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Entre prisme individuel, ressources et environnement, comment se structure un mode de vie ?

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Ces dernières années, l’approche par les modes de vie s’est développée pour dépasser les indicateurs structurels classiques que sont l’âge, le genre, le revenu, etc. L’individualisation progressive de la société a rendu nécessaire d’utiliser de nouveaux outils capables de rendre compte de la diversité inédite des modes de vie.

Mais comment se construit un « mode de vie » ? Peut-on agir dessus ? En réalité, il n’existe pas véritablement d’outils « clés en main » et la littérature scientifique est relativement silencieuse sur leur processus de formation.

De fait, l’approche par les « modes de vie » permet d’offrir une photographie de la société à un instant t. La mise en perspective à travers le temps permet, par contraste, d’observer les contours des évolutions au niveau sociétal, en passant d’une « photo » à l’autre.

Cependant, la compréhension précise des évolutions individuelles et collectives des « modes de vie » dans le temps reste encore peu renseignée. L’objectif de cet article est d’apporter certaines clés de lecture permettant de mieux comprendre comment les « modes de vie » se construisent et évoluent dans le temps.

Il s’appuie sur une revue de littérature et deux entretiens, menés au cours du mois de janvier 2023, avec les chercheurs Alexandre Rigal et Luca Pattaroni.

S’inspirant des travaux de Pierre Bourdieu, l’article identifie et détaille trois facteurs qui contribuent à la construction et l’évolution continue des modes de vie : l’environnement / le réel, les ressources, et le prisme individuel (habitus, représentations, affects).
Date : 01/06/2023

Le mode de vie, reflet de pratiques du quotidien ou catégorie d’analyse ?

 

Éclaircissons d’abord ce que désigne le concept de « mode de vie ». En effet, s’agit-il d’un terme pour refléter des pratiques, la « manière de vivre » d’un ou de plusieurs acteurs, ou bien d’une catégorisation théorique dans laquelle s’insère, ou non, différents profils ?

Historiquement, les premières apparitions de la notion de « mode de vie » datent de la fin du XIXème et du début du XXème siècle, à travers, « des auteurs comme Velben, Simmel Weber ou Wirth [qui l’utilise] dans leurs ouvrages pour décrire de nouvelles manières de faire et de vivre à une période marquée par une forte urbanisation, par le développement des loisirs, etc. » (Dubois, 2019). On assiste ensuite à une certaine oscillation entre :

  • une vision structuraliste, promue par Pierre Bourdieu (1979, 1980). Ce dernier s’appuie sur une lecture des « modes de vie » comme inscrits dans des classes sociales, dans un espace social ;
     
  • l’approche défendue par Ulrich Beck (1986), qui appréhende les « modes de vie » comme étant plus individualisés, et reflétés par les aspirations et les pratiques des acteurs.

Plus récemment, Luca Pattaroni, reconnu pour ses travaux sur les modes de vie, considère qu’« un mode de vie est une composition - dans le temps et l’espace - des activités et expériences quotidiennes qui donnent sens et forme à la vie d’une personne ou d’un groupe » (Pattaroni, 2013). Cette définition est véritablement centrée sur l’acteur (un individu ou un groupe d’individus), et englobe tous les éléments qui participent à sa manière de vivre, à son « aventure existentielle » (Rigal, 2018).

À l’inverse, nous pouvons trouver des acceptions orientées vers le cadre d’analyse. Pour Juan Salvador (2017) par exemple, « le mode de vie est indissociable de l’explication. Il désigne un agrégat d’individus réunis par un attribut : tous ceux qui réalisent une activité donnée ou un petit ensemble d’activités. Il délimite et sépare donc un groupe, une quantité de personnes, par un (ou des) attribut(s), par une qualité analytiquement distinguée des autres et réservée au domaine de l’action routinière. Le mode de vie « regarde » (en extension) les individus du point de vue de l’activité et donc de ce qui l’institutionnalise, du système ».

