Cadre et spécificité de la consultation :
Cette consultation a été réalisée à la demande des Etats-Généraux de la condition pénitentiaire par BVA auprès de l’ensemble des acteurs du monde judiciaire et pénitentiaire mais aussi des détenus.
En effet, pour la première fois en France, il a été proposé à l’ensemble des personnes détenues d’exprimer leur point de vue sur leur condition de détention.
Plus de quinze mille détenus ont répondu. Tous dénoncent des conditions de vie difficiles et un manquement au respect des droits fondamentaux et partagent une volonté de voir changer le regard de la société sur le détenu et de mobiliser la classe politique. Ils demandent notamment une meilleure préparation pour mieux s’insérer à leur sortie, plus d’intimité et surtout de dignité.
Cette enquête confirme en effet, les conditions indignes de détention déjà révélées ces dernières années par les missions parlementaires sur l’état des prisons. Les principaux résultats en chiffres :
En France en 2006, il y a plus de 57000 détenus pour 49000 places…
Le questionnaire distribué aux prisonniers montre qu'il n'existe aucun domaine dans lequel le taux de satisfaction atteint au moins 50%.
- Les détenus sont ainsi insatisfaits à 82% des conditions générales de la détention, à 80% du régime de détention des prévenus, à 79% de la prévention des suicides et à 78% de la préparation à la sortie et de la protection des droits de la personne en prison.
- Le taux d'insatisfaction atteint encore 60% pour l'accès aux soins médicaux et 59% pour l'accès aux soins psychiatriques, ce qui est le moins mauvais score obtenu par une réponse.
- Les surveillants constituent la seule catégorie à estimer que la situation carcérale est sous certains angles satisfaisante. Mais leur faible taux de réponse (1%) rend les résultats moins fiables. Ils sont notamment contents à plus de 50% de la sécurité, des droits des détenus et de l'accès aux soins.
- Quant à tous les autres acteurs de la vie carcérale interrogés (magistrats, avocats, travailleurs sociaux, médecins), ils se disent insatisfaits à 87% de la préparation à la sortie de prison et du régime de détention des prévenus. Ils sont encore 60% à critiquer la sécurité.
- À la question "qu'attendez vous d'une réforme de la prison?", 24% des détenus ont répondu "changer le regard de la société et mobiliser la classe politique sur la question carcérale". "Réformer le droit pénal et améliorer les droits de la défense" a été cité par 22%. "L'amélioration des conditions de vie en général" atteint 18%. Ces résultats présentés dans le Nouvel Observateur du 21 octobre 2006 ont incité le rédacteur en chef, Jean-Marcel Bouguereau à citer Albert Camus qui disait : "on juge le degré d'humanité d'une société à l'état de ses prisons "…
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Réaction : "Etre entendus"
Par Jean Berard, membre de l'Observatoire des prisons (OIP)
Propos recueillis par Laure Gnagbé le vendredi 20 octobre 2006
© Le Nouvel Observateur
Que pensez-vous des résultats des questionnaires envoyés aux détenus sur la condition pénitentiaire rendus publiques par l'institut de sondage BVA ?
- La première réclamation des prisonniers, c'est d'être entendus. C'est le premier point à mettre en évidence. Les statistiques indiquent que les détenus sont souvent issus d'un milieu précaire, coupés du milieu scolaire assez tôt. Ces personnes sont généralement complètement désabusées par rapport au milieu politique. Le fait que plus de 15.500 détenus aient pris le temps de remplir un questionnaire long et précis démontre à quel point ils souhaitaient interpeller l'opinion publique et les politiques.
En ce qui concerne les surveillants, il faut mettre beaucoup de bémols au faible taux de réponse (1%). Contrairement aux détenus, ils n'ont pas eu un questionnaire papier, mais devaient se connecter sur Internet (comme pour les autres professionnels sondés : médecins et directeurs de prison, travailleurs sociaux, etc.). Il est évident que c'était un frein aux réponses. D'ailleurs, dans la prison de Rennes où le directeur a mis un ordinateur à disposition des surveillants, le taux de réponse a été beaucoup plus élevé. C'est pour cela que nous avons demandé au ministre de la Justice de nous autoriser à leur distribuer des exemplaires papiers. La réponse a été non.
Quelles sont les principales attentes des prisonniers ?
- Sur le contenu des réponses, on peut dire que la principale attente des prisonniers c'est la mise en place d'installations sanitaires (WC et douches) préservant l'intimité de la personne. Les questionnaires montrent que les prisonniers réclament prioritairement ce qui relève de "conditions matérielles élémentaires".
Ensuite, beaucoup réclament plus d'intimité pour les visites.
Il apparaît également tout au long des réponses le sentiment d'appréhension de la sortie. Quatre prisonniers sur cinq demandent à travailler, suivre des cours ou être formés en prison, pour une meilleure réinsertion. Quatre détenus sur cinq également demandent l'élargissement de la possibilité d'accès au dispositif d'urgence à la sortie de prison. Ça en dit long sur leurs attentes au point de vue de la réinsertion.
Mais concrètement, que peut-on espérer de ce sondage ?
- Tout d'abord c'est un constat pas facile à nier. C'est important parce que même le rapport du commissaire européen sur l'état de nos prisons, notre ministre de la Justice a trouvé le moyen de le mettre en doute. Là, plus de 15.000 personnes vont dans le même sens.
Et puis, ce n'est qu'une étape des Etats généraux. Maintenant, nous allons travailler sur ces résultats et les comparer avec d'autres pays. Ceci va nous permettre de dégager des axes fondamentaux sur lesquels nous allons interpeller chaque candidat à la présidentielle.