François Gillet (1813 – 1895)

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Portrait de François Gillet
© Bibliothèque Municipale de Saint-Etienne

Étude

François Gillet est né le 10 décembre 1813 à Bully dans les Monts du lyonnais de parents paysans et analphabètes. Il est l’aîné d’une famille de trois enfants.

Cette famille modeste n’étant pas en mesure de fournir du travail à la génération suivante, François débute un apprentissage de tisseur en milieu rural, puis il le poursuit chez un cousin teinturier en soie, installé rue des Trois-Maries à Lyon, spécialisé dans les soies teintes en noir.

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Date : 06/11/2007

Un teinturier en soie

Après être passé chez d’autres maisons de teinture, François Gillet s’associe en 1838 à Alexandre Bertrand, autre ouvrier teinturier, pour exploiter, à la Guillotière, un atelier de teinture. Cinq mois après, la société est dissoute, mais François Gillet a goûté à l’entreprise et se lance à nouveau dans les affaires en s’associant avec les frères Pierron dont il épouse la sœur, Marie, le 31 mai 1840. Le beau-père aide la jeune association en prêtant de l’argent à son gendre. L’entreprise est à l’image du ménage, prospère. La première, de trois ouvriers en 1840, en emploie une trentaine en 1846, quant au ménage il a huit enfants dont trois décèdent en bas âge. Les deux fils, Joseph-Louis, né en 1843, et François, né en 1846, sont rapidement associés à la fabrication.

Dans ces années 1840, l’atelier migre à la suite des inondations de 1840 des Brotteaux, d’abord pour le quai Pierre Scize, puis ensuite pour le quai de Serin, au pied de la Croix-Rousse. La spécialisation dans la teinture des soies noires, très demandées sous le Second empire, prouve la capacité de François Gillet à répondre au marché. Le noir de la teinturerie Gillet-Pierron relève d’une alchimie complexe où sont mélangés le Bleu Raymond, des sels de fer et du cachou, auquel il substitue dans les années 1850 du henné, obtenant un noir africain. Le noir obtenu est profond, intense et séduit les soyeux, dont Claude-Joseph Bonnet. Ce noir, véritable secret de fabrication, est à la base de la fortune de la famille. L’atelier de Serin passe alors à quatre-vingts ouvriers.

 

De l’atelier à la grande entreprise

Les années 1860 sont celles de la consécration dans la profession et l’entreprise, et non plus l’atelier, voit son chiffre d’affaires multiplier par 3 en dix ans pour atteindre les 6 millions de francs en 1873, ce qui fait que François Gillet est devenu, sur la place de Lyon, la plus grosse entreprise de teinturerie. Ce résultat a été obtenu par un énorme travail familial qui faisait « de la nuit le jour », un souci d’économie hors pair, une excellente intuition des marchés et une capacité à évoluer techniquement.

Pour s’adapter à la concurrence suisse et allemande et ne pas rater le passage aux colorants artificiels, il envoie son fils Joseph à l’école de chimie de Wiesbaden au début des années 1860. De plus, il embauche techniciens sortis de la Martinière et ingénieurs de l’Ecole centrale. L’entreprise Gillet a plusieurs usines qui pratiquent l’intégration vers l’amont. En dehors de l’usine de Lyon et celle d’Izieux (Loire) créée en 1865 qui pratiquent la teinture, celle de Grésin (Savoie) fabrique des extraits de châtaignier et surtout l’usine de Vaise en 1871 où sont produits des tanins végétaux à partir du campêche du Mexique, du quebracho du Brésil et du cachou du Bengale, mais aussi des sels métalliques. L’ensemble des sites emploie 1200 personnes dans les années 1880.

En 1862, François Gillet se retire de l’association avec les frères Pierron et se lance seul dans l’aventure industrielle, à laquelle il associe, de façon progressive ses deux fils entre 1864 et 1869, dont le fils aîné, Joseph, l’emporte en responsabilité et en parts du capital sur le cadet. Le 1er janvier 1869 est créée la Société Gillet et fils au capital de 900000 francs, dont les deux-tiers appartiennent au père. François Gillet, dans ces années 1860 qui sont celles du bond en avant de l’économie française sous le second Empire, noue des relations d’affaires avec des entrepreneurs du textile du Nord de la France.

 

Un fondateur de dynastie industrielle éloigné des honneurs

En bon chrétien et digne émule du catholicisme social, il a ses œuvres d’assistance, construit une église à Serin, actuellement quai Joseph Gillet. Il est persuadé que le peuple doit être encadré sur le plan social. Il crée une école d’apprentissage et une école de jeunes filles. Il fait partie de l’Association catholique des patrons de Lyon. Proche d’Aynard, il innove en dispositions sociales en instaurant une caisse de retraite, mais aussi en établissant une sorte d’intéressement aux bénéfices pour ses salariés. Intéressé par la bonne marche de son entreprise, il ne vise pas les honneurs politiques, mais n’est-ce pas plutôt la République qui, une fois installée à la fin des années 1870, se méfie de ce patron « bonapartiste et clérical », décoré de la Légion d’honneur en 1874 en plein ordre moral !

Ce patron moderne n’est nullement anti-républicain, surtout après l’épisode de la Commune qui a vu la République réprimer le peuple soulevé. En 1887, François Gillet se retire juridiquement de la société en nom collectif. Ses deux fils refondent alors une nouvelle Société Gillet et fils où, cette fois, c’est Joseph qui détient la majorité. L’entreprise Gillet traverse sans trop de problèmes la Grande dépression de la fin du 19ème siècle, s’agrandit en fondant à Villeurbanne une immense usine de 13 hectares, mais aussi en rachetant des entreprises de teinturerie plus modestes un peu partout en France.

À la mort de François, le 18 octobre 1895, soit 3 ans après celle de sa femme, la succession est évaluée à plus de 6 millions de francs où, à côté des actions, obligations et du compte courant, les biens immobiliers, en particulier les propriétés autour de Bully, représentent les 2/3, prouvant ainsi que François Gillet a pris sa revanche sociale en devenant le « châtelain » de son village natal. Sa fortune est modeste en comparaison de celle de ses fils dont le capital personnel en 1895 est aussi de 6 millions de francs.

 

Épilogue

Il est un représentant atypique de l’entrepreneur lyonnais, car, en une génération, il a bâti une entreprise de taille nationale. Il incarne, au cours du 19ème siècle, la réussite et le dynamisme de l’industrie lyonnaise. De plus, sous son fils Joseph-Louis (1843-1925), l’entreprise passe un cap pour devenir une très grande entreprise où les textiles artificiels, mis au point par le comte de Chardonnet, prennent une place de plus en plus grande. Dopée par la Grande guerre, Joseph Gillet participe avec Victor Grignard à la relance de l’École supérieure de chimie industrielle de Lyon et prend des participations industrielles en entrant dans le capital des Usines du Rhône et de Kuhlmann. C’est sous la direction d’Edmond (1873-1931), fils aîné de Joseph-Louis, que l’entreprise Gillet participe à la création de Rhône-Poulenc en 1928. Quant aux deux autres frères, Paul est l’homme de Progil (1920) et Charles, celui des textiles artificiels, futur C. T. A. (Comptoir des textiles artificiels), puis Rhodiaceta. L’aventure des Gillet est une parfaite illustration de l’esprit entrepreneurial lyonnais qui a marqué cette ville depuis ses origines.

 

Bibliographie :
■ Pierre Cayez et Serge Chassagne, Les patrons du Second Empire. Lyon et le Lyonnais, Picard, 2006.