Veille M3 / Le sport, un accélérateur de prospective
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Synthèse du cycle de veille prospective consacrée au sport, ce champ où se rencontrent économie, écologie, technologie, santé et citoyenneté.
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Sur le chemin qui mène au Jeux de Paris en 2024, l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep) ne se contente pas d’accompagner les jeunes athlètes. Il publie également les travaux de sciences humaines consacrés au passé, au présent et à l’avenir du sport et de ses valeurs. Pourquoi cet intérêt pour la recherche ? Après être parvenu à remettre aux goûts du jour les Olympiades, Pierre de Coubertin envisageait déjà la nécessité d’un champ de recherche académique dédié à ces questions. Il faudra finalement attendre 1982 pour que Juan Antonio Samaranch, président du Comité international olympique, inaugure son Centre d’études de Lausanne.
L’ouvrage collectif Les Défis de l'Olympisme, entre héritage et innovation, s’inscrit dans cette dynamique portée par l’Académie nationale olympique et son centre de recherche, le Centre d’études olympiques français, où se développe une réflexion croisant les évaluations des valeurs de l’Olympisme et de la marque qu’il représente.
Avant tout, cette volonté de penser l’Olympisme et le système qui l’entoure doit permettre sa remise en question, et son inéluctable mutation. Les différents auteurs impliqués vont ainsi jusqu’à formuler des propositions visant à améliorer l’organisation d’un écosystème transnational et multisectoriel. L’ouvrage analyse ainsi l’Olympisme sous trois angles : l’histoire, la sociologie et l’analyse discursive, puis le management.
Sur le fond, l’objectif commun est de dresser un constat non-exhaustif d’enjeux sociaux et sociétaux qui bousculent aujourd’hui « l’Olympisme », depuis les principes énoncés dans sa Charte, jusque dans sa mémoire, encore trop peu explorée. Au fil des dix chapitres, il est ainsi question de littérature, de patriarcat, de (néo)colonialisme, de genres réels, supposés, fantasmés, naturels ou revendiqués, de responsabilité sociale, partagée ou non, de valeurs et d’image de marque, de la valeur d’une marque, des partenaires et des sponsors, de l’e-sport, d’un héritage antique et de la conquête du jeune public, de capacité dynamique, de résilience, de performances, et d’ambivalence.
C’est en effet dans un certain flou idéologique, à mi-chemin entre exercice de soft power et art de regarder ailleurs, que « l’esprit olympique » a pu survivre à deux guerre mondiales, à une guerre froide, et à l’irruption d’Internet. Pourtant, l’heure n’est pas à l’autocélébration. À force de vouloir ménager toutes les parties, le CIO – qui regroupait 206 États en 2020, soit 13 de plus que l’Onu la même année – est en quête de sens, et de cap à suivre.
Depuis le renoncement à l’amateurisme originel, la montée en puissance des sponsors, partenaires indispensables au financement de chaque édition, a entériné l’ancrage des JO dans la sphère du sport business. Pourtant, le capital le plus important sur lequel s’appuie le mouvement olympique est symbolique. S’inscrivant dans les pas de glorieux héros antiques, les champions d’aujourd’hui se doivent d’incarner une humanité réunie autour des valeurs d'excellence, d'amitié et de respect.
À la différence d’un grand prix de Formule 1 ou d’une coupe du monde de football, les Jeux olympiques ne se contentent pas de garantir un grand spectacle. Depuis près d’un siècle et demi, le discours qui leur est associé formule la promesse d’une contribution active à l’émergence d’un monde meilleur.
Malgré la réputation de moins en moins flatteuse des instances olympiques, il serait réducteur de porter sur elles un regard cynique : le CIO en particulier est parfaitement conscient de l’importance de son exemplarité. L’Olympisme ne cherche pas à fournir des émotions fortes, il vise l’écriture de légendes, faute de quoi il n’est qu’un barnum supplémentaire dans la longue liste des programmes sportifs dont les droits TV se payent en milliards de dollars.
Conscient de la crise qu’il traverse, le monde de l’Olympisme a conçu un Agenda 2020 tourné vers la durabilité, qui ne peut se permettre d’être un simple outil de communication. Non seulement les villes candidates sont de plus en plus rares, leurs habitants n’acceptant plus de supporter les coûts et les contraintes d’une telle organisation, mais les jeunes générations se détournent de plus en plus de ces retransmissions de disciplines certes historiques, mais qui ne font plus vibrer les foules. Il est donc grand temps de rajeunir son image, comme l’évoquent Florian Lefebvre et Nicolas Besombes.
L’arrivée du breakdance ou du skateboard démontrent bien la volonté de reconquérir les cœurs des plus jeunes. La création des Jeux olympiques de la Jeunesse, dont la première édition eut lieu en 2010 à Singapour, va dans ce sens. De même, le rapprochement continu entre le CIO et les acteurs de l’e-sport laissent augurer des JO 3.0 où les plus grandes stars pourraient être assises dans des fauteuils, une manette dans les mains, les yeux rivés sur des écrans, bien loin de l’imaginaire antique. Enfin, l’effort de « glocalisation », illustré par l’arrivée du baseball au JO de Tokyo, vise à rapprocher le programme de chaque édition des spécificités culturelles du pays hôte, ce sport étant très populaire dans l’archipel, et confirme la stratégie de renouvellement de l’offre pour mieux répondre à de nouvelles attentes.
