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Clément Ulysse PILA (1837-1909)

Étude

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Date : 06/11/2007

Il naît à Avignon le 5 septembre 1837 dans une famille de notables locaux liés à la soierie. Il termine, en 1855, ses études au petit séminaire de Béziers. A cette époque, la soie entrant en crise à cause des ravages de la pébrine, il n’a de place ni dans les affaires de son père, ni dans celles de son frère aîné. Il décide alors de quitter le midi pour voir si, à Lyon, il n’est pas possible de faire carrière dans une branche qu’il connaît bien. Il fait son apprentissage professionnel dans la maison Raffard et Chassignol, sise au n° 25 de la rue des Capucins. 
 

Un soyeux entreprenant

Dans les années 1860, toutes les maisons de soierie d’Europe étant à la recherche de matières premières, elles se tournent, pour s’approvisionner, vers l’Extrême-Orient. C’est alors qu’Ulysse Pila, répondant à une offre d’emploi proposée par une firme anglaise de négoce de soierie, s’embarque en 1863 pour Shanghai. L’année 1864 voit les choses changer. La firme anglaise liquide ses affaires en Chine, ce qui oblige Ulysse Pila à se lancer personnellement dans les affaires. Il se tourne alors vers le Japon qui commence à s’ouvrir aux Occidentaux. Ulysse Pila devient un véritable marchand-aventurier, s’adonnant à la contrebande pour se procurer les graines de vers à soie dont l’Europe a besoin. Pasteur ayant résolu la crise de la pébrine, les affaires deviennent moins juteuses en Asie et Pila rentre en France proposant à Pierre Raffard une association pour fonder une maison de courtage de soies grèges et de déchets de soie à Marseille, porte d’entrée des produits de l’Orient. En 1867 est créée Ulysse Pila & Cie, société en commandite simple, qui se dote vite d’une succursale à Shanghai après un voyage de Pila dans cette ville en 1869 et un retour en France qui s’accompagne d’une traversée de la péninsule indienne. Si les années 1870-1871 sont difficiles - la guerre de 1870, la mobilisation de Pila et l’épisode de la Commune à Marseille -, les affaires reprennent vite et Pila décide, la trentaine bien sonnée, de se marier, ce qui est fait le 12 juin 1872 avec Mathilde Pianello, fille d’un commissionnaire de Marseille travaillant avec l’Argentine et consul de ce pays. Ce mariage, bien qu’heureux, est l’exemple même d’un mariage bourgeois avec contrat et dispositions claires concernant la dot de l’épouse. Cependant, 1873 voit les affaires de dégrader à nouveau, car la soie qui arrive à Marseille ne fait que transiter pas cette ville pour, via le  P. L. M., rejoindre le marché lyonnais, bien structuré autour de la Condition des soies. C’est alors qu’il décide de s’installer à Lyon, d’abord au 13 rue de l’Arbre-Sec, puis au  2 de la rue de la République dans les années 1880. L’année 1876 est très favorable, car les mauvaises conditions climatiques en France et en Italie font que la récolte de vers à soie est perdue. Il faut donc s’en procurer en Asie et là, Pila fait merveille grâce à ses réseaux asiatiques.

 

