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Henri Antoine-Marie GERMAIN (1824 – 1905)

Étude

Il est né à Lyon le 19 février 1824 dans la maison familiale, rue des Capucins où son père, Jean-Marie Henri Germain (1784-1867), exerce la profession de négociant en soieries. Sa mère, Claudine-Aimée Lupin vient aussi du milieu de la soierie et a apporté, lors de son mariage en 1814, une dot de plus de 160000 francs. Henri est le second et dernier enfant du couple. Peu de temps après sa naissance son père se retire des affaires pour vivre en rentier, ce qui est l’aboutissement d’une vie bourgeoise. Il faut dire que la famille Germain, lyonnaise depuis plusieurs générations, a acquis une honnête aisance dans la Fabrique, aisance que le père d’Henri a largement su faire fructifier, puisqu’il achète en 1829 un domaine de plus de 100 hectares, à St-André-de-Corcy dans l’Ain. Il est également propriétaire foncier de plusieurs maisons à Lyon et détient un beau portefeuille d’actions et d’obligations.

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Date : 06/11/2007

Une des plus grosses fortunes de France

Le jeune Henri, bien qu’il n’apprécie pas son père, est un héritier. Il fait ses études au collège royal de Lyon, y apprécie les enseignements de l’abbé Noirot, part faire son droit à Paris, devient avocat en 1846 et s’inscrit alors au barreau de Lyon. Il épouse le 30 mai 1850 Laure-Clotilde Dumoy, 19 ans, fille unique et orpheline d’un négociant qui lui apporte en dot plus de un million de francs en capital, en actions et en terrains. Avec ce que lui a donné son père et l’apport de son épouse, Henri vit en rentier, partage certaines idées libérales qui lui auraient valu d’être mis sur la liste des personnes à arrêter après le 2 décembre 1851 si le préfet Bret n’était pas intervenu en sa faveur. Il est de taille moyenne, mince, les yeux bleus, une barbe blonde, une mâchoire volontaire et un caractère autoritaire et entêté. S’il a l’allure d’un gentleman, il n’en a pas toujours le caractère ! Il s’intéresse alors à la banque en faisant des stages dans des établissements locaux, renonce à la profession d’avocat et participe en 1857 à la fondation de l’Ecole centrale lyonnaise pour l’industrie et le commerce. Proche d’Arlès-Dufour, il fonde avec lui le Magasin général des soies. Grâce à ses réseaux lyonnais et parisiens, il se retrouve administrateur de nombreuses sociétés industrielles et bancaires. En 1863, devenu propriétaire du château de la Pape en 1859, il participe à l’assainissement de la Dombes en contribuant à la création de la ligne ferroviaire Lyon-Bourg avec les frères Mangini. La présidence du Crédit Lyonnais le faisant vivre souvent à Paris, la mort de sa femme en 1867 le rend définitivement parisien. En mars 1869, le veuf Germain épouse Blanche Vuitry (1841-1913), fille d’un notable de la monarchie de Juillet qui a su se reconvertir sous l’Empire en tant que gouverneur de la Banque de France. Cette nouvelle épouse est radicalement différente de la première. Autant la première était effacée, autant celle-ci, dominatrice, veut accompagner la carrière de son mari. C’est elle qui le relance en politique après son échec de 1885. Le couple a trois enfants, deux filles dont les maris sont vite associés à la banque et un seul fils André. Celui-ci, qui manque totalement de personnalité, est encadré après la mort de ses parents par un conseil judiciaire. Selon les mauvaises langues lyonnaises, André est « la seule erreur de bourse » d’Henri Germain ! Il partage sa vie, à la fin du siècle, entre son hôtel parisien et sa villa de Nice où il réunit autour de sa table des décideurs politiques et économiques qui lui permettent de se tenir au courant des crises internationales et d’anticiper sur le plan boursier. Ses fonctions, présidence du Crédit lyonnais et administrateur de multiples sociétés, contribuent à un enrichissement rapide, selon un rythme de 5% par an jusqu’à sa mort à son domicile parisien d’une grippe le 2 février 1905. Il est enterré à Cannes. Sa fortune dépasse alors les 20 millions de francs et fait partie des cinquante plus grosses fortunes de France.

