Veille M3 / Le sport, un accélérateur de prospective
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Synthèse du cycle de veille prospective consacrée au sport, ce champ où se rencontrent économie, écologie, technologie, santé et citoyenneté.
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« Panem et circenses » : déjà sous les Romains, les jeux sportifs du cirque étaient une partie intégrante de la pacification de la société. Depuis l’antiquité, le sport a nourri alternativement quatre finalités : militaires, médicales, pédagogiques et athlétiques, sous un parcours complexe loin d’être linéaire. C’est en ce sens que l’État nation, encore en construction au XIXe siècle, s’est autant intéressé à la discipline, à l’hygiène et à la santé. Ces accents hygiénistes n’ont pas disparu : aujourd’hui encore, les politiques nationales et locales entendent agir au travers de la prévention (« manger bouger »), du sport-santé, de l’activité physique des personnes âgées, etc.
Cette attention portée au gouvernement des conduites ne signifie pas, pour autant, que les habitants n’ont pas leur mot à dire : clubs sportifs, sportifs professionnels ou amateurs, groupements de citoyens organisés, start-up… tous contribuent à définir ce que sont ou doivent être les pratiques sportives dans la ville. Plus que jamais, le sport fait l’objet d’attentes colossales – santé, cohésion sociale, loisir, performance – dont les arbitrages auront à être débattus collectivement, projet par projet.
Une direction principale semble orienter l’évolution des diverses pratiques sportives : celle de la quantification. Des auteurs ont pointé un « néo-hygiénisme », où le dépassement de soi, la performance dans un monde toujours plus compétitif fait l’objet d’une logique comptable (rendre des comptes sur des résultats, permettre la comparaison et accepter une hiérarchisation) qui prend le pas sur un « sport loisir » et encadre le « sport santé ».
Sans porter de jugement sur cette tendance, ni réduire toute pratique sportive à cette attente, l’analyse de la quantification nous invite à prendre du recul, tant elle dit de choses sur notre société : identification de soi à un « jumeau numérique », attrait pour des représentations (carto)graphiques, statistiques permettant d’« objectiver » un effort et ses résultats. Outre le nécessaire débat sur les données personnelles, cette tendance interroge la manière de « faire sport » demain : quelle place accorder à cette quantification qui peut pourtant, au-delà de l’image d’une froide posture comptable, devenir un outil efficace de mesure de nos besoins communs ?
Autre tendance : s’agissant de dépasser ses limites, le vrai enjeu ne sera-t-il pas de se surpasser… sans franchir les limites planétaires ? Comme d’autres secteurs, le sport est jugé à l’aune de son empreinte carbone. Il s’agit avant tout d’une question de survie pour certaines pratiques sportives : fonte de la neige menaçant les sports d’hiver, danger d’un effort physique à plus de 33°C… Il pourrait être tentant de porter la responsabilité sur les pratiques individuelles.
Chacun peut avoir un rôle à jouer, mais la transformation d’une économie du sport vers un modèle plus durable implique surtout des orientations politiques (aménagement des infrastructures sportives, accès en transport en commun) et une action des fédérations sportives (organisation d’événements dépendants moins du transport international, rationalisation des trajets). Dans ce domaine, tout reste à accomplir, même s’il est difficile d’évaluer d’où l’on part. Et si demain l’on osait inclure le bilan carbone à la logique comptable de la performance ?
Dans ce contexte, les organisations sportives, qu’elles soient locales, nationales, mondiales, se trouvent dans une situation complexe : elles doivent adapter leurs règles et les valeurs qu’elles promeuvent aux normes évolutives de la société… sans donner l’impression d’une « politisation » encore mal perçue par un pan de la société.
Le cas du Comité olympique est éloquent : tout en inscrivant chaque JO dans la narration d’une contribution à un monde meilleur – ce qui les démarque d’autres événements sportifs –, le Comité olympique doit sans cesse s’adapter : renouvellement de l’offre, gestion du sponsoring, etc. Or, certains conflits de norme impliquent nécessairement une absence de consensus, à l’image des critères biologiques autorisant ou interdisant les athlètes transgenres à concourir dans une catégorie « masculine » ou « féminine ».
Enfin, comme le note le professeur d’histoire des sports Thierry Therret, « on peut lire parfaitement l’état d’une société, ses valeurs, son idéologie, non pas à travers le sport lui-même, mais à travers son utilisation et son exploitation ». Le sport reflète l’évolution de notre société, à l’image des rapports de genre. L’histoire du sport féminin témoigne à cet égard d’un mouvement de bascule, entre répression et reconnaissance des pratiques sportives féminines au cours des XIXe et XXe siècle.
