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Les impacts des procédés techniques sur les matériaux

Couverture de l'étude

Étude

Quelles sont les tendances et ruptures de procédés techniques qu’il faut avoir en tête quand on parle d’évolution de la consommation de matériaux ?

Cette étude détaille les innovations entourant différentes catégories de procédé technique, en proposant des focus sur quatre procédés : la lithographie des circuits intégrés, la fabrication dans la filière photovoltaïque, la récolte et le lavage de la laine, et les procédés de remanufacturing.

Chacune de ces fiches détaille les principales étapes de fabrication, les procédés en jeu, l’organisation liée à ces procédés, et les pistes d’évolution et d’alternative.

Un propos synthétique, repris ci-dessous, dresse en conclusion quelques enseignements croisés sur les différentes directions vers lesquelles s’orientent les innovations de procédé.
Date : 05/03/2024

Retrouvez l'étude complète, à télécharger ici : 

 

Sommaire

 

Introduction générale. Les matériaux, un enjeu d'avenir pour le territoire métropolitain (Page 3)

Introduction aux procédés techniques (Page 5)

  • Définitions de base (Page 5)
  • Rétrospective et grandes tendances en cours (Page 8)

Panorama des tendances sur les procédés techniques (Page 10)

  • Extractions des matières premières (Page 11)
  • Fabrication (Page 13)
  • Transport & distribution (Page 15)
  • Utilisation (Page 15)
  • Fin de vie (Page 16)

Focus sur quelques procédés clés (Page 19)

  • Les procédés de lithographie dans la filière électronique (Page 21)
  • Les procédés de fabrication de la filière photovoltaïque (Page 31)
  • Les procédés de récolte et de lavage de la filière laine (Page 37)
  • Les procédés de remanufacturing dans l’industrie manufacturière (Page 43)

Analyse transversale (Page 51)

Annexes (Page 55)

  • Tableau des étapes du cycle de vie (Page 56)
  • Sources (Page 68)

 

L’essentiel

 

Le panorama des tendances et les focus illustrent la grande vivacité des innovations de procédé et leur impact sur la production, l’utilisation et la fin de vie des matériaux. Quelques éléments d’analyse ressortent de la lecture transversale de ces focus.

 

Les innovations de procédés : à la croisée des enjeux de productivité, de souveraineté et de transition

 

Le tour d’horizon offert par cette étude permet de constater que les procédés de transformation de la matière ont joué un rôle central dans l’évolution des techniques au cours de l’histoire, avec une diversification et une complexification spectaculaire depuis la révolution industrielle – et plus encore au cours des dernières décennies. Ces innovations ont été en grande partie motivées par une recherche de gains de productivité et d’efficacité au service de modèles économiques capitalistes, globalisés et s’inscrivant dans une idéologie de la modernité et du progrès.

Dans un contexte d’abondance énergétique, de transition numérique et de mondialisation de l’économie, cette course à la productivité a eu au cours des dernières décennies des conséquences qui sont de plus en plus perçues comme négatives – en particulier une perte de souveraineté des États et une accélération de la destruction des conditions de vie (climat, biodiversité, etc.).

Les innovations de procédés reposent aujourd’hui en grande partie sur ce dilemme : parvenir à atteindre une certaine compétitivité/rentabilité tout en participant à la transition écologique, et sans mettre en péril la souveraineté des États.

  • Le cas des procédés photovoltaïques est symptomatique : la filière, qui occupe une place centrale dans la transition énergétique, est parvenue à atteindre un niveau de rentabilité sans précédent au cours des quinze dernières années, au point de faire de l’énergie solaire le moyen de production d’électricité le moins cher. Cette performance a été rendue possible en optimisant des procédés de la filière silicium dans une logique de gains de productivités très classique, passant notamment par l’automatisation, la course au gigantisme des unités de production à tous les stades de la fabrication, et la concentration géographique de ces unités en Chine – ce qui génère des menaces de souveraineté pour le reste du monde. Dans le même temps, des procédés concurrents se sont développés, mais sans parvenir à rattraper les procédés de la filière silicium.
     
  • Le cas des procédés lithographiques est tout aussi parlant : au cœur de l’industrie numérique, ils sont parvenus à atteindre des niveaux de performance et de compétitivité qui étaient inimaginables il y a encore quelques années. Mais la concentration des moyens de production qui a été nécessaire pour concilier performance et compétitivité a créé des dépendances extrêmement fortes, qui sont aujourd’hui au cœur des tensions internationales.
     

Quels niveaux d’intensité technologique pour la transition écologique ?

