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Si toute notre vie sociale tient dans un smartphone, à quoi bon profiter de sorties nocturnes ?
Interview de Valérie Deldrève
La Direction de la Prospective et du Dialogue public a engagé un travail de fond sur la question de la légitimité, qui apparaît comme une question centrale des prochaines années.
Dans cette interview, Valérie Deldrève s’intéresse à la différence entre justice écologique et justice environnementale, et la perception de l’effort écologique des citoyens.
Valérie Deldrève a été maître de conférences à l’Université Lille 1 et est aujourd’hui directrice de recherche en sociologie à l’Institut national de recherche en agriculture, alimentation et environnement — l’INRAE est un organisme de recherche (EPST ou Établissement public à caractère scientifique et technologique) né le 1er janvier 2020 de la fusion entre l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) et l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea).
Valérie Deldrève travaille sur les enjeux d’environnement, de protection de la nature et de ses ressources et de la justice environnementale.
Elle a notamment publié Pour une sociologie des inégalités environnementales (Bruxelles, Peter Lang, 2015) et, récemment, dans la Revue de l’OFCE, « La fabrique des inégalités environnementales en France. Approches sociologiques qualitatives » (Écologie et inégalités, 165, OFCE, Science Po, 2020).
Comment s’articulent les concepts de justice sociale et de justice environnementale dans le contexte français d’aujourd’hui ?
La justice environnementale est un champ de revendications sociales, développé dès les années 80’ aux États-Unis et désormais dans le monde entier, ainsi qu’un véritable champ de recherches. Elle croise les préoccupations de la justice sociale et de la justice écologique, à partir du constat de l’imbrication des deux. De fait, les maux écologiques touchent en plus grande proportion les populations les plus défavorisées. Il y a donc des injustices que l’on peut considérer pour elles-mêmes, en ce qu’elles pèsent sur la nature, mais aussi pour leurs conséquences inégales selon les populations humaines, les groupes sociaux. C’est pourquoi la justice environnementale intègre des revendications de justice écologique et de justice sociale, par exemple dans la lutte contre la surexploitation industrielle des ressources naturelles qui peuvent être aussi vivrières pour des communautés locales ; ou dans celle contre l’exposition aux pollutions qui détériorent l’environnement et ont des effets sur la santé de riverains etc.
Il y a donc un champ de la justice qui s’intéresse uniquement à la nature, que l’on doit distinguer de la jus-tice environnementale ?
Oui, qu’on désigne généralement sous l’appellation de justice écologique. La justice environnementale s’en distingue, en associant la double dimension, sociale et écologique. Dans le champ de l’action publique, on parle de plus en plus de « fair sustainable development » (développement durable et juste). L’importance du pilier social du développement durable et l’exigence d’équité, un peu oubliée, sont ainsi mises en avant. La convergence des luttes contre les inégalités et pour la protection de l’environnement est réaffirmée. On parle également de « Just Conservation » dans les politiques de la nature. Les idées du courant de la justice environnementale imprègnent progressivement les courants dominants de l’écologie, ce qui représente une évolution assez récente au regard de l’écologie des années 1970-90, focalisée sur la nature pour elle-même ou sur l’écoefficacité pour reprendre les termes de Joan Martinez-Alier [1]. En France, c’est à travers les préoccupations pour le changement climatique que des mouvements écologistes se sont approprié le registre de la justice environnementale.
[1] Martínez-Alier J. (2014), "L’écologisme de pauvres. Une étude des conflits environnementaux dans le monde", Les Petits matins/Institut Veblen.
On a le sentiment que la question sociale est arrivée progressivement dans le débat public français à partir de la question du coût de la transition environnementale. Comment répartir ces coûts entre les populations ? Est-ce qu’on s’est écarté du principe de pollueur-payeur pour aller vers une autre norme de justice ?
