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Isabelle Condemine, Responsable de l’action culturelle dans les quartiers pour le Mécénat de la Caisse des Dépôts et Consignations : « Les pratiques amateurs ont très souvent une dimension sociale parce qu’elles mobilisent des jeunes sur un projet »

Interview de Isabelle Condemine

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Date : 12/07/2000

Pourriez-vous nous expliquer pourquoi la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC) a orienté son action de mécénat vers les quartiers ?

Le soutien à l’action culturelle en direction des quartiers en difficulté, est en fait le prolongement naturel de notre activité

Depuis la création de la mission mécénat de la CDC en 1981, nous soutenons les arts contemporains – la musique, la danse, les arts plastiques – et pratiquons des actions de solidarité. Il s’agit à la fois de mécénat humanitaire et d’interventions dans le cadre de la Politique de la Ville. Les opérations sur les quartiers initiées en 1993 s’inscrivent dans ce deuxième volet « solidarité » de notre mécénat. Aujourd’hui, notre budget est de 1,8 MF venu des Directions Régionales de la CDC.

Le soutien à l’action culturelle en direction des quartiers en difficulté, est en fait le prolongement naturel de notre activité : la CDC est un établissement public, spécialisé entre autres, dans le prêt aux collectivités locales et notamment dans le prêt pour la construction d’habitat social. Sa mission d’intérêt général l’a orienté vers une implication forte dans le financement du développement social urbain.

Par ailleurs, le mécénat en direction des quartiers défavorisés économiquement a coïncidé avec le développement de la Politique de la Ville et notamment de son volet culturel : le programme développement solidarité (PDS) devenu depuis 1998 le programme de renouvellement urbain.

Ce programme de mécénat accompagne donc sur le plan culturel les efforts entrepris par la Caisse des dépôts aux côtés de l’État dans le domaine de la Politique de la Ville.

 

Quels sont les principaux axes de votre politique ?

Nous soutenons également des dispositifs innovants de formations préqualifiantes, pour les jeunes qui ont décroché du système scolaire

Nous intervenons de deux façons. D’une part pour accompagner les pratiques amateurs des jeunes. Ce soutien vise à favoriser l’expression culturelle de tous, en confortant l’appartenance des jeunes aux « familles » artistiques qui mobilisent leur sensibilité et leurs efforts. Ce sont par exemple les musiques actuelles et les expressions corporelles rattachées au hip-hop.

D’autre part, pour favoriser le développement d’animations culturelles de quartiers, à l’origine d’une participation des habitants durable et structurée à partir du réseau associatif local, nous soutenons également, pour cet axe de projets, des dispositifs innovants de formations préqualifiantes, pour les jeunes qui ont décroché du système scolaire. Ce sont des formations expérimentales dans les métiers techniques des arts vivants ou dans les métiers de la médiation culturelle.

Comment les demandes vous sont-elles faites ?

Le bouche-à-oreille dans les quartiers est quelque chose de très puissant, donc tout jeune un peu débrouillard a vite fait d’entendre parler de nous. Cela dit, je reçois peu de demandes émanant directement d’un groupe de jeunes, en général les dossiers transitent par un éducateur, un centre social, un chef de projet etc. Nous recevons en moyenne une centaine dossiers par mois, ce qui est considérable.

Et puis, il ne faut pas oublier les professionnels de la culture qui sont de plus en plus nombreux à développer des projets en collaboration ou faisant intervenir des jeunes de leur quartier. Il y a aussi tous les festivals spécialisés, qui ont souvent un coordonnateur des actions sur les quartiers. Ils nous ont repérés depuis longtemps et nous sollicitent fréquemment.

Quels sont vos critères de sélection des projets ?

nous choisissons cependant des artistes professionnels pour ne pas faire d’animation socioculturelle

Dans la mesure où notre budget n’est pas extensible, il y a un premier critère de répartition homogène de l’enveloppe sur le territoire. En liaison avec les Directions Régionales de la CDC, je sélectionne les dossiers qui me proviennent de quartiers dans lesquels la CDC intervient préalablement.

Ensuite, l’examen des dossiers porte sur quatre points essentiellement, sans que l’un ne soit véritablement prépondérant sur l’autre. Il faut que le projet soit inscrit dans une certaine durée, en général un an, car nous ne voulons pas d’intervention parachutée.

Ensuite, il est nécessaire que les artistes travaillent en relation avec un équipement du quartier, qu’ils ne soient pas les seuls porteurs du projet mais soient relayés sur le terrain. La qualité artistique est bien sûr prise en compte, mais sans que nous privilégiions les artistes reconnus, nous choisissons cependant des artistes professionnels pour ne pas faire d’animation socioculturelle.

Enfin, il est nécessaire que d’autres partenaires financiers soient impliqués et notamment la collectivité locale, ce qui est une garantie pour l’aboutissement du projet.

Selon-vous, quelles sont les modalités de reconnaissance des actions artistiques menées dans les quartiers ?

Je crois vraiment que ces projets culturels bousculent les catégories artistiques traditionnelles. J’en veux pour preuve que certains n’entrent pas encore dans les lignes définies par le Ministère de la Culture et les collectivités locales, alors qu’ils suscitent par ailleurs l’intérêt d’artistes professionnels.

Plus précisément, c’est la danse, qualifiée par les acteurs institutionnels d’urbaine, c’est-à-dire issue du mouvement hip-hop, qui illustre le mieux ce phénomène. Il se passe avec la danse urbaine ce qui s’est passé au début des années 1980 avec la danse contemporaine : on assiste à un renouvellement des formes, et à l’élaboration de codes artistiques nouveaux. Tout ce mouvement est en train de prendre ses marques et de se structurer. Certains observateurs n’y voient qu’un phénomène de mode, fortement soutenu, voire suscité par l’institution, mais je ne me retrouve pas dans cette analyse.

Il est vrai que pour d’autres disciplines, la structuration semble marquer le pas, je pense notamment au graf. Les structures institutionnelles, le marché de l’art ne s’en sont pas emparés, cela reste marginal. Pour la danse urbaine au contraire, tous les indices de la professionnalisation sont là : les danseurs répètent tous les jours, ils élaborent des spectacles construits et non plus de simples défis, ils sont une source d’inspiration pour des chorégraphes “contemporains” et vont eux-mêmes en stage dans des compagnies traditionnelles, ils sont reconnus par les institutions qui les programment. Enfin et peut- être est-ce par là qu’il faut commencer, le public les suit.

 

Quelles sont les compagnies qui témoignent de ce parcours idéal ?

Je ne sais pas s’il faut reprendre cette terminologie, mais il est certain que des productions issues des quartiers trouvent aujourd’hui une reconnaissance large. Le dernier exemple en date est celui de la Compagnie de Käfig, dont le dernier spectacle intitulé Recital a plus d’une centaine de dates sur la saison 1999-00 et a été programmé sur Arte en décembre.

Mais avant Käfig, il y a eu Accrorap venu de Saint-Priest, que nous avons soutenue dès 1993 ou encore la Compagnie Traction Avant qui a démarré à Vénissieux. Ce sont deux aventures artistiques remarquables, et ces compagnies tournent aujourd’hui partout en France et ailleurs.

Mais il y a des expériences dont on parle peu, qui ont probablement un retentissement artistique moindre mais qui en termes d’insertion sont tout aussi convaincantes. Je pense qu’il ne faut pas dissocier, lorsqu’on analyse ces questions, les répercussions sociales du processus de création artistique.