 

La complexification des procédés se traduit par une intensification technologique croissante, qui va de pair avec des chaînes de valeur spécialisées et globalisées. Elle entraîne également une « fermeture » des usages (impossibilité de réparer et d’agir en autonomie sur les produits / procédés) et augmente les dépendances des territoires les uns envers les autres.

Les logiques de croissance économique et de consommation sont tirées par ces innovations technologiques pour créer de la différenciation « produit » et de la productivité. À l’inverse, des procédés à plus basse intensité technologique existent. Ils sont pour la plupart déjà disponibles (procédés hydro-mécaniques par exemple), ouverts – au sens de Gilbert Simondon – et en plus, pour les low tech, conviviaux, au sens d’Ivan Illich. Ils vont de pair avec des emplois plus nombreux (moins d’automatisation), une territorialisation des chaînes de valeur, une empreinte écologique plus frugale et des modes de consommations plus sobres. Ils peuvent également, comme c’est le cas des technologies vivantes, s'inscrire dans les cycles biogéochimiques du vivant sans les perturber.

Le choix des procédés induit donc des systèmes sociotechniques et d’infrastructures différents en fonction de leur intensité technologique. Le passage à l’échelle de ces procédés conditionne ainsi les territoires. Par exemple, l’hyperconnexion des machines est lié au déploiement d’infrastructures permettant la 5G et une dépendance aux pays détenteurs de technologies de pointe ; la fast fashion est liée à une délocalisation des procédés de fabrication dans les pays à bas coûts et des flux de déchets dirigés vers les pays en voie de développement ; le développement du remanufacturing est lié à la promotion de labels européens, il s’appuie sur des outils industriels en partie déjà existants et le développement de l’emploi local sur des métiers manuels, etc.

  • L’exemple des procédés photovoltaïques fondés sur les technologies à impression (couches minces) est un exemple intéressant de technologie qui permettrait la production de cellules quasi sur-mesure, dans des usines de production décentralisées ou « de quartier », de type Fab-lab, en opposition avec le modèle très centralisé qui domine aujourd’hui le marché.
     
  • Le cas de la laine est un exemple qui illustre bien le concept de technologie vivante. Les bénéfices écologiques des pratiques d’élevage ovins extensif sont bien documentés : puits de carbone, biodiversité, entretien des paysages, etc. La laine française est actuellement largement sous-exploitée alors que ses propriétés techniques lui confèrent la capacité de se substituer à des matières issus de la pétrochimie dans certaines applications (textile, literie, etc.). Une réindustrialisation des procédés de lavage de la laine permettrait de lui trouver un débouché tout en répondant aux impératifs de la transition écologique.

 

D’autres clivages apparaissent autour de ces enjeux d’intensité technologique : par exemple, en matière de transition écologique, la tendance de nombreuses innovations semble encore s’inscrire dans une optique de soutenabilité faible, caractérisée par l’idée que les innovations technologiques (parfois de rupture) permettront de répondre à l’essentiel des défis écologiques. Pourtant, une part grandissante de la communauté scientifique nous alerte sur la nécessité d’une soutenabilité forte pour maintenir les conditions d’habitabilité de la terre. En termes d’innovation, il s’agirait ainsi de miser tout autant sur l’innovation sociale et comportementale que sur l’innovation technologique – et même dans certains cas d’aller vers une forme de désinnovation.

Ces quelques exemples montrent que, même pour atteindre un objectif aujourd’hui consensuel comme la neutralité carbone, il existe une pluralité de chemins possibles, mobilisant des formes d’innovation, de technologies et de procédés très différents. En la matière, rien n’est encore écrit, comme l’Ademe a par exemple commencé à l’illustrer à travers ses différents scénarios de transition vers un monde post-carbone.

 

 

Un enjeu de temporalité à ne pas négliger : changer vite aujourd’hui, ou de manière disruptive demain ?

 

La transition écologique et énergétique est aujourd’hui au cœur de nombreux discours sur les innovations de procédés. Or la comparaison des technologies proposées fait parfois apparaître des écarts entre, d’un côté, des technologies de faibles intensité technologiques qui pourraient être rapidement mises en œuvre et, de l’autre, des technologies disruptives qui demandent encore du temps avant d’être déployées – si tant est qu’elles le soient réellement un jour. En contexte d’urgence écologique ou climatique, cette temporalité dans les horizons de déploiement peut jouer un rôle crucial.

  • Par exemple, le remanufacturing est une innovation de procédé de faible intensité technologique par rapport aux technologies déjà existantes. Un industriel qui sait fabriquer une machine est également capable de la remettre à niveau d’un point de vue industriel, dans la mesure où son produit a été conçu pour. Les procédés de remanufacturing et de reconditionnement ont donc des horizons d’effectuation de quelques mois à quelques années.
     
