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Politique du logement et intégration sociale en Belgique

Interview de Ivo BULTHEEL

<< La Belgique ne dispose que de 6% de logements sociaux >>.

Ivo Bultheel travaille au Département de l’intégration de la Ville de Gand.
Il répond à des questions sur la politique d’immigration à Gand et notamment sur :
- la proportion de la population étrangère à Gand
- la représentativité des immigrés
- la politique de logement social
- la répartition géographique des populations issues des minorités.
Propos recueillis pour le  Cahier Millénaire3, n° 28 (2002) , pp 60-61. 

Date : 14/05/2002

Quelle est la proportion des groupes minoritaires dans votre ville ? 

Les minorités ethno-culturelles (seuls les étrangers non-ressortissants de l’Union Européenne et défavorisés sont pris en compte) représentent à peu près 12% (soit environ 30 000 personnes) de la population urbaine totale (230 000 habitants). La moitié est d’origine turque, 17% d’origine nord-africaine, et ces deux catégories représentent environ les deux tiers des minorités ethniques. On trouve également un nombre considérable de Roms-Tsiganes, originaires de différents pays d’Europe de l’Est (principalement de la République slovaque). Pour rendre compte de la situation des minorités, nous avons sélectionné le groupe cible dénommé "minorités ethno -culturelles "parce qu ’ il représentait un groupe bien défini de la population urbaine et dans la base de données statistiques de la population de la ville. Ces outils nous fournissent des données chiffrées sur les différentes nationalités et sur les migrants qui ont adopté la nationalité belge par naturalisation ; toutefois, ils ne nous donnent pas d’indication sur l’origine ethnique de ceux qui ont acquis la nationalité belge à la naissance. Il s’agit d’un nombre grandissant de personnes très jeunes, principalement d’origine étrangère, nées et élevées en Belgique. Cela signifie que l’effectif réel de la population immigrée est légèrement supérieur à 12%. Ce chiffre avoisinerait les 15% si on y ajoutait l’effectif des "clandestins" ; mais ce dernier s’avère tout à fait impossible à comptabiliser. 

 

Quelles sont les structures juridiques disponibles pour favoriser la création ou la représentation d’associations issues des groupes minoritaires ?

Les minorités peuvent créer une association à but non-lucratif dans le cadre de la législation belge qui régit ces dernières. Ces associations sont habituellement désignées par le terme d’associations "auto-organisées " lorsque leurs fondateurs et leurs membres sont d ’ origine étrangère. À Gand, le gouvernement local s’appuie sur deux fédérations d’associations d’immigrés auto-organisées pour conseil consultatif en matière de politique locale des minorités (“Le Forum"). Elles y ont des représentants et discutent directement avec le gouvernement local (sans personne intermédiaire) des questions qui les concernent directement ou indirectement (comme , par exemple, l’éducation, l’emploi, le logement,…). Le conseil consultatif est composé de 21 personnes d’origine ethnique étrangère, dont les deux tiers sont sélectionnés par deux fédérations d’associations d’immigrés basées à Gand. Elles sont censées représenter les populations immigrées les plus importantes, principalement turque et marocaine. Le tiers restant est constitué des représentants des autres groupes immigrés. On y trouve par exemple des groupes arrivés plus récemment (d’Europe de l’Est et d’ex-Union soviétique), ou des groupes moins bien organisés (d’Afrique).

 

Comment s’applique la politique du logement social à Gand ?

Tout d’abord, l’État fédéral belge n’est pas impliqué dans ce domaine. Le gouvernement flamand reconnaît sept entreprises spécialisées dans le logement social et les subventionne selon certaines règles qu’il définit. Il édicte aussi les règles d’attribution des logements aux personnes défavorisées. Le gouvernement local est composé de la municipalité de Gand et du centre public d’aide sociale de Gand, et le secteur privé d’une agence de " location sociale ". Les candidats aux logements sociaux, aux ressources très limitées, attendent souvent de se trouver en situation de crise pour faire leur demande ; il est alors trop tard pour trouver une solution rapide car les listes d’attente sont considérables. En outre, les candidats s’avèrent très exigeants en matière d’habitation et de confort et cela, bien qu’ils soient dans une situation critique. Par ailleurs, la demande de logements sociaux est supérieure à l’offre. Les locataires éprouvent des difficultés à rester dans les cités (ils restent peu de temps, déménagent facilement, et optent à nouveau pour un logement du secteur libre), ils paient leur loyer avec retard, en dépit de l’assistance et des tuteurs dont ils bénéficient, font preuve de peu de tolérance entre eux à l’intérieur d’un même ensemble, ne respectent pas les règlements intérieurs des logements sociaux, ce qui engendre des tensions entre locataires, et souffrent davantage de la solitude dans les grandes cités.

 

Les populations issues des minorités sont-elles concentrées dans des zones géographiques spécifiques ?

Oui, c’est bien le cas. Les minorités vivent principalement dans les zones défavorisées, ce que nous appelons ici "la ceinture urbaine du XIX e siècle". C’est la zone où eut lieu la première industrialisation du XIX e siècle et où s’établirent les premières industries textiles. Les ouvriers vivaient dans leurs alentours. L’industrie textile a pratiquement disparu aujourd’hui, ou bien elle s’est déplacée loin du centre ville, mais les habitations destinées aux ouvriers ont perduré et sont devenues les ghettos où résident des travailleurs pauvres non-qualifiés et de nombreux immigrés. De nouvelles constructions sociales sont édifiées au sein même des zones d’habitation traditionnelles, favorisant par là une plus grande mixité sociale. On se détourne des grands immeubles pour conjurer toute stigmatisation négative. Les logements sociaux deviennent moins visible s dans l’environnement urbain. La tendance actuelle consiste à proposer dans une même zone des habitations de tailles différentes, et à les proposer à des personnes très variées, voire même à mettre sur le marché des habitations adaptées aux besoins d e certaines personnes (personnes âgées, handicapées,…). Dans beaucoup de grands ensembles, les locataires se regroupent en associations et se réunissent régulièrement pour discuter et proposer des solutions à d’éventuels problèmes.

 

Existe-t-il une inadéquation entre la politique du logement et l’attribution pratique et quotidienne de ces mêmes logements ?

Oui, les politiciens flamands voulaient construire 15 000 logements sociaux avant fin 2006. Actuellement, moins de la moitié ont été construits. Dans un même temps, les entreprises de logement manquent d’argent, les terrains disponibles se font rares, et les procédures d’obtention de subventions du gouvernement flamand pour la construction de nouvelles habitations sont longues et compliquées. De plus, les besoins sont élevés en habitations bon marché mais de qualité, situées dans un environnement acceptable et dotées d’une sécurité suffisante. La demande est supérieure à l’offre disponible. Les gens doivent parfois attendre deux à trois ans. La Belgique ne dispose que de 6 % de logements sociaux, ce qui est insuffisant. Par conséquent, le marché privé est très important. Pour de nombreuses familles (autochtones et étrangères) disposant d’un revenu limité, il est difficile de louer, sur le marché privé, une habitation correcte et financièrement accessible. Pour les familles nombreuses, la situation est encore plus délicate en raison du faible nombre d’habitations de grande taille et des prix plus élevés. Or les familles d’origine étrangère ont souvent davantage d’enfants et éprouvent plus de difficultés à trouver une habitation sur le marché privé.