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Kyoto et la nécessité d’une régulation métropolitaine des déplacements

Vue de Kyoto à partir du temple Kiyomisu-dera, préfecture de Kyoto, Japon© Bernard Gagnon

Texte de Bernard Jouve

Date : 01/01/2002

Kyoto est devenu synonyme de controverses.

En soi, c'est un bon signe de l'état de vitalité de la démocratie au Canada. On connaît les réactions d'hostilité suscitées par la décision de Jean Chrétien d'engager le pays dans la ratification de cet accord international qui vise à limiter d'ici 10 ans l'émission des gaz à effet de serre (GES) considérés comme responsables des changements climatiques.
On a vu le lobby pétrolier, parfaitement relayé par le Premier Ministre de l'Alberta, monter au créneau, s'opposer à cette décision, tenter de rallier à sa cause les autres provinces. En la matière, le Québec a fait valoir que le principe pollueur/payeur devait être appliqué en toute équité et que, finalement, ce qui fait la richesse de l'Alberta, son pétrole, a aussi un coût pour la collectivité qu'il faut assumer. On a ainsi eu beau jeu de faire valoir que les choix énergétiques du Québec placent la Province dans une bien meilleure position. Pourtant, Richard  Bergeron, responsable des Analyses stratégiques à l'Agence Métropolitaine des Transports, vient dans Le Devoir du 26 novembre assombrir ce tableau d'un " Québec Propre ". Que nous apprend-il ? Que le secteur des transports au Québec produit annuellement 33,6 millions de tonnes de GES et que, pour respecter le protocole de Kyoto, il faut ramener ces émissions à 27,5 millions de tonnes soit une baisse de 22 %.

 

L'enjeu est de taille

Pour y arriver, la solution est bien connue : taxer l'usage de la voiture particulière pour les catégories les plus énergivores et affecter le produit de ces taxes au financement des transports collectifs. La proposition est séduisante et demande à être étudiée dans le détail. Elle aurait le mérite de la clarté au niveau du choix politique, elle reposerait sur des principes de redistribution (base de la sociale-démocratie et de l'État-providence sur lesquels repose, depuis la " révolution tranquille ", le pacte entre la société civile québécoise et " son " Etat ), elle n'aurait aucune incidence sur les finances publiques locales et provinciales ce qui dans une période où le déséquilibre fiscal avec le Fédéral constitue l'un des problèmes
structurels majeurs à toute politique publique. En respectant ces valeurs et  ces principes politiques particulièrement présents au Québec (même si la montée de l'ADQ atteste d'un essoufflement du " modèle québécois "), elle n'aurait que des avantages. On peut aussi aborder cette question de la réduction des GES par les transports sous un angle différent : un angle territorial. On dispose d'une batterie d'études montrant que l'utilisation de la voiture particulière est essentiellement le fait des déplacements de type domicile/travail en milieu urbain. Or, de ce point de vue, taxer l'utilisation des voitures les plus polluantes doit être combiné avec une série d'autres mesures moins sectorielles qui touchent à l'aménagement du territoire, à l'urbanisme et aux choix politiques qui sont opérés dans ces domaines. En effet, intuitivement, on se doute bien que la forme de nos villes, l'étalement urbain ont des conséquences directes sur l'utilisation de la voiture particulière. Ceci est d'autant plus vrai à Montréal qui garde encore une des caractéristiques des villes européennes : un centre-ville qui constitue un puissant pôle d'attraction en termes de localisation des entreprises, des commerces,…  Plus les politiques d'urbanisme et d'aménagement du territoire à l'échelle  de la métropole favorisent, ou n'empêchent pas (ce qui revient au même) l'étalement urbain, plus les ménages sont incités à utiliser leur voiture, donc à produire des GES.

 

Il découle plusieurs pistes de réflexion de ce constat assez simple :

  • L'ensemble des automobilistes, et pas uniquement ceux qui achètent les véhicules les plus polluants, doivent être impliqués dans une politique globale de réduction de l'usage de la voiture particulière ;
  • La relance d'une politique de desserte ferroviaire en banlieue par l'Agence Métropolitaine des Transports est une bonne chose ; le succès de cette politique auprès d'une nouvelle clientèle l'atteste ;
  • Il faut davantage lier l'aménagement du territoire et les politiques de déplacements urbains.

A Montréal comme ailleurs, les institutions en charge de ces politiques ont très classiquement l'habitude de travailler isolément. Moralité, les politiques de déplacements sont toujours en décalage par rapport aux politiques d'aménagement. Comme dans de très nombreuses autres villes où il existe des agences sectorielles de transports (aux USA mais aussi en Europe), elle tente de s'adapter à l'évolution d'un contexte urbain qu'elle ne maîtrise pas. Pour sortir de cette situation, l'une des solutions passerait peut être par  la relance d'une politique de planification urbaine, incluant très largement  la politique des déplacements urbains, à l'échelle de la métropole. Pour cela, il convient de se doter d'outils de mesure efficaces pour étudier le lien de  causalité entre la forme urbaine, les déplacements des ménages et l'émission de GES. Actuellement, ces outils manquent. Du point de vue du contenu de la  politique, il faut rapprocher les zones d'habitation des zones d'activités et  de commerce, donc densifier les banlieues. On comprend que ce choix politique est lourd de conséquences. Des États comme les Pays-Bas ont en la matière une expérience sur laquelle on pourrait utilement se pencher. D'un point de vue institutionnel et de la division du travail entre les institutions locales profondément remaniées depuis le 1er janvier 2002, c'est donc à la Communauté Métropolitaine de Montréal, en partenariat étroit avec l'Agence Métropolitaine des Transports qui dispose d'une solide expertise dans son domaine, de se charger de ce dossier. La CCM se cherche une raison d'être et des dossiers majeurs à traiter, en voilà un qui touche la vie quotidienne de tous les habitants de la métropole. La nouvelle structure gagnerait certainement en visibilité et en légitimité, à condition qu'elle évite un traitement technocratique de la question faisant la part belle aux experts de tous ordres mais laissant de côté la population. Envisagée sous cet angle, la ratification du protocole de Kyoto fait donc du niveau métropolitain un échelon politique de gouvernement de première importance non seulement en termes d'efficacité mais aussi en termes de démocratie locale à inventer. Penser globalement, agir localement … à condition que ce local soit le niveau métropolitain. Un défi de plus pour les élites politiques montréalaises bien obligées de faire du cadre métropolitain leur nouveau territoire de référence.