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Curitiba, succès et limites du métro de surface

Marine DOUCHY, Elina LUMBROSO, Marina VALENTE, master Altervilles Université de Lyon

Texte de Marine DOUCHY, Elina LUMBROSO et Marina VALENTE

Date : 01/12/2013

Texte écrit pour la revue M6 n°6
 

En tournant le dos au tout-voiture avant le reste du monde, Curitiba, capitale du Pananá, au Brésil, a pris une belle avance dans les années 1970. Son système de bus modulable, véritablement adopté par la population, a inspiré de nombreuses métropoles. Elle a été récompensée comme la « ville la plus innovante du monde » au sommet mondial des maires et des urbanistes, en 1996. Analyse critique d’un beau modèle.

Le Bus Rapid Transit (BRT), surnommé « métro de surface », est le programme phare de la ville. Les bus circulent sur des voies dédiées, aussi vite qu’un métro mais pour un coût nettement inférieur. Plus modulable que ce dernier, le BRT s’est rapidement imposé comme une solution viable dans un contexte financier contraignant. Pourtant, ce choix n’a pas toujours été une évidence. Depuis sa mise en place, dans les années 1970, le système a continuellement été modernisé et adapté à la croissance démographique et à l’extension spatiale de la ville. De nombreux projets de transport ferroviaire ont été laissés de côté à son profit, principalement pour des raisons économiques. Francisco Duarte, professeur d’urbanisme et directeur du programme de post-graduation en gestion urbaine à l’université catholique du Paraná, affirme d’ailleurs que la ville doit ses plus importantes innovations à l’échec des propositions de transport ferroviaire.
Le contexte politique n’est pas sans influence sur la réussite de ce modèle. Sous la dictature brésilienne (1964–1985), des experts et des techniciens ont été placés à la tête des villes du pays. Jaime Lerner a été nommé maire en 1971 dans ce gouvernement technocratique. Avec un groupe d’ingénieurs architectes, il a participé à la création de l’institution en charge de la planification de la ville. C’est ce groupe qui a mis en oeuvre sur le long terme les projets urbains de
Curitiba.

 

Un développement planifié

L’originalité de la planification de la ville repose sur la politique de transport comme projet urbain. Il s’agit au fond d’un « co-développement » de la cité et de ses transports : le plan d’urbanisme prévoit une densité maximale le long des corridors desservis par le métro de surface. La planification et les politiques de mobilité ont constitué les fondements d’un discours sur une ville« pour les gens, pas pour les voitures ». Curitiba s’est ainsi démarquée du développement urbain basé sur la voiture, alors dominant au Brésil, en choisissant de miser sur le transport en commun de masse pour désengorger son centre-ville. Le BRT, internationalement salué, est devenu une fierté pour la ville ; il a inspiré Bogota, Lima, Los Angeles, Johannesburg, qui ont adopté des systèmes similaires. Il présente pourtant aujourd’hui de réels signes d’essoufflement.

 

Difficile transition

La région métropolitaine de Curitiba connaît une croissance démographique très forte et le BRT semble moins adapté à ce nouveau scénario démographique. Les longues queues pour accéder aux « tubos » illustrent bien un système en voie de saturation, qui démotive les usagers, lesquels se tournent vers la voiture. Aujourd’hui, la ville compte 1,3 voiture par habitant, un des taux les plus importants du pays. La saturation technique du système ne doit pas occulter les limites sociales du modèle. Curitiba n’échappe pas aux logiques ségrégatives à l’oeuvre dans de nombreuses métropoles brésiliennes. Les favelas se multiplient au même rythme que les gated communities ; les inégalités territoriales s’accroissent entre le centre et les périphéries mal intégrées.
Face à ces limites, la municipalité a annoncé le remplacement de la ligne de bus la plus saturée par une ligne de métro, décision qui suscite d’âpres débats. Certains, comme Jaime Lerner, dont la renommée est fortement attachée au succès du modèle, croient en la possibilité de nouvelles adaptations du BRT. Pour d’autres, le métro est la seule solution efficace pour la ville actuelle.

 

Changer la ville par la technique ?

Au-delà des débats techniques et politiques, il faut noter que la ligne de métro annoncée, prévue sur le tracé d’une ligne de bus, ne remet pas en cause la logique de planification du BRT, celle d’une co-construction entre planification urbaine et transports. Il apparaît en revanche que l’espoir de transformation urbaine et sociale par l’innovation technique ne s’est pas réalisé entièrement. Les nouveaux enjeux de la ville : ségrégation urbaine, développement métropolitain, explosion démographique exigent de penser autrement.