L'esprit start-up : l'exemple de Dougs

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Portrait de Patrick Maurice
Co-fondateur de Dougs

Interview de Patrick Maurice

<< Le monde capitaliste pur, avec son système hiérarchique, la concentration des pouvoirs, est en train de s’effacer au profit du collaboratif où des associations fécondes entre petits et gros voient le jour >>.

Créée en 2015, Dougs est une fintech proposant des services d’expertise comptable en ligne. Cette entreprise est le fruit d’une volonté de ses cofondateurs d’opérer la transformation numérique du métier d’expert-comptable. Dougs revendique le statut de start-up du fait de la posture entrepreneuriale de ses fondateurs et des effets de transformation du secteur qu’elle souhaite incarner sans toutefois avoir encore levé de fonds.

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Date : 14/12/2018

Comment en êtes-vous venue à l’entrepreneuriat ?

Pour moi, l’entrepreneuriat c’est la dernière aventure humaine, le dernier frisson qui existe sur cette planète !

L’idée d’entreprendre a été guidée par l’envie de faire des choses par moi-même, sans hiérarchie. J’ai pourtant eu cette possibilité dans différents postes dans ma carrière, chez KPMG puis chez Fiducial, avec des responsabilités et une capacité d’initiative. En 1999, en réaction à une situation professionnelle qui ne me convenait pas je me suis posée une première fois la question de passer à mon compte. Mais c’est en 2005, que j’ai passé le cap. J’ai eu une sorte de crise de la quarantaine, le sentiment que si je n’arrivais pas à faire quelque chose par moi-même je serais passé à côté d’une partie de ma vie professionnelle. J’avais un très bon salaire mais l’impression de ne pas me réaliser, de m’enfermer dans une zone de confort. Pour moi, l’entrepreneuriat c’est la dernière aventure humaine, le dernier frisson qui existe sur cette planète ! Regardez comme la montée de l’Everest est devenue une formalité : il n’y a qu’à prendre un hélicoptère ! Tous ces grands défis humains ont disparu. Avec mon épouse, qui est expert-comptable également, nous avons mis notre première entreprise, Easy Compta, en route. C’était une aventure commune mais c’est elle qui s’est lancée la première. Je l’ai rejointe un an et demi plus tard.

En 2006, nous avons acheté un grand local, et embauché. Le fait de partir de rien nous a permis de construire la culture de l’entreprise que nous souhaitions, choisir nos collaborateurs. Si nous avions racheté quelque chose, il aurait fallu s’adapter. Nous avons construit un nouveau monde. Nous sommes passé de 0 à 1500 clients en 10 ans et avons aujourd’hui 38 collaborateurs. Le fait d’avoir eu les clés pour nous structurer très tôt a été déterminant. Cela nous a grandement aidé lorsque l’on a grandi car nous avions déjà des procédures solides.

D’où est venu l’idée de Dougs ? Et quels moyens avez-vous déployé pour l’explorer ?

Cette rencontre a été une osmose. Nous sommes très complémentaires. La réussite de Dougs tient vraiment à cette rencontre

Quand j’ai eu mon premier iPhone, je me suis dit que la comptabilité devait nécessairement saisir l’opportunité qu’offrait ce type d’outil. Mais c’était compliqué car je ne suis pas informaticien ni ingénieur. Il fallait construire un monde numérique autour de mon expertise en comptabilité. Je m’éloignais en quelque sorte de mon domaine d’expertise et ça n’a pas été une piste facile à explorer. J’ai eu pas mal de déconvenues. J’ai essayé d’abord avec un salarié mais on ne s’est pas compris, j’ai eu des déconvenues avec des sous-traitants également. J’ai vu que les services numériques de comptabilité émergeaient aux Etats-Unis ; je me suis alors rapproché de FreshBooks, un éditeur américain de solutions comptables. Ils recherchaient à l’époque des partenaires et proposaient aux experts comptables d’utiliser leurs solutions. J’étais sur le point de devenir leur partenaire exclusif en France mais la complexité des normes comptables françaises les en a dissuadés.

En 2009, j’ai eu l’idée d’aller à Boost in Lyon. J’y suis allé surtout par curiosité, sans attentes précises, si ce n’est de faire des rencontres. Luc Verdier et Florent Galland, deux ingénieurs, sont venus à ma rencontre pour me dire que la vision que j’avais de l’expertise comptable que je venais d’exposer était intéressante. Ils sont impressionnants dans leur domaine :  Luc faisait du code à 5 ans, Florent était pilote d’avion et docteur. C’est cette rencontre de nous quatre, ma femme et moi, Luc et Florent, qui a vraiment permis de faire émerger et de concrétiser le projet Dougs. Cette rencontre a été une osmose. Nous sommes très complémentaires. Ils ont presque 20 ans de moins que moi mais nous sommes sur un pied d’égalité. La réussite de Dougs tient vraiment à cette rencontre.

Nous avons décidé de créer une nouvelle structure indépendante d’Easy Compta pour porter ce projet. On ne grandit pas de la même manière quand on est le département d’une société que quand on est une véritable société.

Aviez-vous alors l’impression de prendre un risque en vous lançant dans cette nouvelle aventure entrepreneuriale ?

J’ai vendu ma voiture de fonction, et nous avons réduit nos dépenses. Il y a un vrai risque mais je suis resté dans le même métier et j’avais confiance en mon épouse et moi. On vit l’entrepreneuriat comme quelque chose d’excessivement grand mais le quotidien est plus prosaïque. On adopte un mode de vie frugal qui dénote avec la vie d‘avant. Mais cela fait du bien, on renoue avec de vraies valeurs. Souffrir financièrement, cela permet de revoir un peu les choses. L’argent tend à abrutir un peu. Avec moins d’argent, on s’oblige aussi à être plus exigeant avec soi-même.