Un propagateur de la colonisation en Indochine

La conjoncture des années 1880 étant morose, car elle correspond à la grande dépression mondiale, les Lyonnais sont en quête de marchés rémunérateurs. Le marché chinois les intéresse particulièrement, mais il faudrait contourner le monopole britannique sur Hong Kong. Une conférence à la Société de géographie de Lyon oriente les regards des libéraux lyonnais vers une politique coloniale plus active en Indochine, porte d’entrée de la Chine, du moins le pense-t-on à l’époque. Ulysse Pila va être l’homme de ce pari lyonnais. Il installe en 1884, en pionner et sans connaître cette région - il ne se rend au Tonkin qu’en 1886 -, une succursale de sa société à Haïphong pour y établir une compagnie de navigation et des entrepôts, anticipant ainsi sur la colonisation du Tonkin, ce qui est fait en 1885 sous le ministère Ferry. La position de Pila vis-à-vis de la colonisation est complexe. Elle associe bien évidemment contrôle d’un espace où il est possible de se procurer des matières premières et volonté de développer cet espace en investissant localement, car les populations nombreuses de ces pays deviendront à terme consommatrices. Pas de philanthropie, mais une belle vision réaliste de l’économie libérale. Proche de Paul Bert, résident général du nouveau protectorat d’Annam-Tonkin, Pila, avec des actionnaires à majorité lyonnais, devient président de la Société des Docks de Haïphong et sa compagnie obtient la concession des Magasins centraux d’Haïphong qui approvisionnent le corps expéditionnaire français. Cette aventure coloniale qui s’inscrit dans la durée connaît, au gré des vicissitudes des gouvernements et des majorités législatives, des moments faciles et des périodes difficiles avec les autorités coloniales. La réception, en 1891, à la Chambre de commerce de Lyon de Jean-Louis de Lanessan, nouveau gouverneur général de l’Annam-Tonkin, est un moment fort des relations lyonno-tonkinoises, en particulier dans la culture du pavot, mais cela fait long feu, car en décembre 1892, la Société des docks d’Haïphong est rachetée par le Protectorat. Pila revient à son activité première, la soie, ce qui ne l’empêche pas de s’intéresser à l’Indochine en patronnant, en 1895, la mission lyonnaise Rocher/Brenier d’exploration du fleuve Rouge. En 1899, il repart dans les affaires en fondant la Société des Docks et houillères de Tourane en Annam, mais aussi en s’intéressant au chemin de fer du Yunnan. Vice-président de l’Union coloniale, ses connaissances asiatiques le font rechercher par de nombreux conseils d’administration d’établissements bancaires, en particulier la Banque de l’Indochine. A la fin de sa vie, sa compagnie devient Les Successeurs d’Ulysse Pila & Cie, société qui existe encore aujourd’hui.
 

Une lente montée en notabilité à Lyon

Fortune faite, Pila installe, à la fin des années 1870, sa famille, trois enfants sont nés entre 1874 et 1877, place de l’Helvétie, près du parc de la Tête d’Or et fréquente l’église de la Rédemption, sans être un catholique intransigeant. Son insertion dans la société lyonnaise, en tant que notable, commence, lorsqu’il devient en 1876 membre de la Société de géographie de Lyon, puis, en 1878, de la Société d’économie politique de Lyon et enfin, au début des années 1880, juge au Tribunal de commerce où il rend de grands services au moment du krach de l’Union générale en 1882 à une grande partie des financiers lyonnais, tels Edouard Aynard, Sigismond Lilienthal ou encore Charles Gignoux qui, tous, deviennent des proches aussi bien professionnels que relationnels.
A la fin des années 1880, il s’installe au 10 place Morand. Le 8 janvier 1889, s’il est élu membre de la Chambre de commerce de Lyon, en même temps qu’Edmond Payen et Joseph Gillet, l’année suivante, lui qui brigue le poste de secrétaire ou de trésorier, n’est pas élu, il lui manque encore des quartiers de « lyonnitude » ! Si Lyon l’accepte, elle ne le promeut que lentement, en revanche, la reconnaissance lui vient de son action coloniale. Après la légion d’honneur en 1886, il est fait commandeur de l’ordre royal du Cambodge en 1890 et devient membre du Conseil supérieur des colonies. Cependant, en 1891, il devient membre du comité d’Action de la Société de géographie de Lyon, puis en 1893 de la commission de comptabilité de la Chambre de commerce qui supervise la comptabilité de la Condition des soies. A la fin de cette année 1893, le voilà vice-président de la Société d’économie politique. La Chambre de commerce et son président Aynard le chargent avec Mangini, Isaac, Payen, Lilienthal, de l’organisation de l’exposition coloniale de 1894 à Lyon. Il a bien marié ses enfants et a 60 ans, il est nommé vice-président de la Société de géographie de Lyon. Porteur d’une notoriété locale et nationale, il se fait le propagandiste d’une Ecole coloniale à Lyon qui ouvre au début de l’année 1900. Malade depuis 1907, il s’éteint chez lui le 10 mars 1909.
 
Ce « self-made-man », devenu membre de la bourgeoisie libérale lyonnaise pro-coloniale, porteuse du capitalisme entrepreneurial qui a fait la fortune économique de Lyon depuis le début de la révolution industrielle, illustre l’importance de la famille et des réseaux dans sa réussite professionnelle. Si son parcours illustre la lenteur de son intégration dans le cercle étroit des notabilités lyonnaises, il est là aussi pour prouver la capacité qu’a cette ville à accueillir les non-Lyonnais.
 
 Bibliographie
- Jean- François Klein, Ulysse Pila, vice-roi d’Indochine, Lugd, 1992.