Entre ces deux acception, Bruno Maresca (2017) suggère quant à lui « de penser le mode de vie [au singulier] comme une structure, un cadre de référence, de la vie sociale et de regarder les modes de vie [au pluriel] comme des ensembles de pratiques de la vie quotidienne déclinable à différentes échelles (catégories sociales, territoires, individus) ». Cette solution vise de cette manière à répondre tant à la pratique qu’à la catégorisation.

 

Des métissages… et une absence de consensus

 

Au-delà de ces définitions variées, plusieurs concepts, ou notions se mêlent également au concept de mode de vie. Par exemple, le « style de vie », qui se focalise plus encore sur l’individu, ou encore le « genre de vie », notion venue de la géographie humaine du début du XXème siècle, porté par Paul Vidal de La Blache, tournée vers le milieu et son influence sur les acteurs. Si ces différents concepts représentent des approches distinctes, ils peuvent aussi se compléter.

En effet, il existe certains métissages, avec par exemple Aurélien Boutaud et Boris Chabanel (2020) pour Millénaire 3 qui définissent le mode de vie « comme la façon de penser, de se comporter et de consommer qu’adopte une société, un groupe ou un individu ». Il est le résultat d’une combinaison complexe de facteurs incluant « les représentations, les valeurs et les croyances, les comportements et les habitudes, les institutions, les systèmes économiques et sociaux » (UNEP, 2011) ». Cette dernière définition étant enrichie par la notion anglaise de Lifestyle proposée par l’UNEP dans sa Vision pour le changement, élément qui montre la perméabilité entre ces différents concepts. Nous pouvons remarquer que cette dernière définition est également tournée vers l’acteur, ses caractéristiques et ses pratiques.

Ainsi, il n’existe pas véritablement de consensus clair sur le concept de « mode de vie ». Dans le cadre de cet article, nous reprendrons la définition déjà mentionnée, proposée par Luca Pattaroni, qu’il précise de la manière suivante :

« Le renvoie à un ensemble d’aspirations et de capacités des personnes qui se constituent à la rencontre entre les caractéristiques de la personne (liées à son expérience passée, ses ressources, ses apprentissages) et les prises offertes par son environnement. Il est constitué par l’ensemble des expériences et des activités au travers desquelles une personne s’efforce de vivre une vie qui mérite d’être vécue (Sen, 1999) » (Pattaroni, 2013).

À partir de celle-ci, nous nous focaliserons plus spécifiquement sur la structuration individuelle ou sociale des « modes de vie », en lien avec les acteurs.

 

Comment se construisent les modes de vie ?

 

Pour comprendre comment se construisent les modes de vie, il nous semble pertinent de marquer une distinction claire entre ce qui relève :

  1. des « caractéristiques de la personne », pouvant être également conceptualisé comme habitus en sociologie, comme représentations en géographie, ou encore comme prisme (voir encadré pour les définitions) ;
     
  2. les ressources qui appartiennent, ou pourraient appartenir, à l’acteur : elles sont généralement alimentées, ou en partie héritées, par la famille ou l’entourage proche d’un acteur, mais peuvent également être développées par les agissements de l’acteur, à travers généralement le travail ;
     
  3. l’environnement, que nous pourrions aussi qualifier d’espace, de territoire, ou encore de réel, qui doit être considéré dans toutes ses dimensions (les relations sociales peuvent participer fortement aux choix réalisés par un acteur, par exemple lorsqu’il souhaite vivre proche de sa famille, de ses amis, etc.).
     

En effet, l’acteur perçoit son environnement [point 3] à l’aune de ses caractéristiques [1], ou représentations préexistantes, puis en fonction de celles-ci, de ses aspirations et des ressources dont il dispose [2], il réalise des arbitrages qui se traduisent par des comportements, des pratiques, dans l’environnement [3].

Pour mieux comprendre les enjeux qui interviennent dans le processus de construction des modes de vie, nous proposons le schéma synthétique suivant, dont les termes vont être expliqués ensuite.

