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La métropole lyonnaise : zone de choix pour les start-up de la foodtech

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Portrait de Baudouin Niogret
Co-fondateur de Via Terroirs

Interview de Baudoin Niogret

<< Comme Blablacar n’a pas inventé le covoiturage nous n’avons pas inventé le circuit court >>.

En 2017, la Métropole de Lyon conduisait une étude prospective sur les start-up du territoire et s’appuyait notamment sur les témoignages des entrepreneurs et porteurs de projets. Cette interview a été réalisée dans ce cadre.

Via Terroirs est une start-up lyonnaise qui offre une solution permettant aux restaurants de s’approvisionner localement et en direct auprès des producteurs. Baudouin Niogret un des fondateurs revient sur le parcours de l’entreprise dans l’écosystème start-up métropolitain ainsi que sur l’innovation dans le monde de la distribution alimentaire.

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Date : 05/07/2017

Avant d’évoquer le parcours de votre entreprise, commençons par dire un mot sur votre parcours professionnel et celui de votre associé.

Nous sommes tous les deux des lyonnais d’origine et nous avons tous les deux un diplôme d’ingénieur en agriculture de l’Isara à Lyon. À la suite de ses études, mon associé Olivier s’est orienté d’abord en stratégie pour une petite PME drômoise dans le café puis vers la grande distribution en travaillant pour le compte du groupe Auchan. De mon côté, je me suis spécialisé sur les thématiques d’appellation d’origine contrôlée et les certifications parce que mon cheval de bataille a toujours été de rapprocher le consommateur final du producteur. J’ai travaillé durant un an sur l’île de la Réunion pour un organisme certifiant les cahiers des charges agriculture raisonnée ou Label Rouge ananas-litchi puis 3 ans au Québec pour la mise en place des premières appellations d’origine contrôlée en Amérique du Nord.

C’est lors de vos expériences que vous est venue l’idée de Via Terroirs ?

En quelque sorte oui. Après le Canada, je reviens à Lyon et je travaille pendant deux ans à l’Isara Lyon en tant que consultant pour des démarches qualités. Je rencontrais tous les jours des groupements de producteurs organisés et j’ai réalisé que le tissu de producteurs était là, que la volonté de développer le circuit court était bien présente et portée par les territoires mais qu’il manquait un outil opérationnel pour organiser le tout. C’est à ce moment que nous avons décidé de créer notre outil.

Les circuits courts étaient déjà bien présents à l’époque du lancement de Via Terroirs, comment avez-vous réussi à vous différencier ?

Notre idée est bien de digitaliser cette relation informelle entre producteurs et professionnels de l’alimentation et de la restauration afin de donner accès aux circuits courts aux non-initiés et ainsi de démocratiser la pratique

Oui bien sûr ! Mais comme je dis souvent : comme Blablacar n’a pas inventé le covoiturage nous n’avons pas inventé le circuit court. Par contre, Blablacar a digitalisé son secteur pour en démocratiser l’usage et multiplier fois X son potentiel. C’est la même chose pour le circuit court : le potentiel existe, les producteurs en direct existent, mais tout est très informel et mal organisé. Notre idée est bien de digitaliser cette relation informelle entre producteurs et professionnels de l’alimentation et de la restauration afin de donner accès aux circuits courts aux non-initiés et ainsi de démocratiser la pratique. En fait, nous simplifions tous les irritants de la pratique du circuit court afin de le rendre plus accessible. Notre rôle c’est de faire matcher des nouvelles pratiques avec des outils technologiques à disposition : « Comment créer de nouveaux circuits de distribution plus directs ? Comment optimiser les tournées des producteurs ? … ».

Quelles différences faites-vous entre votre innovation et la solution La Ruche Qui Dit Oui ?

Nous nous adressons aux professionnels alors qu’ils s’adressent aux particuliers.

La différence c’est la cible commerciale : nous travaillons en BtoB alors que la Ruche Qui Dit Oui est positionné sur du BtoC. Nous nous adressons aux professionnels alors qu’ils s’adressent aux particuliers. Ils ont peut-être quelques activités en BtoB mais selon moi très peu. Notre similitude réside dans le fait d’appréhender les nouveaux enjeux de consommations avec les nouvelles technologies et d’essayer de créer de nouveaux circuits et de nouveaux usages.

Nous avons également un système différent parce que de notre côté c’est le producteur qui livre le client alors que le système de la Ruche c’est un mini-marché.

Comment monétisez-vous votre innovation ?