Qu’est-ce qui vous motive dans ce nouveau projet ? Quelle vision portez-vous à travers Dougs ?

Le monde capitaliste pur, avec son système hiérarchique, la concentration des pouvoirs, est en train de s’effacer au profit du collaboratif...

Dougs réinvente un métier. Je suis convaincu que nous allons révolutionner le monde de l’expertise comptable. En tout cas, c’est notre objectif. Ce qui nous motive, c’est de pouvoir inscrire nos noms dans les changements qui se déroulent actuellement. On vit dans un monde qui nous permet de nous affranchir de beaucoup de contraintes. Certes, l’accélération peut faire peur mais je me situe du côté positif de cette accélération. Le monde capitaliste pur, avec son système hiérarchique, la concentration des pouvoirs, est en train de s’effacer au profit du collaboratif où des associations fécondes entre petits et gros voient le jour. Dans ce monde émergeant, chacun peut garder son indépendance tout en fabricant des choses en commun, ce qui est beaucoup plus fort que si une seule entreprise faisait tout toute seule. Chez Dougs, nous pensions que l’on peut s’associer sur des projets, et interfacer facilement avec d’autres opérateurs de services.

J’espère que dans cinq ans nous serons parmi les premiers au plan national. Nous ciblons aujourd’hui les TPE car elles n’ont pas les moyens de se payer des services comptables ou juridiques, et trouvent de la facilité avec nos solutions en ligne. Nous élargirons par la suite.

 

Avez-vous eu besoin de vous former ? Sur quelles ressources vous êtes-vous appuyées ?

Je ne connais que des entrepreneurs dans mon métier. J’ai partagé avec eux des moments forts et appris à leurs côtés ! Mais dans tous les cas, l’entrepreneuriat reste un saut en parachute

Je lis beaucoup de livres sur des métiers qui ont peu ou prou des rapports avec mon métier. Par exemple, la méthode TPS [Toyota Production System] de Toyota dont je me suis inspiré à une époque. J’essaie de comprendre comment le monde fonctionne, j’ai par exemple appris Wordpress en autodidacte. Je n’ai pas eu besoin de suivre de formations complémentaires. Avec internet, avec les MOOCs [Massive Open Online Courses ou cours en ligne ouverts et massifs], on a accès à beaucoup de choses. Sur la démarche entrepreneuriale en tant que telle, j’étais plutôt bien armé. Je ne connais que des entrepreneurs dans mon métier. J’ai partagé avec eux des moments forts et appris à leurs côtés ! Mais dans tous les cas, l’entrepreneuriat reste un saut en parachute.

Le plus complexe ce sont les RH. Dans un an, nous serons 150. On apprend en marchant. Sur les questions sociales, nous avons recours à des spécialistes. L’essentiel est de comprendre les collaborateurs car nous essayons d’inventer un nouveau monde avec eux, il est important de maintenir une cohésion d’équipe, et d’affirmer des valeurs communes.

Avez-vous fait appel à des financements extérieurs ?

Nous n’avons réalisé aucune levée de fonds, ni emprunt. Nous avons chacun dû faire des efforts au début. Aujourd’hui, nous avons un système qui s’équilibre, nous pouvons commencer à nous rémunérer. Nous sommes sollicités par des sociétés d’investissement mais nous souhaitons garder une liberté totale d’action. Pour l’instant, nous ne saurions pas quoi faire de cet argent. Nous ne sommes pas là pour l’argent de toute façon mais bien pour changer les choses !

Quel rapport avez-vous avec l’écosystème entrepreneurial lyonnais ?

Au-delà de l’écosystème start-up, il y a une vitalité entrepreneuriale sur le territoire

Nous avons essayé de nous rapprocher de la FrenchTech mais à l’époque on nous a fait comprendre que nous n’étions pas éligibles. Ils ne comprenaient pas que l’on puisse être une start-up dans le domaine de la comptabilité. Il faut croire que notre métier n’est pas très glamour… ! Il y a quelques temps on ne parlait pas encore de fintech ou de legaltech.

Au-delà de l’écosystème start-up, il y a une vitalité entrepreneuriale sur le territoire. On a l’opportunité d’avoir beaucoup d’entreprises à Lyon et on arrive à se rencontrer. Tous les métiers sont représentés. Tout le monde se connait, c’est le côté provincial de la métropole, au sens positif du terme. Il faut dire que Lyon est attractif, c’est beaucoup moins cher que Paris. Nous avons des coûts de production moins élevés, ce qui fait que nous pouvons être très compétitifs sur le marché parisien.

Quels nouveaux défis vous attendent pour l’année à venir ?

Nous construisons actuellement le troisième étage de la fusée. Le premier étage a consisté à voir si notre produit collait aux attentes des clients. Le deuxième a été un temps de structuration, de montage des équipes, de construction de la stratégie commerciale. Le troisième, qui nous occupe présentement, nous amène à déménager pour avoir des locaux plus grands, à conquérir une clientèle plus vaste, à nouer des accords avec d’autres éditeurs. Nous allons créer des API pour devenir une plateforme et être capables de proposer une offre complète aux TPE (affacturage, banque, recouvrement de créances, facturation). Pour ce faire, soit on développe nous-mêmes, soit on s’associe avec d’autres métiers que les nôtres. Notre rêve est d’aller aux USA et de nous attaquer aux gros concurrents américains.