Les travaux que nous avons menés, notamment avec ma collègue Jacqueline Candau dans le cadre du projet EFFIJIE [1] sur les politiques de l’eau et de la biodiversité, ont porté sur la notion d’effort environnemental. Ils ont montré que les efforts demandés aux personnes pour préserver l’environnement sont inégalement répartis, ce qui génère un sentiment d’injustice. Cela peut entraîner un défaut d’adhésion aux politiques publiques, qui s’explique alors moins par un désintérêt pour la cause environnementale ou pour le changement climatique que par un sentiment d’iniquité de traitement. On a, par exemple, travaillé sur le Parc national des Calanques et les zones de non-pêche. Au départ, la mise en place de zones de non-pêche a suscité l’hostilité des plaisanciers et des pêcheurs professionnels de Marseille mais, avec le temps, le principe a été accepté et relativement respecté. Quelques années après, l’usine Altéo-Gardanne a obtenu une dérogation pour continuer à rejeter les déchets – des boues rouges puis liquides – issus de la production d’alumine, en mer, dans le cœur du Parc national. Et ce malgré la convention de Barcelone qui interdit ces rejets en mer. Bien que cette dérogation ait été soumise à condition (dépollution progressive, comité de suivi…), a dominé clairement le sentiment d’une inégalité de traitement entre l’industriel et les pêcheurs, qui ont alors remis en cause les interdictions liées aux zones de non-pêche.
[1] L'EFFort environnemental comme Inégalité : Justice et Iniquité au nom de l'Environnement. Pour une analyse comparative des politiques de la biodiversité et de l'eau en France métropolitaine et outre-mer – EFFIJI
Vous montrez que l’un des mécanismes de constitution du sentiment d’injustice dépend d’un partage jugé inéquitable de l’effort. Est-ce qu’il y a d’autres mécanismes qui contribuent à la formation des sentiments d’injustices ?
Il y en a plusieurs. D’abord, la comparaison à l’autre qui renvoie à l’iniquité de traitement. On peut également souligner l’importance de la cohérence des politiques publiques telle qu’elle est perçue. Dans l’exemple précité, ce qui a été dénoncé, c’est l’écart entre les décisions prises par l’État d’accepter la demande d’Altéo-Gardanne et l’objectif de préservation des Calanques inhérent à la création d’un parc national. Mais il y a également un sentiment d’inégalité structurelle. D’un côté, les pêcheurs professionnels se sentent inégalement traités par rapport à la filière plaisance et plus encore par rapport à l’usine Altéo, au regard desquels ils n’ont qu’un très faible poids économique. De l’autre, des habitants de Gardanne et leurs voisins de Bouc Bel Air, où s’accumulent les déchets solides – des poussières rouges de bauxite – sur le dépôt de Mange-Garri, se sentent déconsidérés au regard des intérêts associés à Altéo. Ils se disent « citoyens de seconde zone » », tels les perdants d’une « nouvelle lutte des classes », pour reprendre les termes de Monique et Michel Pinçon-Charlot [1], qui opposerait les citoyens ordinaires à une forme d’oligarchie. La santé et l’environnement des « citoyens ordinaires » leur semblent sacrifiés pour la prospérité d’une très grande bourgeoisie, celle des grands groupes de l’industrie et de la finance. Le risque est peut-être cependant que ce sentiment, pour légitime qu’il soit, tende à masquer des situations d’inégalité fortes à l’intérieur-même de la catégorie de « citoyens ordinaires ». Parce que celle-ci n’est pas homogène. Elle compte, par exemple, des ouvriers qui travaillent à l’usine Altéo et qui n’ont pas la possibilité d’exprimer un sentiment d’injustice liée à l’exposition aux risques dans une situation de pénurie d’emplois, et qui se trouvent opposés, dans les mobilisations, à d’autres « citoyens ordinaires » qui subissent les nuisances dues à l’usine. Par ailleurs, la bauxite est importée de Guinée, ce qui implique d’autres formes d’inégalités par-delà les frontières.
[1] Pinçon M. et Pinçon-Charlot M. (2013), "La violence des riches. Chronique d'une immense casse sociale", Paris, La Découverte /Poche.
Comment s’articule ce constat avec l’impression que les sentiments d’injustice et les normes de justice so-ciale s’individualisent ?