Aujourd’hui, la place accordée aux femmes dans le sport reflète un paradoxe : oui, des avancées concrètes sont observables depuis un demi-siècle (reconnaissance par les fédérations, compétitions « féminines » jusqu’alors réservées aux hommes) et plus encore depuis une décennie (visibilité du football féminin, prise en compte du genre dans les politiques sportives locales)… mais, non, les résultats ne sont pas encore au rendez-vous : écarts de salaire, accès aux infrastructures, etc.
À l’image de la société encore, le sport est traversé par les revendications militantes, qui, si elles ne sont pas nouvelles – rappelons-nous les JO de Mexico en 1968 –, voient leur palette d’action s’élargir : happening, groupes non mixtes, etc.
En quoi ces tendances sont-elles utiles pour un travail de prospective ? Tout d’abord, le sport est un fait social qu’on ne saurait minimiser : quelles sont les aspirations des habitants en termes de pratiques sportives ? Va-t-on vers davantage d’activités dans les espaces publics ou en intérieur ? Collectives ou individuelles ? Récréative ou compétitive ? Quels types d’infrastructures sont attendus : des équipements sportifs, des espaces modulaires, du prêt de matériel, des lieux de stockage, des douches et conciergeries as a service, ou des espaces non dédiés ou s’improviseront les usages (type parkour) ?
Ensuite, les signaux faibles révélés par les pratiques sportives laissent entrevoir des tendances de fond qui structurent notre société. On l’a dit, les controverses autour du droit d’athlètes transgenre à participer à des épreuves sportives dans la catégorie de leur genre et non de leur sexe biologique témoignent de débats de fond sur le continuum de genre, qui n’en sont probablement qu’à leurs débuts.
Le cas de la quantification est également interpellant : elle est certes le reflet de la place accordée à la performance dans la société, mais elle traduit aussi de nouvelles formes de relations sociales, à l’image de réseaux sociaux comme Strava. Se quantifier, c’est aussi se montrer, prolonger la performance sportive en performance d’audience, mais aussi créer un lien avec autrui, sans réduire tout à l’effort sportif. Cette application permet d’ailleurs de prendre des photographies, ajoutant à l’exercice sportif une dimension sensible, l’expérience d’un lieu.
Ces nouveaux usages interrogent : au fond, une collectivité serait-elle légitime à promouvoir ces pratiques déjà existantes de quantification (parce que la pratique est déjà une réalité, parce qu’elle peut être un levier de lien social et d’appropriation du territoire), ou doit-elle au contraire s’en détourner au nom de leurs effets potentiellement « déviants » (utilisation des données personnelles, culte de la performance à rebours d’une pratique sportive plus épanouissante, etc.) ?
Le panorama ne serait pas complet sans la question de « l’exemplarité » sociale et environnementale. D’aucuns attendent du sport qu’il règle tous les défis de la société, en lui supposant un pouvoir et des valeurs plus souvent espérées que démontrées : « sport et » égalités de genre, santés physique et psychique, inclusion, vivre-ensemble, mixité, valeurs républicaines, préservation de l’environnement, etc.
Il ne s’agit pas de remettre en cause ces attentes, mais plutôt de les comprendre comme des aiguillons des sujets qui font débat et qui sont à l’agenda des politiques publiques. La prospective peut outiller chacune de ces problématiques, mais elle peut aussi les assembler et les croiser, les mettre en perspective, ainsi qu’en rappeler les limites, en constatant qu’elles ne sont pas liées par essence au sport, mais dépendantes de contextes sociaux, et de besoins liés à des conjonctures globales.
Par l’analyse du sport, la prospective joue ainsi son rôle : ouvrir les possibles sur le développement des pratiques actuelles, décaler le regard sur les attentes de la société, interpeller sur le rôle des collectivités sur ce sujet, où nombre de questions restent ouvertes. Alors que les modes et rythmes de vie se démultiplient, les conflits de ressources et d’accès aux équipements par exemple exigeront des choix de nature politique. À l’échelle des territoires, il faudra décider de la place à laisser aux pratiques émergentes, autant qu’aux nouveaux types de publics, tout en travaillant à approfondir la dimension inclusive des valeurs que le sport véhicule, telles que la solidarité, le fair-play, et le respect de soi comme de l’autre.
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