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Management public : Les espaces publics / privés de Berlin

Texte d'Antoine Fleury

Texte écrit pour la revue M3 n°2

Depuis 1990 et le choix de Berlin comme capitale de l’Allemagne réunifiée, l’enjeu est de refaire de la ville une Weltstadt (ville mondiale). Dans cette perspective, une politique ambitieuse d’aménagement urbain est mise en œuvre par le Land, désormais le principal acteur en charge du développement de la ville, avec le soutien de l’État fédéral.
Date : 01/03/2012

Une métropole incomplète
Berlin est une ville-État (ville et Land) regroupant 12 arrondissements. La reconversion de son économie, d’une ville industrielle en un centre pionnier des technologies et des services, n’est pas encore achevée. Centre administratif majeur en Allemagne, c'est aussi une destination touristique de premier plan en Europe, avec des recettes touristiques considérables, et une métropole culturelle qui attire pléthore d’artistes venus du monde entier. Mais la capitale allemande ne parvient pas encore à concurrencer des centres comme Munich ou Hambourg. De plus, le revenu par habitant y est nettement inférieur à la moyenne fédérale, et le taux de chômage qui a considérablement augmenté depuis la réunification y demeure élévé. Métropole incomplète, Berlin est donc aussi une ville pauvre.

L’intervention du secteur privé dans la production urbaine a été un levier important du renouveau de Berlin au cours des années 1990. Ainsi, la construction du quartier de Potsdamer Platz a notamment été confiée à deux grands groupes, Daimler-Chrysler et Sony. Ce vaste complexe de bureaux, de logements et de commerces s’articule d’un côté autour d’une galerie commerçante, Arkaden, et de l’autre côté sur une place bordée de cinémas, de cafés et de restaurants (Sony Center), deux espaces privés par leur statut mais ouverts au public. Il s’agit bien d’une privatisation de l’espace public dans la mesure où ce sont les propriétaires des lieux qui en assurent la régulation et le contrôle par le biais de caméras de surveillance et de vigiles. Ces espaces publics sont de surcroît voués à la consommation et les autres usages en sont proscrits, au minimum sur le plan symbolique. Ainsi se trouve remise en cause l’accessibilité à tous d’espaces publics qui s’inscrivent au cœur de centralités majeures dans l’espace métropolitain. Néanmoins, ces lieux ne constituent qu’une petite portion des espaces publics berlinois. Il faut par conséquent relativiser cette évolution, d’autant plus que les investissements publics ont été par ailleurs considérables. Une vaste politique d’aménagement ou de requalification de rues, de places et d'espaces verts a en effet été lancée à la fin des années 1990.

Subventions tous azimuts
La diminution progressive des subventions fédérales, alors même que la reconversion économique de la ville se faisait attendre, a conduit à un fort endettement du Land. Dans les années 2000, ses dépenses ont été fortement réduites, en termes de fonctionnement comme d’investissement. Pour sa politique d’aménagement urbain, le Land s’est donc engagé dans la recherche de subventions tous azimuts. Les principes de la « nouvelle gouvernance » ont été clairement adoptés, y compris celui du partenariat public-privé. En matière d'espaces publics, les interventions du secteur privé ont été le plus souvent ponctuelles, dans la continuité des parcelles privées, les projets continuant à être pilotés par les services compétents du Land et/ou des arrondissements. On trouve plusieurs cas de ce genre dans les rues ou sur les places bordant des centres commerciaux, des hôtels de luxe ou de complexes de bureaux nouvellement construits. À Oberbaum City, sur les berges de la Spree, c’est par exemple la Deutsche Bank qui a financé la mise en place de l’éclairage et diverses subventions ont été versées pour les travaux de voirie. Le réaménagement de la Budapester Strasse et de la Breitscheidplatz, situés au cœur de la City West, apparaît quant à lui comme le premier exemple de partenariat public-privé à Berlin. Le Sénat et les entreprises riveraines se sont mis d’accord pour faire financer sur fonds privés la suppression de la trémie sur la Budapester Strasse, pendant que la place était réaménagée par le Land en collaboration avec l’arrondissement. Au cours des années 2000, le secteur privé a également sponsorisé l’aménagement ou la rénovation de jardins publics. Ainsi, l’entreprise agroalimentaire Campina GmbH a subventionné l’aménagement d’aires de jeux pour les enfants à Pankow et à Schöneberg. Après l’inauguration, des fêtes ont été organisées avec de la publicité ainsi qu’une distribution de sacs avec le logo de l’entreprise l’entreprise et de produits comme
« Landliebe ». Sans ces fonds privés, les arrondissements n’auraient pas pu réaliser des aménagements demandés de longue date par les habitants. Par ailleurs, la Fondation Allianz pour l'Environnement a co-financé la restauration du Lustgarten, sur l’Île des Musées, ainsi que l’aménagement du Mauer Park.

Une évolution maîtrisée
En définitive, l’intervention du secteur privé dans la production des espaces publics demeure toujours très encadrée et surtout limitée dans l’espace. À l’échelle de la ville tout entière, ce sont bien les pouvoirs publics qui conservent l’initiative. La plupart des projets sont pilotés et financés par le Land et les arrondissements, même si c’est avec l’aide de subventions de l’État fédéral et/ou de l’Union européenne. Dans l’ensemble, ils visent moins des objectifs d’image qu’un meilleur partage de l’espace et une amélioration du cadre de vie, notamment dans les quartiers les moins favorisés. C’est donc selon une approche pragmatique ne s’interdisant pas le recours au privé mais faisant plus généralement appel à toutes les subventions disponibles que les espaces publics de Berlin sont transformés, petit à petit. Sans doute est-ce une nouvelle manière de fabriquer des espaces publics en période de disette budgétaire. Mais cette évolution doit être suivie attentivement tant la pression des intérêts privés est de nature à remettre en cause la nature même des espaces publics, censés être ouverts à tous les usages et accessibles à tous.