Bien que certains chercheurs parlent en effet d’individualisation des sentiments et des normes de justice, je pense, et je ne suis pas la seule bien sûr, que la lecture en termes d’inégalités de classe reste très pertinente pour les lire. Une fois ceci-dit, il faut bien sûr ajouter deux choses importantes. D’abord, on sait combien les contours des classes ont changé ces dernières décennies. De plus, si cette lecture socio-économique reste pertinente, elle n’est pas pour autant suffisante. Elle doit s’articuler, en effet, dans une lecture plus intersectionnelle, aux inégalités de genre, les inégalités ethno-raciales ou encore liées à l’immigration, etc. Les premières mobilisations de justice environnementales étudiées aux Etats-Unis ont permis de dénoncer le fait que les pauvres et les minorités ethniques étaient en « première ligne » pour reprendre l’expression de Robert Bullard [1], ce qui est déjà une forme de lecture intersectionnelle. Celui-ci a montré [2], par exemple, que les enfants des familles à bas revenus étaient davantage touchés que les autres par le saturnisme mais qu’à revenu égal les enfants des familles afro et latino-américaines l’étaient davantage. C’est cette finesse d’analyse que permet une approche intersectionnelle.
[1] Bullard R.D. (2010) Les pauvres en première ligne. In: Our Planet.
[2] Bullard R.D. (2001) Environmental Justice in the 21st Century: Race Still Matters. Phylon, vol. 49, n° 3/4, p. 151-171.
On a également le sentiment que la question du territoire est devenue prégnante dans la question des inégali-tés ressenties. La donnée territoriale se superpose aux données socio-économiques ?
Ces différents types de facteurs s’imbriquent plus qu’ils ne se superposent ou se cumulent, comme l’ont montré Jacqueline Candau et Aurélie Roussary [1], à propos des inégalités d’accès à l’eau potable et agricole à la Réunion : ces inégalités relèvent à la fois de variables socio-économiques, ethnoraciales et spatiales (selon les « Hauts » et les « Bas » de La Réunion). Lucie Laurian [2], pour sa part, a montré qu’en France les sites les plus polluants sont concentrés sur des territoires où vivent les populations les plus pauvres et d’origine étrangère. Bref, ces constats ne concernent pas que les territoires des Etats-Unis.
[1] Caudau J. et Roussary A. (2020), Ce que l’accès à l’eau agricole dit de la fabrique des inégalités environnementales à La Réunion, In Deldrève et Candau éd. "Politiques publiques de l’eau et de la biodiversité : un effort environnemental équitable ?" Ouvrage collectif Effijie. En cours de publication
[2] Laurian, L. (2008) Environmental injustice in France, Journal of Environmental Planning and Management, 51(1): 55-79.
Différentes valeurs ou normes sont mobilisées pour définir ce qui est juste ou non, comme le mérite, l’égalité, la liberté, etc. Est-ce que la justice environnementale fait apparaître de nouvelles normes ?
En justice environnementale, il y a un principe de responsabilité. Pour qu’une mesure soit juste, il faudrait a priori qu’elle demande aux pollueurs de réparer, ou a minima de compenser les dégâts, du moins lorsque cela est possible, certains dégâts étant irrémédiables ou d’une valeur incommensurable pour citer Joan Martinez-Alier [1]. Une des inquiétudes autour d’Altéo-Gardanne est de savoir qui va payer pour réparer les sites terrestres et marins, notamment si l’usine ferme. Cependant, cette question de la responsabilité ou du « pollueur-payeur » est ambivalente, comme en témoigne le mouvement des gilets jaunes. Est-il juste, par exemple, que les populations relativement modestes, qui n’ont pas d’autres choix que de prendre leur voiture, plutôt vieille et polluante, doivent contribuer davantage que d’autres, plus aisés, habitant le centre des villes gentrifié ou ayant les moyens de posséder des véhicules neufs et moins polluants ? Une autre norme ambivalente est celle du mérite. La société française est très méritocratique, mais aujourd’hui l’argument du mérite peine de plus en plus à emporter l’adhésion et à légitimer les inégalités. Dans les débats sur la création de parcs nationaux, on entend souvent cette remarque : certaines populations ne mériteraient pas d’avoir accès à une nature protégée, parce qu’elles ne savent pas en profiter, qu’elles ne se comportent pas comme il faudrait ou plutôt comme on attend qu’elles se comportent, etc. On voit que cette question du mérite, qui est utilisée pour légitimer des inégalités qui seraient justes, est en réalité mobilisée de façon discriminante, comme l’ont montré M. Young et N. Fraser [2]. Qui définit le mérite ? Qui l’évalue ? Quelles conditions précèdent le mérite ainsi défini ? D’une façon plus générale, mieux vaut être prudent car beaucoup des principes de justice qui contribuent à légitimer des inégalités sont en fait très discutables. Aussi la justice environnementale met-elle en avant la justice procédurale – relative à la manière dont on peut produire des décisions justes par la participation à l’action publique, ou encore le recours aux tribunaux…, –, mais aussi la reconnaissance des populations ou groupes sociaux culturellement dominés. Elle met aussi en avant, dans ses Principes édictés en 1991, l’autodétermination des peuples y compris sur le plan environnemental ou encore le droit de chacun droit à vivre et à travailler dans un environnement sain.
