Mon travail et nous
Étude
60 tendances pour questionner les exigences de l'organisation et le besoin d'harmonie au travail.
Interview de Bruno Vetel
<< l’ironie de la chose, c’est que les farmers paient aussi des abonnements, et qu’on n’a pas envie de les voir partir >>.
Bruno Vétel est Maître de Conférences en Sciences de l'Information et de la Communication à l'IAE de Poitiers et chercheur au CEREGE, ses travaux portent sur l’économie du jeu vidéo, notamment du jeu en ligne Dofus, et sur la communauté de ses utilisateurs.
Comment présenter Dofus à ceux qui ne connaissent pas le monde du jeu vidéo ?
Il s’agit d’un jeu vidéo français en ligne, massivement multi-joueur (MMOG), sorti en 2004. Il est développé et édité par l’entreprise française Ankama, qui est basée dans le nord de la France, à Roubaix. C’était une petite startup en 2004, c’est aujourd’hui une véritable multinationale. Le jeu compte autour de 10 millions de joueurs, il a été décliné en dessin animés, en mangas… Ils emploient aujourd'hui plus 400 personnes, Disney les avait approchés pour les racheter. Une telle durée de vie et un tel succès sont exceptionnels dans le paysage des jeux vidéo en ligne, et même uniques pour un jeu français.
À quoi ressemble le jeu, concrètement ?
On est dans un univers « médiéval fantastique », fait de chevaliers, de dragons, de donjons… dessinés dans un style manga, très coloré. Les joueurs incarnent des aventuriers (guerriers, voleurs, magiciens…) et cherchent à mener à bien des quêtes en s’associant entre eux au sein de « guildes », en combattant différents monstres mais en affrontant aussi d’autres équipes de joueurs, ou en faisant du commerce, de l’artisanat…
Chaque joueur cherche à améliorer son personnage en collectant de la monnaie du jeu. Cette monnaie lui permet d’acheter de nouvelles armes, de nouvelles compétences. Au fur et à mesure, ce personnage devient plus puissant, acquière des « points d’expérience » et peut affronter de nouvelles épreuves.
Techniquement, le logiciel du jeu doit être hébergé sur un serveur, sorte d’ordinateur central auquel se connectent les joueurs. C’est ce que l’on appelle une architecture clients/serveur.
En quoi peut-on parler d’une « économie du jeu » ?
Toute la progression que le joueur peut réaliser dans le jeu est bâtie sur la collecte et l’accumulation de la monnaie du jeu (le Kama). Cette monnaie est créée par l’action des joueurs : plus ils agissent, plus ils tuent de monstres par exemple, plus la quantité de monnaie présente dans le jeu augmente. C’est aux joueurs que revient donc la création monétaire. Avec cette monnaie, on peut acheter des compétences, mais aussi des objets à d’autres joueurs. Sur chaque serveur, il y a donc un véritable marché d’objets, avec son offre et sa demande.
Le grand problème est que ces marchés demandent à être régulés pour qu’ils fonctionnent bien, puisqu’un marché ne fonctionne pas tout seul. Si on laisse faire, à la mode néolibérale, généralement ça ne marche pas, en tous cas dans les jeux en ligne. Le principal phénomène, c’est la spéculation et l’inflation des monnaies. Il y a des phénomènes de thésaurisation : des personnes vont acheter des objets rares et les conserver pour les revendre au meilleur moment, lorsqu’ils deviennent très rares et que leur cours monte. Et vu que ce sont des économies assez petites, ces mécanismes peuvent complètement déstabiliser les prix, et renverser une grosse partie de la mécanique de jeu, du « gameplay », qui repose sur la rareté relative des objets dans le jeu : tout devient trop cher ! Ces phénomènes sont donc très dangereux pour les concepteurs du jeu, qui gèrent le fonctionnement de la plateforme. Ils peuvent bloquer une bonne partie du jeu, et entrainer des phénomènes d’éviction : faire que des joueurs quittent la table, arrêtent de payer leur abonnement. Le risque est donc de ruiner le jeu.
