Vous êtes ici :

Le cas des discriminations pénales basées sur "l'origine"

Interview de Marie-Noëlle FRERY

<< Cette discrimination de traiter différemment un même délit en fonction de "l'origine", est presque acquise culturellement >>.

Marie Noëlle Fréry est avocate au barreau de Lyon. Elle s'exprime sur l'existence de pratiques dsicriminatoires au sein de la justice. 

Propos recueillis dans le cadre du cycle "Villes pluriculturelles et cohésion sociale en Europe".

Tag(s) :

Date : 02/06/2003

Vous pensez pouvoir illustrer des discriminations basées  sur "l'origine" en matière de pratiques pénales à Lyon ?
Les gens qui font l'objet de poursuites pénales sont d'abord  les personnes les plus modestes, qu'elles soient françaises ou qu'elles soient étrangères. On constate néanmoins, par exemple, que les comparutions immédiates  (la justice rapide) concernent dans de très nombreux cas des étrangers ainsi  que des Français d'origine étrangère. Par exemple, si vous êtes "Français blanc"  et que vous tentez de voler dans un supermarché, il y a toutes les chances que  le supermarché classe l'affaire, parce que la famille va venir payer. Par contre  si vous vous appelez Mohamed, habitant à Vaulx-en-Velin, l'incident sera peut-être  réglé par la famille qui aura remboursé la marchandise volée, mais le gamin sera présenté au tribunal correctionnel en comparution immédiate. Autre exemple  flagrant, je suis toujours "Français blanc" et lors d'une manifestation j'insulte  un policier, je passerai éventuellement en Maison de Justice, où je ne ferai  pas l'objet d'une condamnation sur un casier judiciaire mais plutôt d'un arrangement  à l'amiable avec un magistrat à la retraite et une simple amende. Par contre,  si je suis "Français d'origine étrangère", je risque de passer en correctionnelle  pour outrage à agent parce que c'est un délit.

 

Le fonctionnement de la machine judiciaire serait donc parfois discriminatoire ?
La différence de traitement commence dès l'accès à la justice  qui décide d'orienter tel dossier sur telle voie plus ou moins rapide pour un traitement plus ou moins égal en fonction souvent de "l'origine" ou du domicile de l'accusé. Cette discrimination, traiter différemment un même délit en fonction  de "l'origine", est presque acquise culturellement. Le rendu même de la justice  est aussi parfois discriminatoire puisque l'on assiste à des audiences de "sous-justice"  bâclées, faites en urgence et traitées bien différemment, par rapport à d'autres  délits. Comment alors demander à des individus de respecter les règles alors  qu'ils savent pertinemment qu'elles ne sont pas les mêmes pour tous ? Les jeunes  Français issus de l'immigration en sont parfaitement conscients et s'adaptent à cette réalité par une position de méfiance vis-à-vis de la justice. Nous devrions  aussi, par exemple, nous pencher sur le recrutement et la formation des magistrats  dans les Maisons de Justice : ces magistrats sont nommés dans les Maisons de  Justice une fois la retraite venue. Ils sont souvent très éloignés des réalités  de terrain.
Il y a aussi un problème dans l'accès même à la justice. À Lyon, depuis 2002,  de nombreuses aides juridictionnelles administratives sont refusées à des étrangers,  qui demandent à bénéficier d'un avocat lorsqu'il s'agit d'intenter un procès  à une administration (souvent la préfecture). Ces aides sont, par ailleurs,  accordées sans trop de difficultés aux ressortissants de nationalité française.

 

Diriez-vous que des discriminations sont également faites aux gens du voyage, eux aussi Français par ailleurs ?
J'ai rencontré des gens du voyage installés depuis trente ans dans une commune du Sud-Ouest de l'agglomération. Tous leurs enfants vont  à l'école, ils votent, paient des impôts et ont la fameuse carte de circulation.
Pourtant, la municipalité leur refuse le droit d'acheter des terrains, mais peut par ailleurs demander leur expulsion car la zone aménagée pour les accueillir est trop petite. Sur une autre commune proche de Lyon, certaines familles ont  voulu acheter des terrains, mais le maire fit exercer un droit de préemption  sous couvert d'une activité sociale qui ne verra jamais le jour. Ces familles  n'imaginaient même pas une seconde qu'elles auraient pu contester devant la  justice cette décision, qu'il faut légalement justifier.
Le motif généralement utilisé par les autorités pour expulser immédiatement les gens du voyage est "le trouble illicite", terme basé uniquement sur des appréciations subjectives des autorités. Une autre discrimination porte sur le refus d'une commune de fournir l'attestation de domiciliation obligatoire pour, par exemple, scolariser les enfants. Au-delà du caractère parfois inique du refus ou non de donner cette attestation, la loi est claire concernant la scolarisation, puisque jusqu'à seize ans tout enfant a droit à l'école. Certains élus ont même été jusqu'à mettre leur veto à la scolarisation de Roms ou de gens du voyage alors que les chefs d'établissement avaient accepté un réaménagement  des classes pour les accueillir. Leur crainte était de voir partir certaines  familles "intégrées" et de créer un "appel d'air" pour d'autres gens du voyage. Des procès pourraient imposer à l'Éducation nationale ou aux collectivités de scolariser ces enfants, pourtant les familles n'osent pas encore franchir ce pas.