[1] Martinez-Alier J. (2008) Conflits écologiques et langage de valorisation. Ecologie et politique, vol. 35, n° 1, p. 97-107.
[2] Young I.M. (1990) Justice and the politics of difference. Princeton University Press. Pinceton.
Fraser N. (2011 [2005]) Qu'est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution. Paris, La Découverte
L’accès à la nature est-il un nouveau droit revendiqué produisant un sentiment d’injustice pour ceux qui n’y accéderaient pas ?
Oui et non. Quand on s’intéresse à l’histoire des grands mouvements de protection de la nature, on voit que cette revendication était avant tout celle d’une élite urbaine. Il s’agissait de protéger la nature pour répondre à des besoins récréatifs, contemplatifs, de ressourcement, et sans inclure dans ce milieu l’homme ou la femme qui y vit ou qui y travaille. Dès le départ, cette ambition n’incluait pas de préoccupation d’équité ou d’égalité sociale, à la différence des revendications d’accès à la terre et aux ressources naturelles, vivrières, de populations plus pauvres. Ce qu’on observe, cependant, dans nos travaux, c’est que les revendications de protection de la nature et d’accès à celle-ci à des fins disons récréatives ne sont pas l’apanage des classes aisées, et peuvent aussi être portées par des classes populaires, surtout pour celles qui, historiquement reléguées en marge des villes, ont pu être en contact avec la nature et développer des rapports étroits avec elle. Les parcs nationaux urbains ou péri-urbains, comme celui des Calanques, pourrait favoriser la reconnaissance de ce droit d’accès pour tous à la nature.
Comment entendre les sentiments d’injustice et les « réparer » ?
On a beaucoup compté sur la participation pour mieux entendre ces sentiments d’injustice. Mais les études qu’on a conduites sur le terrain montrent que ceux qui participent aux scènes de l’action publique, dans les processus de concertation institués, sont ceux qui savent déjà se faire entendre dans l’espace public. Conclusion : cela renforce les asymétries locales. C’est la raison pour laquelle les discours sur la reconnaissance des droits des populations locales et la nécessité de les entendre, de les consulter, ne sont pertinents que si l’on se donne la possibilité de corriger les inégalités d’accès à la parole. Certes ce n’est pas chose facile, mais l’enjeu est important. Je prends l’exemple du risque requin à la Réunion étudié par Marie Thiann Bo Morel [1]. Devant la recrudescence des requins, les surfeurs ont demandé à l’État à être protégés du risque d’attaque. Ils ont remis en cause le bien-fondé de la réserve marine créée il y a plusieurs années et demandé une chasse des requins. On voit qu’il y a des normes de justice qui sont ici mises en avant (accès libre à la mer, sécurité des personnes, etc.), mais aussi qu’elles s’opposent à d’autres normes de justice, en particulier écologique (respect et protection de la biodiversité, de la vie animale). Que doit faire une politique publique ? Et comment décider ? Si on lit cette question de façon intersectionnelle, comme Marie Thiann Bo Morel l’a fait, on s’aperçoit qu’à la Réunion, les surfeurs constituent un public d’origine essentiellement métropolitaine, assez influent et bien organisé pour faire entendre ses revendications auprès de l’État. Il peut sembler juste d’écouter les principes de justices qu’ils mettent en avant et de satisfaire leurs revendications qu’on peut juger légitimes, mais cela signifie qu’on entérine, voire aggrave, les inégalités de participation et de pouvoir locales.