C’est le producteur qui paye ce frais de service parce qu’on l’aide à s’organiser, on lui fait gagner du temps sur ses formalités administratives et comptables afin qu’il se concentre uniquement sur sa production et sa livraison

Avant tout, il faut dire que l’accès à la plateforme est gratuit pour les professionnels qui souhaitent acheter. Leur contribution vient du fait qu’ils jouent le jeu de l’approvisionnement local en achetant aux producteurs locaux via la plateforme. Nous monétisons au moyen d’une commission (ou frais de service) sur les ventes qui transitent par notre plateforme ce qui nous permet de monétiser notre service. C’est le producteur qui paye ce frais de service parce qu’on l’aide à s’organiser, on lui fait gagner du temps sur ses formalités administratives et comptables afin qu’il se concentre uniquement sur sa production et sa livraison. Pour nous, l’enjeu est d’aider les producteurs à développer leurs volumes afin de rentabiliser l’activité de la vente directe. Depuis peu, nous proposons aussi des services aux collectivités et aux organisations ayant pour mission d’animer les réseaux sur les territoires. Par exemple, nous créons des marchés de producteurs locaux sur des territoires.

En travaillant avec certains territoires comme Beaujolais Pierre Dorées par exemple, nous avons réalisé que beaucoup d'entre eux peinaient à développer réellement le circuit court sur leur territoire. Depuis peu, nous proposons des services aux intercommunalités, aux collectivités et aux organisations ayant pour mission d’animer les réseaux sur les territoires. Par exemple, en partenariat, nous créons des marchés de producteurs locaux sur les territoires. Nous mettons en place rapidement et efficacement le circuit court à travers l'instauration et l'animation d'un marché de producteurs destiné à tous les professionnels d'un territoire. C'est une solution simple et peu couteuse pour créer un dynamise autour de l'approvisionnement local et des circuits courts, et cela contribue à développer notre innovation.

Pour revenir sur le parcours de la start-up, c’est vous qui avait créé le site internet au départ ?

Nous avons procédé par validations successives d’étapes. Au tout départ, nous faisions circuler auprès des restaurateurs lyonnais, un fichier Excel avec l’offre des producteurs locaux. Puis, nous avons créé l’entreprise avec un peu de capital pour payer un premier développeur et faire une première version. Nous avons vu que ça fonctionnait donc nous avons commencé à nous rapprocher de BPI qui nous a accordé une Bourse French Tech. Chemin faisant nous avons ajouté des fonctionnalités successives et développé le réseau avec l’aide des premiers utilisateurs ce qui nous permettait de comprendre leurs besoins. Il s’agit d’une co-construction de l’outil avec les premiers producteurs et restaurateurs. À la suite de cette première validation, lors d’une période de quatre mois chez Boost In Lyon nous avons intégré l’incubateur Jean Moulin de l’université de Lyon III. Nous sommes restés un an ce qui nous a permis de finaliser le développement. Dans la foulée, nous sommes entrés au Tuba afin de ne pas investir immédiatement dans nos propres locaux mais surtout d’être connecté avec un écosystème dynamique et des projets entrepreneuriaux innovants. Deux ans plus tard, les producteurs gèrent leurs boutiques et gèrent leurs tournées de livraison. Sur Lyon c’est plus de 350 professionnels dont 250 chefs qui sont des utilisateurs inscrits et témoignent de leur intérêt pour la démarche. Au quotidien, nous sommes encore dans la co-construction avec les producteurs et les restaurateurs qui nous expliquent comment améliorer la solution.

Avez-vous eu un premier retour des grossistes sur votre activité ? Parce qu’on peut imaginer qu’à terme votre solution ‘’disrupte’’ les grossistes ?

Non, nous n’avons pas réellement cette ambition. Notre solution est davantage orientée vers les producteurs et les territoires pour l’animation de l’approvisionnement local. Je dirais que nous fonctionnons plutôt sur de la complémentarité car nous sommes lucides sur le fait que les Métro, Brake et autres centrales d’achats vont continuer à fournir de gros volumes. Notre proposition de valeur se situe sur la qualité et la proximité donc ce n’est pas notre ambition de concurrencer les géants de la fourniture alimentaire à destination des professionnels. Par contre, lorsque les producteurs locaux sont en mesure de livrer les clients professionnels de leur territoire, nous pensons que la relation directe est à privilégier d’un point de vue économique, humain et pour favoriser une alimentation et une agriculture plus durable.