 

L’homme du Crédit Lyonnais

C’est Arlès-Dufour qui le pousse à la tête d’une banque locale, dénommée Crédit Lyonnais, créée en juillet 1863. Dotée d’un capital de 20 millions de francs, soit 40000 actions de 500 francs, cette banque de dépôt est ouverte à tous, à condition d’effectuer un premier versement de 50 francs. Elle est tournée vers les commerçants qui peuvent y souscrire des billets et y encaisser des traites, mais aussi vers les particuliers. Il y a 352 souscripteurs et Henri Germain en est le principal avec plus de 2000 titres. Peu de temps après cette fondation, il « monte » à Paris en 1865 pour ouvrir une agence du Crédit lyonnais. Anticipant le conflit franco-prussien, il ouvre une agence à Londres en 1870, puis il s’intéresse au marché méditerranéen. Il ouvre en 1874, une agence à Constantinople, puis à Alexandrie. Il ne néglige pas pour autant, le marché local en ouvrant des agences un peu partout dans les villes autour de Lyon. 1879 est une année faste : il y a l’inauguration du somptueux siège social sur le boulevard des Italiens, l’ouverture d’une agence à New York, à Saint-Pétersbourg, à Alger, mais aussi, dans les années qui suivent, sur tout le territoire national. Cette progression spectaculaire du nombre d’agences, des dépôts et des bénéfices nets suscitent des jalousies et des critiques. Certains reprochent à Henri Germain ses dépenses somptuaires, son trop grand nombre d’agences et ses petits dividendes. A Lyon, le groupe Aynard rompt avec lui en créant, en 1881, une banque rivale, la Lyonnaise de dépôts et de comptes courants. La crise de l’union générale en 1882 entraîne une perte de 20 millions de francs, la fermeture de certaines agences, le transfert définitif du siège social à Paris, la baisse du dividende, le remplacement d’employés par des femmes moins bien payées et l’affirmation, comme règle de bonne conduite bancaire, de la défiance ! Les affaires repartent à la fin de la décennie. De nouvelles agences en Argentine, en Espagne, à Moscou, Odessa, Jérusalem, Lisbonne, mais c’est surtout le temps des emprunts russes à placer auprès des souscripteurs, ce dont le Crédit lyonnais se fait une spécialité.

 

Un libéral en politique

Après deux échecs, il est élu conseiller général de Châtillon-sur-Chalaronne dans l’Ain en mars 1870 et devient président du Conseil général de l’Ain jusqu’en 1883, date à laquelle il se retire. La députation semble plus facile, puisqu’il est élu député de l’Ain dès sa première tentative en mai 1869 sous l’étiquette Tiers Parti. Il devance alors le candidat officiel. Pour être élu, il se présente comme un homme libre et capable d’aider l’arrondissement, mais aussi il mène une véritable campagne de séduction en soutenant financièrement les compagnies de sapeurs pompiers et en participant à des constructions ou des reconstructions de bâtiments religieux ou civils. En juillet 1870, il s’oppose à la déclaration de guerre fatale aux affaires et est très hostile à la Commune dont il approuve la répression, mais n’apprécie pas davantage la morgue des royalistes qui dominent l’Assemblée élue en février 1871. Il participe aux côtés d’Edouard Aynard et de bien d’autres à la fondation de l’Ecole libre de Sciences politiques en 1872. De ce fait, il se rallie à Thiers, donc à une République modérée, capable de réprimer le peuple, tout en empêchant un retour à l’Ancien Régime. Elu de la circonscription de Trévoux (Ain), il le reste jusqu’en 1885. Président du groupe du centre gauche à la Chambre, il est connu pour être un orateur, à l’accent lyonnais, s’opposant à toute dépense inutile de la part de l’Etat, réclamant un impôt sur le revenu des sociétés et sur le tabac et l’alcool. Battu en 1885, il échoue peu de temps après aux sénatoriales. Heureusement que sa femme, qui tient salon à Paris dans leur hôtel de la rue du faubourg St-Honoré, veille et, par ses relations, le fait élire à l’Académie des sciences morales et politiques. Il est fait chevalier de la légion d’honneur en 1889 lors de l’exposition universelle. Il récupère son siège de député en 1889. Mêlé au scandale de Panama, il se défend, mais cela le pousse à se retirer de la vie politique en 1893. Il continue à gérer sas affaires, écrit dans Le Temps et publie quelques brochures économico-politiques.

Henri Germain est l’illustration de la réussite sociale de la bourgeoisie lyonnaise dans le monde des affaires. Si le personnage manque de grandeur, sa détermination professionnelle lui permet de rebondir après des revers personnels et conjoncturels. L’importance du mariage et des réseaux d’alliance est ici confirmée. Si la ville de Lyon donne son nom à une rue de la presqu’île en 1962, honneur rare à Lyon pour un homme d’affaires, c’est qu’il incarne parfaitement l’esprit entrepreneurial local dont Lyon s’enorgueillit à juste titre. De plus, le Crédit lyonnais, jusqu’à ses problèmes récents et malgré le fait d’avoir transféré son siège social à Paris, a véhiculé sur tous les coins de la planète cette dynamique économique lyonnaise où industrie et banque se mêlent étroitement.
 

Bibliographie :
- Pierre Cayez et Serge Chassagne, Les patrons du Second Empire. Lyon et le Lyonnais, Picard, 2006