Pour en revenir aux politiques de conservation de la nature, il est actuellement acté que ces politiques doivent être équitables, pour des raisons éthiques mais aussi pour être efficaces (il faut qu’elles suscitent l’adhésion etc.). Mais acter cela n’est pas suffisant. Car qu’est-ce qu’une politique de conservation de la nature équitable ? Selon les acteurs de cette politique et les publics concernés, le sens donné à l’équité peut être différent. Il est difficile alors de prendre en compte les différents principes de justice et les sentiments d’injustice qui se confrontent. Comment les hiérarchiser, arbitrer ? Une proposition peut être de privilégier ceux qui permettent de réduire les inégalités ou, a minima de ne pas les aggraver, en veillant aux intérêts des plus vulnérables pour paraphraser les Political Ecologists [2], ou des moins favorisés dans le langage rawlsien [3]. Cela signifie ne pas de fixer, dans le cadre d’une politique environnementale, des objectifs égaux, identiques à tous les territoires et à toutes les populations qui y résident. Car tous et toutes ne sont pas confrontés aux mêmes enjeux, ni ne disposent des mêmes ressources, notamment financières. Pour que les politiques environnementales soient plus justes, il faudrait qu’elles prennent en compte les inégalités de départ et qu’elles différencient, en fonction d’elles, les contributions demandées. La justice ce ne serait pas alors de fixer le même objectif à tout le monde, mais ce serait de mieux répartir l’effort. C’est ce dont nous avons traité dans le projet Effijie précité. De même, on peut imaginer que dans une Métropole fixer des objectifs identiques à tous les territoires, avec des moyens identiques, n’est pas juste si les inégalités s’en trouvent aggravées.
[1] Thiann-Bo Morel M. (2019) Tensions entre justice environnementale et justice sociale en société postcoloniale : le cas du risque requin, Les nouveaux chantiers de la justice environnementale, Vertigo, vol. 9 Numéro 1 | mars.
[2] Voir entre autres : Gautier D. et Benjaminsen T. (2012), Environnement, discours et pouvoirs. L’approche Political Ecology, Quae, Versailles.
[3] John Rawls (1989) Théorie de la Justice, Le seuil, Paris.
Justement, comment fait-on pour statuer collectivement sur cette question ? Les questions de normes de justice se prêtent-elle à une mise en débat permettant de construire un consensus ?
La recherche du consensus repose sur une vision très habermassienne [1] de l’espace public, c’est-à-dire sur l’idée qu’il permet une confrontation d’arguments rationnels. Or on peut s’interroger sur le fait que c’est bien la force des arguments et la rationalité qui l’emportent et non d’autres considérations. D’abord, les inégalités entre les protagonistes ne sont pas toujours réductibles, dès lors le débat est asymétrique. Par ailleurs, est-ce qu’il est toujours souhaitable de produire du consensus si les mécanismes qui le produisent entérinent ou renforcent les inégalités de participation existantes au profit des publics les plus organisés, les plus « forts » ? Certes, ce sont le plus souvent des « forces vives » des territoires avec lesquelles il faut compter, mais il y a d’autres publics légitimes à entendre et qu’on ne parvient pas à inclure dans les processus de participation tels qu’ils sont institués. Il faudrait alors avoir une bonne connaissance sociologique des territoires, des acteurs politiques et économiques, associatifs, des habitants, pour tenter de rééquilibrer les asymétries de parole et plus largement de pouvoir.
[1] Habermas J. (1997 [1962]) L'espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise. Payot, Paris.
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