La massification scolaire a contribué à ce qu’Olivier Schwartz appelle « l’extraversion » des classes populaires ou l’ « acculturation » des classes populaires [1]. En 2015, parmi l’ensemble des ouvriers en France, 1/5 sont bacheliers. On a eu de manière extrêmement rapide, une élévation du niveau de diplôme de toute la population, y compris les ouvriers. En 1962, quand l’INED fait la première enquête statistique rigoureuse sur l’entrée en sixième, on s’aperçoit que 60% des enfants d’ouvriers ne rentrent pas en sixième. Cinquante ans après, le cinquième des ouvriers est bachelier.
On a eu une massification scolaire, qui est en réalité une révolution qui a contribué à transformer les attentes et aspirations des jeunes et notamment des jeunes des classes populaires qui sont souvent les premiers à fréquenter d’abord le collège, puis le lycée et, pour un certain nombre d’entre eux, l’enseignement supérieur. Cela transforme considérablement les attentes de ces jeunes – comme le travail de Stéphane Beaud l’a montré dans "80% au bac" – et provoque pour certains de la frustration et de la colère. Et en même temps, Tristan Poullaouec montre que pour les classes populaires, le diplôme est l’arme la plus efficace pour s’insérer sur le marché du travail et espérer connaitre une promotion sociale.
Ces débats sur les effets de la massification scolaire sont piégeux politiquement parce que l’on peut dire qu’il y a un problème de débouchés puisque la structure des emplois s’élève moins vite que la structure des diplômes et produit des diplômés déclassés et de la frustration, tandis que le diplôme reste « l’arme des faibles » [2]. Donc les progrès très ténus en termes de mobilité sociale pour les classes populaires depuis trente ans ont été rendus possibles par la diffusion des diplômes et par la massification scolaire. C’est tout le débat sur la valeur des diplômes : certains vont insister sur le fait qu’aujourd’hui avec le bac on ne fait plus rien, alors qu’avec le bac hier on était le roi du pétrole. Ils vont montrer que le diplôme s’est dévalorisé en valeur absolue. D’autres, vont préférer insister sur le fait que d’un point de vue relatif, la protection qu’offre le diplôme n’a jamais été aussi élevée qu’aujourd’hui. En effet, chaque niveau de diplôme protège davantage du chômage que le niveau de diplôme inférieur. Aujourd’hui l’écart entre le taux de chômage entre les diplômés de l’enseignement supérieur et les non-diplômés est de près de 40 points.
Ces débats sur les effets de l’élévation du niveau de diplôme sur les classes populaires ne sont pas nouveaux et déjà dans les années 1970, chez des auteurs aussi différents que Raymond Aron [3], Raymond Boudon [4] ou Pierre Bourdieu [5], on met en garde contre les probables désillusions futures de ces jeunes générations de diplômés qui peut-être ne trouveront pas d’occupation à la hauteur de leur qualification
[1] Schwartz O., 2011, « Peut-on parler des classes populaires ? », "La Vie des idées", p. 1‑49.
[2] Poullaouec T., 2010, "Le diplôme, arme des faibles : les familles ouvrières et l’école", Paris, Dispute (L’enjeu scolaire), 147 p.
[3] Aron R., 1969, "Les désillusions du progrès : essai sur la dialectique de la modernité", Paris, Calmann-Lévy.
[4] Boudon R., 1973, "L’inégalité des chances: la mobilité sociale dans les sociétés industrielles", Paris, Armand Colin.
[5] Bourdieu P., 1978, « Classement, déclassement, reclassement », "Actes de la recherche en sciences sociales", 24, 1, p. 2‑22.