  • Au contraire, des innovations de haute intensité technologique relevant de la « Deep Tech » (c’est-à-dire visant des ruptures technologiques), comme par exemple la rupture hydrogène dans les secteurs de l’acier ou celui des engrais, ne peuvent être déployées qu’à l’horizon de plusieurs années ou décennies, du fait de leur faible maturité actuelle.

 

Des limites physiques longtemps ignorées, des chaînes de valeurs mondialisées obsolètes : vers une certaine sobriété/frugalité ?

 

Les évolutions de procédés se sont opérées jusqu’à présent sans parvenir à diminuer les flux de matière et d’énergie. Ce contexte de disponibilité des ressources est aujourd’hui remis en cause. Tout laisse en effet à penser que la confrontation avec certaines limites physiques nous amène à devoir composer avec moins d’eau disponible, moins d’énergie et sans doute moins de ressources matérielles.

La rareté et les pénuries vont ainsi devenir une nouvelle donne à prendre en compte tant la consommation exponentielle des ressources va devenir de plus en plus impossible, pour des causes d’approvisionnement ou de réglementation.

D’ores et déjà, on a pu voir certains procédés se retrouver à l’arrêt du fait de ces conditions dégradées : des centrales nucléaires arrêtées en période de canicule et de sécheresse, des entreprises grosses consommatrices de gaz obligées d’arrêter leurs fours du fait de la guerre en Ukraine, etc. Certains procédés sont plus résilients que d’autres face à ces menaces de pénurie :

  • Les procédés de remanufacturing ont par exemple l’avantage de soutenir des modes de consommation moins carbonés (allongement de la durée de vie des produits, réduction des quantités d’énergie nécessaire à la production des biens), de réduire la pression exercée sur les ressources et la biodiversité (réduction des approches extractives, réduction des quantités d’eau nécessaires à la production), de développer l’emploi local et de contribuer à la réindustrialisation et à la souveraineté. Les entreprises développant ces modèles ont également une résilience accrue sur une partie de l’activité, liée à leur capacité à récupérer auprès de leurs clients les équipements après usage pour leur donner de secondes vies et le cas échéant récupérer les matériaux stratégiques pour les recycler, en se découplant des chaînes de valeur mondiales.

 

Une relocalisation des procédés engagée, mais confrontée à de puissants freins

 

Enfin, les relocalisations de certains procédés (et plus généralement la réindustrialisation) sont depuis quelques années avancées comme des solutions pour répondre aux enjeux de souveraineté et de transition écologique (mix énergétique moins carboné en Europe, réglementation plus stricte du point de vue environnemental, réduction des émissions liées au transport, etc.).

 

Mais si cette relocalisation des procédés industriels semble faire l’unanimité, elle est en réalité confrontée à de réels freins, comme la concurrence des coûts de production, la perte de savoir-faire, la concentration capitalistique des outils industriels et des capacités d’innovation, l’accès aux matériaux, l’acceptabilité sociale des nuisances liées à certains procédés industriels ou d’extraction, etc.

  • La lithographie du numérique et les procédés de la filière photovoltaïque sont des cas symptomatiques des défis posés par une relocalisation de la production en Europe, dont on sait qu’elle ne pourra plus aujourd’hui être compétitive face à la production asiatique en l’état actuel des technologies, de la concentration des moyens de production et de l’ouverture des marchés à la concurrence asiatique.
     
  • La filière textile, notamment la filière de la laine, montre la difficulté de réappropriation des outils et des savoir-faire une fois que ceux-ci ont disparu. Elle montre également que la réduction des intermédiaires ne permet pas pour autant de compenser les coûts de production plus élevés liés au coût de la main d’œuvre, à une réglementation plus stricte et à la moindre concentration des procédés.

 

La relocalisation passera par une réindustrialisation et une vraie volonté publique. Elle devra être pensée à l’échelle des territoires tant l’opérabilité des procédés techniques dépend des bassins de compétences et des capacités industrielles déjà installées. Pour que la réindustrialisation réponde aux enjeux d’autonomie et aux attentes sociales, la réflexion et la planification des filières devra intégrer l’ensemble du cycle de vie des produits. Pour les procédés, cela voudra dire de penser un développement intégrant, au-delà de la production du produit neuf :

  • des procédés de production de matières sur des territoires locaux, à l’échelle de l’Europe et du bassin méditerranéen,
     
  • le développement de procédés frugaux, au-delà de la consommation d’énergie, vis-à-vis des ressources locales, comme l’eau par exemple,
     
  • des procédés permettant les boucles de circularité, bien en amont du recyclage.

 

pelotte de laine
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