Vous êtes ici :

Handicap psychique et logement : une demande d'accompagnement

Interview de Paul MONOT

<< Il ne suffit pas d’avoir une clef, de pousser une porte et d’avoir un toit sur la tête pour habiter quelque-part. Encore faut-il avoir les capacités d’investir psychiquement le logement, ce qui n’est pas évident pour tous ! >>.

Paul Monot est Président de la Coordination 69, soins psychiques et réinsertions sociales, Président d’ASSAGA, association pour l’accompagnement et la guidance vers l’autonomie des personnes handicapées psychiques, ancien directeur de l’Hôpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu.

Dans le cadre de la Conférence d'Agglomération de l'Habitat, le Grand Lyon a initié un travail partenarial dans le but de traiter la situation de familles en grande difficulté dans leur environnement. On a pu  constater, à cette occasion, qu'une part significative des familles approchées compte un de ses  membres comme souffrant de troubles psychologiques ou psychiatriques importants. La nature de ces troubles  dépasse les compétences des organismes qui interviennent habituellement en matière d'accompagnement social lié au logement. Pour y remédier, une démarche a été engagée avec les hôpitaux psychiatriques de l'agglomération lyonnaise et avec tous les organismes concernés par la santé mentale. L’objectif étant  de concilier le maintien ou l’accès au logement,  pour les personnes souffrant de troubles et d’assurer la tranquillité pour tous. Le Grand Lyon copilote ce projet avec l’État, en lien avec un  nombre important de partenaires : hôpitaux, bailleurs sociaux, bailleurs privés, CAF de Lyon, associations….Les « 4 familles » de partenaires sont parties prenantes à ce projet (les bailleurs, les  hôpitaux, les associations et les familles, les intervenants sociaux et médico-sociaux).

Réalisée par :

Date : 22/12/2008

Vous côtoyez depuis des années des personnes en souffrance psychique. La représentation que s’en fait le grand public est-elle proche de la réalité ?

La « folie » fait partie des grandes peurs collectives venues du fond des âges ! En France, le retard des mentalités au regard du handicap psychique est assez considérable. L’évolution de la prise en charge psychiatrique, aujourd’hui majoritairement ambulatoire, a été très peu intégrée dans les consciences. L’image de l’enfermement asilaire subsiste, alors que les personnes handicapées psychiques vivent désormais au sein de la société. Un autre facteur discriminant est la montée en épingle systématique de faits divers commis par des malades : or, proportionnellement, le nombre d’individus potentiellement dangereux est moindre que dans la population totale ! Les médias font régulièrement l’amalgame entre « maladie mentale » et « dangerosité », ce qui contribue à stigmatiser dans l’opinion publique l’image du handicap psychique. Les réactions de rejet et de crainte restent par conséquent majoritaires.

 

Comment la maladie psychique est-elle habituellement détectée ?

Les pathologies à l’origine du handicap psychique se révèlent généralement chez le jeune adulte, à un âge où le projet de vie est en pleine construction. La schizophrénie, par exemple, touche souvent des étudiants. D’un seul coup, le délire survient, « coup de tonnerre dans un ciel serein »… Toute la famille s’en trouve déstabilisée. Les symptômes avant coureurs sont, en réalité, nombreux mais régulièrement sous-estimés. Les premiers réflexes sont de minimiser : « son amie l’a quitté, c’est le choc, ça va aller mieux… ». Les gens ont tendance à éviter le soin lourd, par peur du diagnostic. Chez le malade, le déni est très fort, il fait quasi partie de la pathologie. Dès qu’il se sent mieux, le malade interrompt son traitement, et un jour ou l’autre les troubles réapparaissent. Tout l’enjeu est de rendre l’individu acteur par rapport à la maladie et au traitement thérapeutique, ceci pour permettre un soin au long cours. Car c’est la continuité du suivi qui facilitera une certaine stabilité, et, à terme, l’intégration sociale du patient.

 

Comment, concrètement, se traduit le « handicap psychique » ?

Ce peut être des troubles de la pensée, de la volonté, des idées obsessionnelles, des sentiments de persécution. Ce peut aussi être des troubles de la perception, de la communication… La personne peut avoir des difficultés à se concentrer longtemps sur une activité, elle peut ressentir rapidement une grande impatience. Quelles que soient les manifestations, c’est souvent extrêmement invalidant au niveau de la vie sociale et professionnelle : la société se montre de plus en plus imperméable à ce qui dérange, à ce qui met en insécurité ou ce qui fait peur. La majorité des personnes handicapées psychiques est dans l’incapacité de travailler sans un accompagnement humain adéquat. La plupart vivent de l’Allocation Adulte Handicapé. Cumulant handicap psychique et pauvreté, beaucoup connaissent des problèmes d’intégration, notamment par absence de travail ou de logement adapté.

 

Qu’en est-il concernant le logement ?

La question du chez soi est essentielle pour tout être humain. Être en sécurité dans un logement conditionne en grande partie le sentiment d’appartenance à une communauté. Mais il ne suffit pas d’avoir une clef, de pousser une porte et d’avoir un toit sur la tête pour habiter quelque-part. Encore faut-il avoir les capacités d’investir psychiquement le logement, ce qui n’est pas évident pour tous ! Une personne handicapée psychique a déjà du mal à habiter en elle-même… C’est la notion de contenance qui semble ici en jeu. Certains auront tendance à se laisser envahir par d’autres personnes ou en entassant des objets. D’autres témoigneront d’une incapacité à déposer des émotions et il y aura très peu d’objets personnels, les murs resteront nus. Le logement pourra être perçu comme un simple lieu de passage, ou bien un lieu d’enfermement. Des personnes qui ont été sans domicile fixe pendant longtemps peuvent ainsi préférer rester dans la rue parce qu’il y a du mouvement, de la vie. Les relations avec le voisinage refléteront cette difficulté à tisser du lien avec l’environnement au sens large.

