Vous êtes ici :

Le mobilier urbain pour maîtriser la ville numérique

© seolane

Texte de Jean-Philippe CLEMENT

La ville possède un atout magistral souvent sous-exploité : ses réseaux de mobilier urbain. La mise en œuvre d’une servitude TICC dans ces mobiliers est un exemple parmi d’autres d’anticipation et de maîtrise du développement de la ville numérique, que la Ville de Paris teste in situ.

Texte écrit pour la revue M3 n°1.
Date : 30/09/2011

La « ville numérique » existe déjà. Omniprésent au bureau et au domicile, le numérique transforme notre rapport au temps et à l’espace. Notre vision, nos usages et notre expérience de la ville évoluent sous l’influence des technologies mobiles. Notre vie sociale, nos activités dans l’espace public et notre compréhension du territoire s’en trouvent également modifiées.
Pour accompagner et influencer ce mouvement, une collectivité doit en comprendre les enjeux, mesurer les acteurs en présence et s’appuyer sur ses valeurs. Ainsi pourra-t-elle construire une stratégie, garante de ses marges de manœuvre et son autonomie à l’avenir.
Les réseaux de mobilier urbain peuvent s’avérer précieux pour une collectivité en quête d’une stratégie numérique sur son espace public. Souvent sous-exploités, leur utilisation offre de nouveaux supports aux échanges, aux services et à l’innovation. Si elle décide de sa création et ses fonctions, une collectivité ne maîtrise pas l’évolution potentielle d’un mobilier urbain pendant sa durée de vie, souvent longue (10, 15, voire 20 ans). À l’heure où le numérique induit des ruptures technologiques tous les 3 à 5 ans, il est difficile de définir tous les dispositifs présents et à venir que la ville souhaitera mettre en place dans son développement numérique, dès la conception et le contrat initial du mobilier. La servitude des Technologies de l’Information, de Communication et de la Connaissance (TICC) est née d’un triple constat: le numérique se développe sur l’espace public, le mobilier urbain est très présent, et les collectivités veulent prendre en main leur avenir numérique. Une servitude TICC est une clause contractuelle qui peut prendre plusieurs formes différenciées ou combinées, de la possibilité d’accrocher au mobilier un dispositif, à l’emplacement laissé libre à l’intérieur, en passant par un espace dédié et évolutif sur le mobilier pour y apposer une signalétique ou des tags 2D et NFC1. La servitude peut-être pré-raccordée aux réseaux électriques et data. L’enveloppe du mobilier doit pouvoir capter et diffuser les technologies hertziennes (Bluetooth, Wi-Fi, 3G, …).

Ouvrir des potentialités futures accessibles au plus grand nombre
L’inclusion de cette servitude dès la conception et la rédaction du contrat d’un mobilier urbain a plusieurs avantages.
Une fois la conception validée et le programme de fabrication lancé (design, moules, processus d’industrialisation), il est très difficile, voire impossible, de faire évoluer le mobilier. Les désirs de changements des fonctionnalités et des capacités physiques pendant la vie d’un mobilier risquent de buter sur des surcoûts prohibitifs de re-conception, re-fabrication et réinstallation, ou sur une impossibilité juridique de modifier le marché public ou le contrat initial. La cartographie des emplacements du mobilier révèle souvent un maillage assez bien équilibré du territoire. Dans le domaine des TICC, cette répartition définit un réseau aux zones non couvertes limitées. Et si le maillage du réseau n’est pas assez dense, l’ajout de mobiliers existants peut le compléter en limitant l’encombrement de l’espace public et en évitant d’accrocher des dispositifs complémentaires sur des supports non prévus pour cela, ni techniquement, ni esthétiquement. L’inclusion d’une servitude TICC au moment de la conception du mobilier n’ayant aucun surcoût, la collectivité n’est pas obligée d’avoir préalablement défini un projet précis pour son utilisation, TICC ou autre. Elle se crée simplement une potentialité future. Au contraire, si la collectivité a déjà un projet bien défini, le fait de ne pas l’inclure dans le marché ou le contrat initial lui permettra de le faire évoluer selon sa volonté, en totale autonomie vis-à-vis du concessionnaire ou du gestionnaire du mobilier. Dans un cas comme dans l’autre, l’absence de projet TICC à ce moment clé n’induit pas nécessairement de coûts supplémentaires ultérieurs. Les modèles économiques liés aux technologies) accessibles au plus grand nombre sont en constante évolution, et peuvent générer des sources de financement. Maîtresse de l’utilisation de la servitude, une ville peut lancer un marché d’équipement complémentaire de ces emplacements, dont le modèle économique pourrait même bénéficier à la collectivité.

La smart-city a besoin de capteurs
En équipant le mobilier de son territoire de dispositifs d’information et de service TICC, une ville s’émancipe des projets de déploiement et des offres d’opérateurs tiers, souvent payantes. Elle peut ainsi mener sa stratégie de développement numérique. Par ailleurs, offrir de nouveaux canaux d’information et de services publics, conviviaux et adaptés à tous ses administrés, permet à une collectivité d’agir concrètement en faveur de l’e-inclusion. Après avoir inclus en 2007 la servitude TICC dans le contrat Vélib’, regroupant les bornes des stations et les supports d’affichage de la publicité, la Ville de Paris l’a étendue à tout son nouveau mobilier, dont les journaux électroniques d’information et sanisettes. La servitude d’une vingtaine de bornes de stations Vélib’ a déjà été utilisée pour expérimenter la diffusion d’un guide gratuit d’information locale sur téléphone mobile, via la technologie Bluetooth.
D’autres exemples tendanciels d’usage de la servitude TICC peuvent déjà être imaginés.
La révolution smartphone engendre des congestions du trafic sur les réseaux 3G macro-antennes sur les toits. Le mobilier urbain pourrait être le support de nouvelles micro-antennes capables d’absorber le trafic data exponentiel des téléphones mobiles.
La ville plus verte et plus intelligente de demain, smart-city aura besoin de capteurs disséminés sur son territoire pour récolter et exploiter un maximum de données en temps réel. Là encore, le mobilier urbain pourra servir au déploiement de ces dispositifs permettant de mieux comprendre et d’agir sur la gestion courante d’une ville.
Au-delà des potentialités d’évolution technologique qu’elle offre à la collectivité, l’inclusion de la servitude TICC dans le cahier des charges du mobilier urbain illustre surtout un état d’esprit. Une ville du XXIe siècle doit à la fois valoriser son patrimoine et développer ses capacités d’innovation, notamment numérique. Si un territoire veut maîtriser son destin de ville numérique, il doit garantir son autonomie, son agilité et son ouverture.