Lors du Congrès olympique de 1894 de la Sorbonne, fondateur des Jeux modernes, Pierre de Coubertin avait obtenu que les épreuves soient pour l’essentiel réservées aux amateurs. Dans l’esprit du baron, il est avant tout question de comportements chevaleresques censés inspirer le reste de la société. Mais à partir de 1973, le CIO revient sur cette position, et les jeux de Los Angeles, en 1984, financés par ses sponsors, seront tout autant un succès populaire que financier, avec 223 millions d’euros de profit. Le CIO s’appuie sur un modèle économique où la redistribution vers ses fédérations nationales atteint des niveaux rarement vus dans ce type d’organisation, mais la quête de moyens peut conduire à oublier la fin. Il s’agit de mettre « l’expérience client » au cœur du management de grands évènements sportifs internationaux (GESI), qui se doivent d’être « exceptionnels » à chaque édition.
Autre révélateur de changement, l’histoire du traitement institutionnel de la gymnastique rythmique et sportive en Suisse, traité par Grégory Quint et Gil Mayencourt, en dit long sur les multiples obstacles que le sport féminin a dû surmonter pour pouvoir ne serait-ce que prétendre à une légitimité égale à celle de son pendant masculin. En 1978, la Gazette de Lausanne décrit la GRS comme « l’avenir de la gymnastique féminine car elle contient tout ce qui sied à la femme : l’harmonie, l’élégance, la dextérité ».
Au sein du mouvement olympique, en quête d’une « union entre le muscle et l’esprit », la cohabitation entre hommes et femmes s’avère d’autant plus compliquée que la distinction entre les sexes est à la base d’une assurance supposée d’équité dans la compétition. Quelques décennies plus tard, alors que le monde globalisé voit émerger un féminisme renouvelé, les frontières de genres se dissipent, et le biologisme de ces dichotomies est confronté à une remise en question profonde.
La situation de l’athlète sud-africaine Caster Semenya, dont le droit à participer aux épreuves féminines est remis en cause du fait de son taux de testostérone, est ainsi traité au sein de deux chapitres : d’une part au niveau de la question de la performance physique et des contrôles de sexes imposées aux sportives par Anaïs Bohuon et Elsa Dorlon, puis au niveau du traitement médiatique dont la carrière de la championne a fait l’objet, par Sandy Montañola et Aurélie Olivesi.
Alors que nombre de scientifiques affirment l’impossibilité de définir une frontière dans le continuum qui relie hommes et femmes, l’approche strictement médicale promue par l’International Association of Athletics Federations (IAAF) ne parvient pas à s’extirper d’une vision clinique du corps féminin, dont les caractéristiques « officielles » ne peuvent être que des limites quasi-pathologiques. En effet, « les normes sociales influencent jusqu’aux critères scientifiques » (p. 115). Deux féminismes s’opposent alors, l’un exigeant la reconnaissance d’une intersexuation, l’autre prenant la défense de « véritables » femmes lésés par les caractéristiques hormonales de leurs concurrente.
« Moins les gens croient en l’avenir, plus les gens veulent savoir ce que l’avenir leur réserve ». Ces mots sont ceux de Thomas Bach, président du CIO, dans son discours d’ouverture de sa 127ème session à Monaco en 2014.
Comme le démontre Julie Gaucher dans son chapitre consacré à l’héritage littéraire de l’Olympisme, « le groupe nominal “Jeux olympiques“ fonctionne finalement comme une unité signifiante », mais l’enjeu de sa définition reste entier. Espace de luttes tout au long de son histoire, l’idéal olympique fédère un champ multisectoriel unique, allant du CIO aux sponsors en passant par les fédérations sportives de toute échelle et les États. En équilibre permanent entre ses contradictions structurelles, en cultivant par exemple des valeurs altruistes en même temps que l’esprit de compétition, le système olympique est un vaste miroir de nos sociétés, mais il est également un levier d’influence surpuissant.
Pour Mickaël Terrien, qui s’appuie sur l’exemple des fédérations françaises, le développement de la capacité dynamique des organisations, autrement dit leur compétence en matière de conduite du changement face aux crises, doit concerner l’ensemble des parties prenantes du système olympique. L’alignement sur les positions du Conseil de l’Europe en matière de responsabilité sociale partagée confirme la volonté du CIO et de ses partenaires de rapprocher à l’avenir leurs modes opératoires des plus hauts standards environnementaux et sociaux, notamment en travaillant avec des organismes spécialisés dans ces démarches.
L’ampleur des secteurs couverts (construction d’équipements, infrastructures de transport, emploi, animation culturelle, critères de sélection des sponsors, médiatisation, etc.) pourrait ainsi redorer le blason d’une institution qui se positionnerait ainsi dans les prochaines décennies comme la vitrine d’une transition écologique et sociale réussie. C’est en tout cas ce à quoi prétendront les Jeux de 2024 organisés à Paris.
En fixant ses exigences sociales et environnementales plus haut, en poussant ses partenaires à changer leurs comportements plus vite, et en proclamant plus fort un message crédible de paix et de justice, l’Olympisme ne pourrait-il pas devenir demain ce dont il rêvait à ses début, un facteur de progrès humain ?
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