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Le soutien aux cultures urbaines et au hip-hop fait de Lyon un laboratoire de danses urbaines

Photo de deux graffeurs en train de dessiner dans le bowl de skate du quartier de la Guillotière
Graffeurs au Bowl de la Guillotière

Article

Cet article est issu de l'étude Politique de la ville et cohésion sociale dans l'agglomération lyonnaise, produite par le service de la Prospective de la Métropole de Lyon et parue sur Millénaire 3 en novembre 2010.
Date : 16/11/2010

Dans les années 80, des maires, tel Roland Bernard, maire d’Oullins, participent d’une prise de conscience : une commune ne peut exister sans une dimension culturelle, historique ou symbolique, sans que l’espace soit approprié par ses habitants à travers des éléments qui fassent signe et participent d’une identité partagée. Il faut prendre appui sur la culture et le patrimoine particulièrement dans les banlieues, où ces dimensions ont été ignorées au profit de l’urbanisme et des aménagements physiques.

Une ville a besoin de repères. Que serait Tassin si on enlevait l’horloge ? Pourquoi Saint-Priest est-elle si triste ? Et si, à la place de parking et des pelouses, on avait construit des places publiques aux pieds des tours des Minguettes, la vie sociale n’aurait-elle pas évolué différemment ? Introduire des éléments culturels d’identification dans les villes, et notamment dans les quartiers populaires, me semble tout à fait fondamental, en tout cas, c’est ce principe qui a toujours guidé mon action. (…)

Nous avons été la première commune périphérique à créer un lieu culturel d’importance : "La Renaissance". Ce lieu entre dans sa vingt-septième année. Il s’impose désormais comme un lieu culturel fort de l’agglomération. Or, à l’époque, lorsque j’ai pris la décision de déménager les associations qui étaient abritées dans ce lieu pour les répartir dans la ville et de le transformer en lieu de culture, j’ai dû faire face à de très nombreuses oppositions.

Nous avons également dans le grand parc public de la ville, le parc Chabrières, créé un lieu de regroupement d’artistes, une cité de la création pour des sculpteurs, des musiciens, des peintres et notamment ceux de Popul’art avec qui nous avons réalisé les premières fresques murales, en centre- ville, puis à la Saulaie. Les muralistes de Popul’art ont finalement investi totalement les lieux, se sont appropriés l’appellation Cité de la Création et ont réalisé un nombre incroyable de fresques dans l’agglomération lyonnaise, et bien au-delà.

Réaliser de belles choses à la Saulaie, c’est témoigner de la reconnaissance aux gens qui l’habitent, et cela modifie les comportements. Le fait qu’il n’y ait jamais eu de tags sur les fresques que nous avons réalisées dans ce quartier est révélateur. (…) - Roland Bertrand

 

 

Événements et équipements culturels dans périphérie de Lyon en quelques dates (années 80)

 

•    1978 : Création de la Cité de la création

•    1982 : Ouverture du théâtre de la Renaissance à Oullins

•    1986 : Le Centre d’Arts plastiques de Saint-Fons travaille en lien avec les centres sociaux et les associations de la commune pour mettre l’art à la portée de tous

•    1987 : La Fête du livre de Bron est lancée alors qu’aucun salon du livre n’a su s’imposer à Lyon

•    1988 : Ouverture de la Maison du livre, de l’image et du son à Villeurbanne, nouveau concept de médiathèque

•    1988 : "À Vaulx Jazz" mobilise de nombreux acteurs privés, publics et associatifs pour créer le premier festival de jazz de l’agglomération

•    1988-90 : Musée urbain Tony Garnier, cité des Etats-Unis de Lyon

 

La fin des années 80 et plus encore les années 90 vont être marquées par le développement de la culture hip-hop. Le hip-hop recouvre à la fois la danse, les musiques parlées, tels que le rap et les arts du tag (signature) et le graf (graffiti – fresque stylisée).

La reconnaissance du hip-hop comme pratique culturelle à part entière, le succès et la consécration de certains artistes comme le soutien apporté dans le cadre de la Politique de la ville aux pratiques artistiques urbaines, marquent un tournant majeur dans l’attention portée par la France aux populations issues de l’immigration et aux banlieues. Ce vecteur « culturel » est utilisé pour atteindre une catégorie de la population qui échappe aux dispositifs ordinaires

En effet, au cours des années 80, les travailleurs sociaux constatent que les adolescents expriment une désaffection à l’encontre des lieux institutionnels de sociabilisation (MJC, centres sociaux), qui se double souvent d’un refus de l’institution scolaire. Ayant remarqué qu’ils pratiquent une activité bientôt baptisée hip-hop, les travailleurs sociaux vont chercher à prendre appui sur cette pratique, à mi-chemin entre le sport, la compétition dansée et l’expression artistique, pour entrer en contact avec ces adolescents.

Toute la périphérie lyonnaise va contribuer à cette aventure, Vénissieux, Saint-Priest, Rillieux-la- Pape, etc. La compagnie Traction Avant, créée en 1983 à Vénissieux par Marcel Notargiacomo, fait figure de pionnière. À l’origine employé municipal à la Direction sports et loisirs de Vénissieux, Marcel Notargiacomo souhaitait proposer un horizon différent aux jeunes, souvent d’origine immigrée. Très vite, il a l’idée de confronter ceux d’entre eux qui pratiquent le hip-hop à des chorégraphes venus d’horizons artistiques et sociaux différents. Par exemple « Un break à Tokyo », créé en 1991, mêle hip-hop et danse butô.

Marcel Notargiacomo, nommé en 2008 chevalier dans l’ordre national du mérite pour son action, témoigne :

Ce parcours de la compagnie depuis 15 ans nous permet de dire modestement mais fortement que si les banlieues ne vont pas bien - et elles n’ont pas l’exclusivité de la mal-vie - elles peuvent moyennant un travail collectif et permanent de proximité devenir aussi un potentiel de créativité, un laboratoire de l’interculturel, une mémoire vivante préfigurant sans doute des configurations à venir de nos sociétés.

Parce que l’action culturelle est un des moyens de formuler des repères, de réinjecter du sens et de la sociabilité, il nous semble urgent de secouer nos certitudes et nos enfermements, notamment ceux qui consistent à suspecter, socialement et institutionnellement, la dimension artistique de ce qui se construit, venue des cités aux vies fragiles, avec souffrance, risque, danger ; il y faut, là comme ailleurs du travail, des compétences et quelque chose à dire.

Les acteurs de la Politique de la Ville vont fortement soutenir ces pratiques culturelles à la fois pour établir un lien avec les jeunes des banlieues (porteur de reconnaissance et d’ouverture culturelle), mais aussi, sans doute, pour canaliser positivement l’énergie et l’expression d’une jeunesse dont le mal-être et le désir de reconnaissance sont flagrants.

La création du Défilé de la Biennale de la danse de Lyon s’inscrira dans cette dynamique de reconnaissance de la créativité culturelle des banlieues, de même que les premiers festivals de danse urbaine en région « Danse Ville Danse » (Villefranche en 1992 puis Lyon en 1993), qui préfigurent les premières rencontres nationales de danses urbaines à la Villette en 1996.