 

Ressources : économique, sociales, culturelles, symboliques, temporelles rentre dans un cercle d'intériorisation et d'extériorisation de l'intériorité : les ressources mène au Prisme, Habitus, représentations, affects qui mène à action, comportement qui mène à Environnement, espace, territoire, réel puis qui mène à perceptions pour remmener à prisme, habitus etc. et ainsi de suite.
Schématisation du processus de construction des modes de vie

 

Cette schématisation illustre dans quelle mesure, la structuration des modes de vie dans le temps, est un processus en perpétuel renouvellement, où :

  • Premièrement l’environnement, l’espace, le territoire, le réel offre des possibilités et impose des contraintes.
     
  • Celles-ci sont ensuite appréciées, jugées, par l’acteur à l’aune de ses perceptions, elles-mêmes orientées par son prisme, constitué par l’habitus de l’acteur et l’ensemble de ses représentations – affects (voir encadré).
     
  • Il en est de même pour ses différentes ressources qui viennent pondérer les arbitrages réalisés.
     
  • Ceux-ci se réalisent donc selon une combinatoire complexe qui réunit environnement perçu, appréciation des ressources et les possibilités qu’elles offrent, les caractéristiques du prisme, et se traduisent dans le réel par les comportements, les actions, les pratiques de l’acteur.

 

Habitus, prisme, représentations, affect… Quelques définitions
 

S’inspirant des travaux de Pierre Bourdieu (1972), on peut définir le concept d’habitus comme « un ensemble durable de schèmes de perception, d’appréciation, de pensée et d’action » (Guichard, 1993). Dans notre schématisation, il s’exerce un double processus qui voit l’habitus se structurer de façon continue en fonction des éléments perçus (intériorisation de l’extériorité), tout en influençant directement les caractéristiques de la manière de se comporter dans son environnement (extériorisation de l’intériorité).

Le concept de représentations est défini en géographie humaine comme étant des « créations sociales et/ou individuelles de schémas pertinents du réel » (André, 1998). Cette approche n’offre pas réellement les éléments de structure que porte l’habitus, et elle n’intègre pas véritablement les enjeux sensibles, affectifs et émotionnels.

Il paraît ici nécessaire d’intégrer les affects aux représentations pour rendre compte de ces éléments sensibles qui participent fondamentalement aux appréciations, arbitrages, et décisions des acteurs. Nous considérerons ici que « les affects accompagnent, définissent, qualifient et connotent les états mentaux, donnant un ton et une couleur aux représentations » (Green, 1995). Selon notre acception, les représentations sont donc intimement, et de manière permanente, « colorées », « teintées » ou encore « texturées » par les affects (Grossberg, 1992).

Nous lierons les deux concepts et utiliserons donc le terme de représentations – affects (Mermoud-Plaza, 2022). Celles-ci se structurent et s’organisent comme les facettes d’un prisme qui sert d’une part à lire les éléments perçus et à apprécier les ressources, et d’autre part à arbitrer les décisions qui président aux comportements, et par conséquent à l’action de l’acteur dans le réel.

 

Les socialisations au cœur de la structuration des modes de vie

 

Ce processus, en constant renouvellement, fonctionne au travers de scènes de socialisation. Si « la socialisation doit être considérée comme un processus continu qui concerne les individus tout au long de leur vie » (Castra, 2013), les socialisations primaires et secondaires sont généralement admises comme étant les plus importantes.

La socialisation primaire étant considérée comme plus déterminante encore, car « elle fournit à l’enfant ses premiers repères sociaux qui le marqueront durant toute son existence et agiront ensuite comme un « filtre » : les expériences vécues ultérieurement sont appréhendées, en effet, en référence aux premières qui ont contribué à structurer durablement les manières de penser et d’agir de l’individu » (Riutort, 2013). Elle agit et forge les bases de l’habitus et des représentations, qui influent ensuite sur la manière de percevoir le réel, et donc les contours, et les pondérations, qui seront données aux éléments ultérieurement perçus.

 

Des arbitrages multiples et complexes, certains plus importants que d‘autres

 

Les parcours de vie des acteurs sont le fruit d’arbitrages continus. Toutefois, tous les choix ne se valent pas, et certains ont des conséquences structurelles plus importantes que d’autres sur le mode de vie de l’acteur. Car certains choix réalisés peuvent modifier soit les contours de l’environnement, du réel, soit le prisme de l’acteur, soit les caractéristiques de ses ressources, ou encore tous les éléments en même temps.

