces de cheminer dans l’espace construit, tout comme cela est promu dans l’espace agricole. Il faut éviter les barrières d’urbanisation aux dispersions régionales des espèces. On parle alors de maintenir ou de restaurer des corridors écologiques pour relier différents parcs entre eux et avec les forêts périurbaines. L’idée de la trame verte qui est constituée essentiellement des taches d’habitat (les forêts par exemple) et des corridors qui les relient (chemins creux, suite de bois proches) peut donc être proposée aussi en ville. C’est une préoccupation aujourd’hui très forte en planification urbaine.
Il convient cependant d’être vigilant sur ces corridors qui peuvent aussi permettre la sortie des espèces exotiques de la ville vers la campagne. Ce type d’infrastructure verte doit donc s’accompagner d’une gestion cohérente globale qui doit amener le jardinier des espaces publics et privés à s’interroger sur les espèces qu’il introduit et où il le fait. La biodiversité en ville et l’efficacité des corridors écologiques sera intimement lié à l’investissement de chacun dans le projet de ville de demain.
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