Je pense qu’ils regardent Via Terroirs comme un nouvel offreur de solution mais pas comme un nouvel acteur en mesure de bouleverser fondamentalement le secteur d’activité. Nous venons en appoint en allant chercher des choses localement. Nous n’allons pas modifier radicalement l’activité des géants de la distribution. Par contre, notre initiative, tout comme les Amap (Association pour le maintien de l’agriculture paysanne), les paniers de produits ou la Ruche Qui Dit Oui créent des tendances permettant une prise de conscience des acteurs traditionnels du secteur.

Si on résume vous vous développez au côté des grands groupes et ce développement en parallèle vous permet d’alerter sur la possibilité de nouveaux canaux d’approvisionnement locaux ?

Exactement. Notre outil est intéressant car il installe une relation de gré à gré et de confiance entre producteurs et restaurateurs mais il est aussi intéressant car nous pouvons aider les groupes de la restauration collective (qui fournissent les cantines des collèges et lycées) qui décrochent des appels d’offre en leur permettant d’augmenter facilement leur part obligatoire d’approvisionnement local. Nous pouvons intervenir à deux niveaux. Ce sont les grands groupes qui répondent à l’appel d’offre mais pour répondre au mieux aux exigences d’approvisionnement local imposé par la collectivité, ils peuvent utiliser notre solution et permettre à chacun de leurs établissements de s’approvisionner en direct avec des producteurs de leurs territoires dans une approche très décentralisée.

En quelque sorte vous permettez aux grands groupes de remporter plus facilement des appels d’offre d’approvisionnement alimentaire ?

Nous sommes un facilitateur. Maintenant, si l’on se place du point de vue de la collectivité, c’est une manière pour elle d’exiger plus de ces grands groupes en matière d’approvisionnement local. Plus les solutions pour s’approvisionner localement sont simples, plus la collectivité va pouvoir augmenter ses exigences

Nous sommes un facilitateur. Maintenant, si l’on se place du point de vue de la collectivité, c’est une manière pour elle d’exiger plus de ces grands groupes en matière d’approvisionnement local. Plus les solutions pour s’approvisionner localement sont simples, plus la collectivité va pouvoir augmenter ses exigences.

Imaginez une collectivité qui exigerait un approvisionnement local sur des fraises à un grand groupe, et que ce dernier lui répond que c’est impossible car localement on ne trouve pas de fraises, la collectivité peut utiliser notre initiative pour démontrer qu’il y a bien des fraises produites localement et que la provenance locale ne pèsera pas de manière significative sur les prix. Ainsi, la collectivité pourra faire pression pour faire passer ses exigences.

La diversité de la production alimentaire à proximité de Lyon est une vraie opportunité pour vous dans la mesure où vous pouvez proposer une diversité de produits locaux aux consommateurs mais est-ce que votre solution est transposable à d’autres villes où il y a moins de polyculture ? En somme pouvez-vous développer le circuit d’approvisionnement local ailleurs qu’à Lyon ?

Notre objectif demain est de capitaliser sur le succès lyonnais en présentant notre réseau à une multitude d’acteurs afin de prouver que notre solution est transposable dans le but de diffuser notre solution dans d’autres villes

C’est vrai qu’à Lyon, il y a un vrai potentiel pour la consommation de produits alimentaires locaux. J’ai connu le Canada où il y a six mois d’hiver et donc l’importation est obligatoire. Pour moi, le lancement de notre solution ne pouvait se faire qu’à Lyon. C’est à Lyon et dans le Rhône que sont nés les points de vente collectifs, qu’il y a des initiatives de paniers qui ont fait évoluer l’Amap donc c’est à Lyon qu’il y a une capitale du circuit court. C’est d’ici qu’émergent beaucoup de solutions. C’est grâce à la richesse de la polyculture lyonnaise qu’on est en capacité de développer le circuit court parce qu’on a la diversité alimentaire. Autour de la Métropole on a les monts du lyonnais, la plaine de l’Ain, le Nord Isère, de l’élevage, du maraîchage, des fromages et surtout un tissu économique qui a permis à ces nouvelles solutions de se développer.

Notre objectif demain est de capitaliser sur le succès lyonnais en présentant notre réseau à une multitude d’acteurs afin de prouver que notre solution est transposable dans le but de diffuser notre solution dans d’autres villes. D’autres territoires se montrent très intéressés, parce qu’ils portent un projet d’agriculture territorialisé, ou parce que les acteurs économiques sont dynamiques et donnent une importance particulière aux productions locales. Ainsi, nous avons un réseau qui grandit à Vannes dans le Morbihan, un autre qui se projette dans le Sud-Ouest.

Les territoires les plus actifs sont ceux qui ont identifié leur(s) terroir(s) et donc qui développent une forte identité liée à l’agriculture et à l’alimentation.