Les joueurs qui thésaurisent ainsi respectent finalement les règles du jeu. Ils en ont le droit. Certaines pratiques des joueurs peuvent elles s’apparenter à ce que l’on appelle une « économie informelle » ?
Il y en a plusieurs. Je pense en premier lieu, justement, à cette production monétaire, qui peut prendre des dimensions informelles, voire atteindre les limites de la légalité. Certains joueurs repèrent par exemple que tuer un certain type de monstre génère énormément de pièces d’or, ils vont donc se spécialiser dans l’action de tuer ce monstre pour récolter des pièces d’or. Ils vont « industrialiser » la chasse et produire énormément de pièces d’or. C’est la pratique du « farming », on « cultive » des pièces d’or. Cette monnaie peut alors être injectée dans l’économie du jeu, mais elle peut aussi être revendue, contre des euros sonnants et trébuchants, sur différents marchés parallèles. Il existe des sites spécialisés, des plateformes indépendantes, qui sont des plateformes de courtage. On les trouve sur internet, elles sont consultables de partout. Pour tous les jeux de ce type existant (il y en a des dizaines), on peut y acheter et vendre de la monnaie du jeu contre des euros, des dollars… L’existence de ces plateformes de courtage incite donc fortement certains joueurs à amplifier leur production monétaire dans le jeu, pour gagner de l’argent.
Comment se font les échanges ? On va sur le site et on achète la monnaie du jeu avec sa carte bleue ?
Oui, plus généralement via un paiement en ligne PayPal. Ensuite ces courtiers ont des complices à l’intérieur du jeu, des joueurs qui ont amassé de l’argent du jeu et vont « offrir » à votre personnage le nombre de pièces d’or correspondant à ce que vous avez payé. C’est ces joueurs qu’on appelle les « gold farmers ». Ces échanges, selon une logique de chambre de compensation, sont donc asynchrones (1. Vous payez sur une plateforme, 2. Vous recevez dans le jeu ce que vous avez acheté), les notions de confiance, de réputation sont donc centrales sur ces circuits commerciaux. Les joueurs vont passer du temps à trouver des sites de confiance, chercher les recommandations d’autres joueurs, pour éviter de se faire arnaquer, de payer sans avoir de monnaie en retour dans le jeu.
Les courtiers qui vendent l’argent du jeu se trouvent plutôt en Chine, ou dans les pays de l’Est, on ne sait pas très bien. Ça reste des activités très floues, autour desquelles il y a beaucoup de fantasmes. Les enquêtes montrent notamment l’activité de la Chine, où des acteurs se sont fortement spécialisé dans ce farming, en poussant au maximum l’organisation du travail, afin de créer des filières d’approvisionnement massive en monnaie du jeu qui est donc échangée contre la monnaie réelle des joueurs occidentaux.
Il y a donc une sorte de division du travail, certains pays se spécialisent dans le farming, la production de monnaie, et d’autres pays achètent ?
Exactement, c’est ce que montrent les enquêtes sur le sujet, notamment des enquêtes réalisées à Oxford. C’est une organisation que l’on retrouve pour le commerce informel entourant les jeux en ligne, mais aussi pour les ventes de « like » sur Facebook par exemple. Là ce sont des pays comme Madagascar qui dominent le marché.
Ce que montrent mes recherches autour d’un jeu comme Dofus, c’est que cette répartition des taches se fait également entre classes sociales, à l’intérieur d’un même pays. Les joueurs des pays riches, qui paient leur abonnement et ont envie de passer moins de temps à réaliser des taches basiques et répétitives rémunèrent des joueurs étrangers pour le faire à leur place. Mais ils paient aussi des joueurs issus de milieux populaires, dans leur propre pays. Je le montre à propos de Dofus : quand on va en banlieue parisienne, ou en banlieue lilloise, on s’aperçoit que les jeunes des milieux populaires font ce travail de farming. Les entretiens réalisés avec eux montrent comment ces joueurs expliquent qu’ils « rentabilisent le jeu » : issus de milieux populaires, ils ne partent pas en vacances, et sont coincés à la maison pendant les congés scolaires, sans forcément de moyens de locomotion ni d’argent de poche pour aller « en ville ». Ils restent donc chez eux, et collectent de l’argent du jeu à longueur de journée, pour le vendre à des joueurs d’une autre classe sociale, en échange d’euros.