Par exemple, un acteur qui possède une voiture a jugé pertinent, à un moment donné, d’investir des ressources économiques et temporelles pour obtenir le permis de conduire. Ce dernier représente une ressource culturelle institutionnalisée qui, dès son obtention, pondère l’ensemble des décisions qui sont prises par l’acteur qui a de plus, modifié son prisme pour devenir capable de conduire.

Les possibilités offertes par cette ressource peuvent, par exemple, se traduire par l’acceptation d’un travail relativement éloigné du domicile et mal desservi par les transports collectifs. Cela peut également influencer certaines logiques du choix résidentiel en conditionnant par la suite l’environnement de l’acteur et par conséquent l’ensemble de ses arbitrages futurs.

Cet exemple illustre qu’à certains moments particuliers, les arbitrages, affectés par l’ensemble des éléments que nous avons abordés, débouchent sur des décisions structurelles qui impactent directement le mode de vie. Si une multiplicité de possibilités est généralement envisageable dans la vie des personnes, la décision finale reste pondérée par des contraintes qui peuvent souvent se révéler très complexes et difficilement dépassables.

En effet, le lien de causalité entre l’obtention du permis de conduire et le choix résidentiel n’est pas si immédiat. Si nous poursuivons notre exemple, l’acteur pourrait potentiellement aussi faire le choix de déménager à proximité de son emploi et ainsi éviter d’utiliser quotidiennement sa voiture.

Dans le cas présent, l’intégration sociale et scolaire des enfants, ou encore les relations sociales situées à proximité directes du domicile, seraient des éléments parmi d’autres qui pourraient fortement freiner la mobilité résidentielle. Les considérations foncières pourraient naturellement aussi être une autre source de limitation de la mobilité, et conditionner les modes de vie. Les variations de l’environnement ou des ressources (par exemple une augmentation du prix de l’essence) peuvent enfin soudainement modifier les pondérations des arbitrages réalisés, et provoquer une adaptation, voire un changement des modes de vie.

 

Comment agir sur la structuration des modes de vie ?

 

Des moments charnières, voulus ou subis

 

Les modes de vie, s’ils se structurent, ne le font donc pas de manière définitive. Il s’agit plutôt d’un processus d’adaptation continu aux contraintes et aux changements qui peuvent intervenir tant sur l’environnement, les ressources que sur le prisme de l’acteur. En effet, les modes de vie s’ajustent, se modifient, et ce généralement aux moments charnières des parcours de vie.

Les déménagements sont par exemple des moments cruciaux (Rigal, entretien) de réarbitrage général qui peuvent impacter le choix résidentiel, le choix modal, etc. Parmi les événements propices aux changements, les deux entretiens menés pour cet article distinguent des événements comme la fin de l’apprentissage ou des études, le passage à la retraite ou encore la naissance des enfants. À ce propos, l’arrivée des enfants modifie fondamentalement les caractéristiques de l’environnement, des ressources, mais aussi du prisme, car les activités qui pouvaient être excitantes, et donc encouragées par les représentations – affects, peuvent se révéler dangereuses accompagnées d’un enfant, et donc être rejetée par l’acteur qui les perçoit dès lors négativement (Pattaroni, entretien).

Ces moments charnières, ou de « rupture », représentent des occasions d’opérer des changements pour s’approcher au mieux de ses aspirations, et ce malgré toutes les contraintes à l’œuvre. Ils peuvent être choisis, ou imposés par l’environnement, avec par exemple une voiture qui tombe en panne : si les coûts de réparation sont importants, faut-il la réparer ? La changer ? Utiliser dorénavant les transports publics ?

