Vous êtes ici :

Justin GODART (1871-1956)

Étude

Tag(s) :

Date : 02/01/2007

Justin Godart est un vrai gone. Il naît aux Brotteaux dans un milieu modeste le 26 novembre 1871 et est scolarisé au lycée Ampère à Lyon. Après une thèse en droit sur L’ouvrier en soie, il devient avocat, milite au parti radical-socialiste et est élu 6e adjoint au maire de Lyon dans la municipalité socialiste menée par Augagneur, en même temps qu’Herriot, lors des élections municipales en 1904. Pour le remplacer en tant que maire de Lyon, Augagneur lui préfère en novembre 1905, Herriot, candidat qui lui paraît moins lyonnais et moins engagé dans la lutte sociale, donc moins dangereux pour récupérer, à terme, son siège. Son calcul s’avérera entièrement faux ! Est-ce pour cela que Godart choisit la carrière nationale plutôt que locale ?

 

Une figure politique nationale de premier plan

Député en 1906, il est très actif au sein de la commission parlementaire du Travail. De 1915 à 1918, en tant que sous-secrétaire d’Etat à la Guerre en charge du service de Santé militaire, il montre ses qualités d’organisateur en créant près du front, assisté par le jeune médecin lyonnais Edmond Locard, un centre de formation pour les personnels de santé afin de trouver des réponses aux blessures occasionnées par de nouvelles armes. Puis, il occupe des postes ministériels dans les cabinets Herriot en 1924 en tant que ministre du Travail, de l’Hygiène, de l’Assistance et de la Prévoyance sociales et en 1932 comme ministre de la Santé publique. Lors du cartel des gauches, c’est lui qui accompagne les cendres de Jaurès d’Albi au Panthéon. En 1926 il quitte le Palais-Bourbon pour le Palais du Luxembourg. Il fait partie des 80 parlementaires qui ne votent pas les pleins pouvoirs à Pétain en juillet 1940. Retiré à Pommiers en Beaujolais, il a, durant la seconde guerre mondiale, une importante activité résistante, en tant que rédacteur du Patriote beaujolais et membre dirigeant du Front national. Maire provisoire de Lyon à la libération de la ville en septembre 1944, il accueille le général de Gaulle le 14 septembre 1944 à l’Hôtel de ville. C’est à cette occasion que ce dernier déclare Lyon capitale de la Résistance. Le 19 mai 1945, il accueille Herriot, qui revient de déportation, à l’aéroport de Bron et lui rend l’écharpe de premier magistrat de la ville. En octobre 1945, il démissionne du parti radical, s’engage dans des mouvements civiques et citoyens, mais ne joue plus, sous la IVe République, de rôle politique national. Une fois encore, le primat de l’action l’emporte sur celui du politique.

 

De forts engagements internationaux

Parallèlement à son engagement parlementaire, il s’intéresse, sa vie durant, à la question sociale, au premier rang duquel il met la question du logement et du travail. Son engagement s’inscrit dans la démarche du solidarisme* radical défendu par Léon Bourgeois. Il milite en faveur de la journée de 8 heures, de la réglementation du travail de nuit des femmes, du mouvement coopératif et représente la France au Bureau international du travail à Genève jusqu’en 1950. En ardent partisan des 14 points du président Wilson, il veut que la Société des Nations soit le protecteur des petits Etats face aux grandes puissances.  A ce titre, il faut souligner son action en faveur de l’Albanie. Il oeuvre également en faveur de toutes les populations défavorisées et opprimées, les immigrés, les femmes, les Indochinois, les Arméniens et les réfugiés juifs. A partir de 1933, il préside l’OSE, l’Oeuvre de secours aux enfants juifs. Pour lui, le racisme et  l’antisémitisme doivent être combattus et il se prononce pour le sionisme. Est-ce son passage au service de santé militaire durant la Grande Guerre qui lui fait fonder, puis présider la ligue contre le cancer ? Lui, qui n’est pas médecin, est élu à l’Académie de médecine en 1939.

 

Un constructeur de lyonnitude

S’il aime le Beaujolais, la région et le vin du même nom, Justin Godart est avant tout un défenseur et un constructeur de l’identité lyonnaise. Son ex-libris ne porte-t-il pas tout simplement l’inscription « Justin Godart, Lyonnais ». Son amour de Lyon s’exprime par son goût pour les lyonnaiseries historiques et ethnographiques, dont les marionnettes, qu’il collectionne en grande quantité. Il s’érige très tôt en promoteur d’un musée historique de Lyon qui est implanté dans les années 1920 dans l’hôtel de Gadagne dans le Vieux Lyon et dont il est l’un des grands mécènes. Il publie sous son nom de nombreux ouvrages historiques – Travailleurs et métiers lyonnais en 1909, Laurent Mourguet et Guignol en 1912, La révolution de 1830 à Lyon en 1930, Les Voraces à Lyon en 1848 en 1948  - mais aussi sous le pseudonyme de Catherin Bugnard, La plaisante sagesse lyonnaise, véritable bréviaire de l’esprit lyonnais et de la lyonnitude. Son ancrage lyonnais se lit également dans la fondation en 1920 de l’Académie des Pierres plantées, héritière de l’Académie du Gourguillon fondée autrefois par Nizier du Puitspelu. Cette association lyonno-lyonnaise, dont il est le secrétaire perpétuel, regroupe des bons vivants défenseurs de l’histoire, du parler et des traditions de cette ville
Pour Godart, la politique fut un moyen d’agir en faveur des autres et ce, dans l’esprit de Guignol, à la fois rebelle et grand coeur. N’est-ce pas là l’ancrage humaniste typique d’une ville telle que Lyon qui a toujours cultivé l’humanisme, le modérantisme, mais aussi l’engagement en faveur du plus grande nombre ?

Godart, qui a eu une carrière lyonnaise discrète, trop discrète, meurt à Paris le 12 décembre 1956. Né un an avant Herriot, il meurt un an avant lui ! Godart a indiscutablement souffert de l’ombre d’Herriot et c’est pour cela que sa ville natale l’a longtemps oublié. En 2004, Israël lui a remis la médaille des Justes. C’est la municipalité de Gérard Collomb qui a enfin rendu hommage à ce gone humaniste, défenseur moderne de « la veuve et de l’orphelin » et grand Lyonnais, en donnant son nom au salon d’honneur de l’Hôtel de ville.
 

Bibliographie :
Annette Wieviorka (dir.), Justin Godart. Un homme dans son siècle (1871-1956), CNRS éditions, 2004, 261 p.