 

Comment faciliter la vie de personnes handicapées psychiques ?

Une personne âgée ayant des difficultés à monter les escaliers se trouvera en situation de handicap si elle loge au 6e étage sans ascenseur. Si elle vit au rez-de-chaussée, sa vie se poursuivra normalement. Quelqu’un en fauteuil roulant verra son niveau de handicap diminuer si l’aménagement urbain prévoit des pentes douces en lieu et place de trottoirs et d’escaliers abrupts. La compensation du handicap a été posée par la loi comme l’un des principes fondamentaux de l’égalité et de la vie collective. L’accompagnement social est le principal mode de compensation pour le handicap psychique. Un tuteur ou un accompagnateur constitue un élément de stabilité et de sécurité pour une personne handicapée psychique.  Dans « accompagnement », il faut entendre « compagnon », « être avec et non à la place de » !
Les personnes souffrant d’un handicap psychique ont généralement besoin d’avoir un quotidien très ritualisé. Tout changement, même minime, va être difficile à gérer s’il n’est pas préparé longtemps à l’avance : horaires, rythmes, lieux, collègues de travail… Pour un entretien de recrutement fixé à 9h, il ne sera pas étonnant de voir arriver la personne à 6h, parce qu’elle y pense depuis 8 jours et qu’elle n’aura pas réussi à dormir de la nuit ! Dans un service psychiatrique, l’annonce faite à un patient de sa sortie prochaine pourra déclencher une forte crise d’angoisse, suivie d’une période de décompensation... D’où la nécessité d’avoir des durées d’hospitalisation les plus courtes possibles pour ne pas créer de situation d’institutionnalisation.

 

Quel type d’accompagnement social existe-t-il aujourd’hui ?

Il y a des Services d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) financés par le Département, et des Services d’accompagnement médico-social pour handicapés psychiques (SAMSHA) relevant du Département et de l’Assurance Maladie. L’idéal est d’avoir le même travailleur social qui vient rendre visite à la personne pour voir si tout va bien, pour la soutenir dans son projet de vie ou, éventuellement, pour servir de médiateur avec l’entourage si besoin est. En pratique, la personne handicapée psychique a souvent à traiter avec différents services, où aucun professionnel n’a de visibilité globale de son état. Il est important de travailler davantage avec les bailleurs sociaux qui sont aux premières loges en cas d’anomalie (odeurs suspectes, bruits, nuisances diverses…) et qui ne savent pas toujours où s’adresser.

 

Vous évoquiez tout à l’heure des logements adaptés, de quoi s’agit-il ?

Il s’agit de « maisons relais » ou « résidences accueil », des formules qui fonctionnent plutôt bien. Ce sont des immeubles de 20 à 25 grands studios où vivent aussi une maitresse de maison et un animateur. Ces derniers ont une fonction de prévention et de régulation sociale auprès des locataires. L’idée, transposable, est de créer une sorte de vie de village au sein d’un immeuble. Socialement parlant, la suppression des postes de concierges a été une grande erreur, qui commence d’ailleurs à être réparée dans nombre d’habitats sociaux. Avoir quelqu’un de responsable des relations dans un immeuble est important : la fragilité des handicapés psychiques les laisse peu capables de se défendre. Du fait de leur incompétence sociale et de leurs troubles du comportement, ils sont régulièrement victimes d’agressions. Leur tendance est de s’isoler.

 

Sur quels leviers s’appuyer pour faciliter l’intégration des handicapés psychiques ?

Sur tout ce qui permet de créer du lien social ! A ce titre, les Groupes d’Entraide Mutuelle (GEM) offrent l’occasion à des personnes atteintes d’une même pathologie de se rencontrer et de partager des activités. C’est un premier moyen d’intégration pour des gens qui sont, parfois, coupés de tout. La qualité de l’accompagnement social est, ensuite, déterminante pour favoriser l’ouverture de la personne sur d’autres activités. L’enjeu est qu’elle ait un temps d’appropriation suffisant pour que le caractère stressant et déstabilisant de la nouveauté disparaisse. Elle pourra alors s’investir, mais à son propre rythme. Il est important de restituer socialement l’activité : pour un atelier théâtre, ce sera, par exemple, donner une représentation de fin d’année.

 

L’accompagnement individuel fait souvent défaut, par manque de moyens. Comment stimuler malgré tout leur sentiment d’utilité sociale, indispensable à une bonne intégration ?

Il est vrai que le sentiment d’utilité sociale est très structurant pour tout un chacun. Je peux citer cette expérience vécue : à Oullins, des handicapés psychiques « chroniques » ont été installés dans une petite unité au cœur d’un lotissement. Avec 20 à 30 ans d’hôpital psychiatrique derrière eux, ils ont démontré une forte capacité à nouer des relations avec les gens isolés du lotissement, notamment les personnes âgées ! Etant disponibles et agréables, ils se faisaient inviter à boire le café, à papoter… Comme tout cela s’est déroulé naturellement, sans stress, ils ont réussi, à la surprise de tous, à réinjecter de l’humanité là où il en manquait ! Une personne handicapée psychique peut aussi parfaitement s’investir dans l’entretien d’un jardin. En fait, ce sont des gens qui connaissent des troubles de la volition, ils ont besoin d’être régulièrement sollicités. Ceci dit, il suffit de leur présenter un dispositif où ils peuvent s’insérer et être reconnus pour qu’ils s’investissent, à leur propre rythme.