C’est dans ces moments particuliers que les acteurs, souvent pris dans la spirale quotidienne de leur mode de vie, s’arrêtent et évaluent la situation nouvelle. Le mode de vie vécu est-il aligné avec le prisme, c’est-à-dire le mode de vie désiré ? C’est dans ces moments qu’ils peuvent chercher à concilier au mieux leur prisme et les aspirations qu’il contient, avec les ressources à disposition, ainsi que l’environnement physique, mais également social, culturel et symbolique. Lorsque l’acteur parvient à harmoniser ces trois piliers, et les contraintes qu’il subit, il peut entrer en résonance (Rosa, 2018), c’est-à-dire entrer en accord, en phase, avec son mode de vie.

 

Photo d'un mécanicien garagiste
© MaxFro

 

Plusieurs conditions pour faciliter le changement

 

Comme le relève Luca Pattaroni (2013), « une des questions essentielles relatives à la recherche sur les modes de vie est celle de leur évolution dans le temps, ceci à la fois à l’échelle d’une vie personnelle et à celle des structures sociétales ».

La question se pose d’autant plus à l’heure où la crise climatique rend nécessaire la transformation (IDDRI, 2012) des modes de vie, afin que ceux-ci deviennent plus durables (Bourg, Dartiguepeyrou, Gervais et Perrin, 2016), plus soutenables (Boutaud et Chabanel, 2020) ou encore plus sobres (Bourg et Roch, 2012).

Cette littérature abondante, utilisant le concept de mode de vie, semble développer cette approche pour l’insérer « dans une perspective d’action, en explorant comment pourrait se développer une opérationnalité de l’objectif de transformation du mode de vie » (Maresca, 2017).

La transformation des modes de vie peut provenir des trois entrées – l’environnement, les ressources, et le prisme – que nous avons identifiées :

  • La modification de l’environnement peut être physique, législative, sociale ou encore symbolique : par exemple, la fermeture d’une route, l’ouverture d’une piste cyclable rapide, ou encore la baisse de la vitesse autorisée sur certains tronçons participent à façonner le réel et les possibilités qu’il offre ;
     
  • Les évolutions des ressources et par conséquent des possibilités offertes à l’acteur : en effet, si le prix des transports publics baisse et que les coûts de l’utilisation d’un véhicule individuel augmentent, cela aura naturellement un impact sur l’arbitrage des ressources de l’acteur, sauf si les ressources de l’acteur sont importantes ;
     
  • Le changement au sein du prisme de l’acteur et plus particulièrement ses représentations-affects qui guide ses décisions.
     

Sur ce dernier point, le changement peut s’opérer à plusieurs conditions et être favorisé par certains processus (Rigal, entretien) :

  • En premier lieu, l’acteur doit imaginer un nouveau mode de vie, c’est-à-dire l’intégrer mentalement comme étant pour lui une possibilité qui existe véritablement et qu’il pourrait le mettre en œuvre ;
     
  • Deuxièmement, il lui faut imiter une personne modèle, élément qui démontre à ses yeux que si cette personne en est capable, alors il l’est potentiellement aussi ;
     
  • Il est ensuite nécessaire d’expérimenter un nouveau mode de vie potentiel, pour passer vers une potentielle mise en application (passer du prisme à la pratique réelle). L’expérimentation rend possible le changement en impactant le prisme de l’acteur par le réel, ce qui renforce cette nouvelle possibilité. C’est le cas lorsque nous allons visiter de nouveaux domiciles potentiels lors d’un déménagement (Pattaroni, entretien) ;
     
  • Enfin, il est primordial que l’acteur puisse discuter avec un entourage social qui l’accompagne dans ce changement. Ces liens sociaux doivent être forts (Rigal, entretien), car « les individus en conversion intègrent de nouveaux groupes au sein desquels ils acquièrent de nouvelles identités et où leur modèle de vie alternatif est valorisé et leur trajectoire alimentée » (Rigal, 2020) ;  
     
  • En outre, lors des deux entretiens, il a été fortement relevé que l’environnement physique qui accueille ces contacts sociaux doit être agréable, et donc générer des affects positifs.

 

De l’intérêt d’agir sur les trois piliers

 

Pour conclure, nous pouvons dire que les modes de vie se structurent de manière continue, avec des modifications plus ou moins fortes qui peuvent toucher de manière différenciée l’environnement, le prisme et les ressources.

Au niveau du prisme, il nous faut relever que l’approche par les modes de vie s’est jusqu’à maintenant focalisée sur les pratiques et les aspirations des acteurs, avec un intérêt moins marqué sur les processus qui impactent, forgent ou influencent la construction et la structuration des prismes, habitus ou représentations – affects des acteurs.

Pourtant, les environnements virtuels ont pris une place importante dans les modes de vie actuels, et ce réel qui parvient indirectement aux acteurs à travers les outils numériques participe en partie au modelage de leurs prismes.

À travers ces canaux de nouvelles aspirations émergent, portées par les réseaux sociaux, mais également de nouveaux modèles à imiter que sont les « influenceurs ». Ces éléments sont aujourd’hui omniprésents dans le quotidien des acteurs et participent à modeler leurs représentations – affects et donc leurs prismes qui guident ensuite leurs comportements.

En ce qui concerne l’environnement, les contraintes qui y prennent place limitent les agissements des acteurs et représente le levier fondamental pour impacter les modes de vie. Les confinements, ont par exemple donné lieu à une modification des caractéristiques législatives d’accès à l’environnement, au territoire, a eu des impacts immédiats sur les modes de vie, et a également modifié collectivement les prismes.

Enfin, au niveau des ressources, elles peuvent modifier les modes de vie, mais cela dépend foncièrement du niveau de celles-ci chez l’acteur. Une contrainte sur les ressources exercera une influence variable en fonction de leur importance. Les personnes possédant des ressources élevées étant moins contraintes que les acteurs les moins pourvus, qui ont par conséquent des modes de vie plus vulnérables à l’activation de leviers sur ce pilier.

Pour agir en faveur de modes de vie soutenables, il paraît nécessaire d’activer des mesures qui touchent simultanément les trois piliers des modes de vie de manière coordonnée afin de provoquer des basculements qui verront potentiellement le jour généralement lors des moments charnières.

C’est ainsi qu’il sera possible de mener les acteurs à réaliser de nouveaux arbitrages qui se traduiront par les modes de vie de demain.

 

À retenir

 

  • Les définitions des modes de vie sont nombreuses, certaines utilisant ce terme comme une catégorie d’analyse, d’autre comme un moyen de décrire des pratiques quotidiennes.
     
  • Les modes de vie se structurent continuellement, par une interaction entre trois variables : le prisme de la personne via ses caractéristiques (son habitus, c’est-à-dire la manière d’être d’un individu ; ses représentations et ses affects), les ressources à sa disposition (économiques, sociales, culturelles, symboliques, temporelles), et l’environnement/le réel dans lequel il évolue (incluant les relations sociales).
     
  • Ce processus en constant renouvellement fonctionne au travers de scènes de socialisation, les socialisations primaires et secondaires étant généralement admises comme étant les plus importantes pour faire évoluer un mode de vie.
     
  • Les parcours de vie des acteurs sont le fruit d’arbitrages continus. Toutefois, tous les choix ne se valent pas : certains moments charnières – choisis ou imposés – peuvent déboucher sur des décisions structurelles (déménagement, fin des études, retraite, naissance d’un enfant) qui vont modifier les contours de l’environnement/le réel, le prisme de l’acteur, ou les caractéristiques des ressources, ou encore tous les éléments en même temps.
     
  • Les changements de modes de vie peuvent aussi venir de l’évolution de l’environnement (changement de loi, ouverture d’une infrastructure) et des ressources (hausse des prix, perte de revenus).
     
  • L’évolution du prisme de l’acteur peut provenir de plusieurs conditions : l’acteur doit imaginer un nouveau mode de vie, imiter une personne modèle, expérimenter un nouveau mode de vie potentiel, discuter avec un entourage social qui l’accompagne dans ce changement, au sein d’un environnement le plus agréable possible.
     
  • Pour agir en faveur de modes de vie soutenables, il paraît nécessaire d’activer des mesures qui touchent simultanément les trois piliers (prisme, environnement, ressources) de manière coordonnée afin de provoquer des basculements qui verront potentiellement le jour généralement lors des moments charnières.