Ces jeunes n’ont généralement pas les compétences nécessaires pour mettre en place un système de courtage, de chambre de compensation ou de vente en ligne sécurisée. Les échanges se font donc différemment, c’est plutôt de la débrouille, du bricolage : Certains se donnent rends-vous dans un arrêt de bus, pour s’échanger le code d’accès contre un chèque. D’autres se retrouvent avec leur ordinateur sous le bras, et se connectent en même temps pour réaliser le transfert d’argent du jeu
Comment font-ils pour prendre contact, pour se rencontrer ?
Ce commerce passe beaucoup par les sites classiques de petites annonces. Ils mettent souvent des faux numéros de téléphone, puisque un numéro est obligatoire sur ces sites, et lors de mon enquête, je tombais souvent sur des vieilles dames qui n’en pouvaient plus qu’on les appelle pour leur acheter « un personnage de Dofus » alors qu’elles ne savaient même pas ce que c’était et n’avaient parfois même pas d’ordinateur. La véritable prise de contact se faisait par e-mail. Ce recours aux petites annonces fonctionne notamment pour les reventes de personnages.
La revente de personnages ?
Si l’on peut échanger de la monnaie entre personnages dans le jeu, ce n’est pas le cas des caractéristiques qui sont attachées à un personnage : plus on joue longtemps avec un personnage, plus il devient compétent, plus il acquière un niveau d’expérience important… Certains joueurs sont prêts à payer, là aussi, pour bénéficier directement d’un personnage de niveau élevé. Ils vont donc racheter un personnage expérimenté. Des personnages qui se vendent jusqu’à 200€ pour un jeu comme Dofus, et parfois beaucoup plus pour d’autres jeux. Et on trouve donc ces personnages en vente sur les sites de petites annonces, entre les cafetières et les scooters d’occasion.
On les trouve sur des sites grand-public, comme Le Bon Coin ?
C’est sur des sites grand public. Mais là encore, tout va dépendre de la politique de la plateforme, ici de sa politique quant au commerce d’objets virtuels.
Si on prend l’exemple d’Amazon, la plateforme permettait, jusqu’en 2007 ce type de commerce. Amazon était alors largement utilisée par les joueurs de Word où Warcraft par exemple, pour la vente de personnage ou d’objets vidéo ludiques. En 2007, Amazon a interdit la vente d’objets virtuels sur sa plateforme et les joueurs ont migré sur d’autres sites moins connus de revente d’objets d’occasion.
Vos recherches portent également sur la mise en place de « serveurs privés », ou de « serveurs parallèles ». De quoi s’agit-il, et peut-on parler, là aussi, d’une économie informelle ?
Absolument. On est là souvent dans une zone grise, une forme de tolérance, et on est dans certains cas dans des pratiques illicites.
Ces jeux ont des infrastructures client/serveur, et ont donc des limitations techniques qui font qu’on ne peut rassembler qu’un nombre de joueurs limités sur un serveur, sur un terrain de jeux. Quand on dépasse un certain nombre de joueurs, on doit créer un nouveau serveur, un autre terrain de jeu qui aura la même base logicielle mais une vie propre, une économie propre et indépendante. L’entreprise éditrice du jeu ouvre donc de nouveaux serveurs, mais certains joueurs vont aussi copier le code du jeu et le faire tourner dans leur coin. Ils ont alors la maitrise de son fonctionnement, de sa vie sociale et de sa vie économique. Ce type de serveurs privés ou pirates sont apparus dès les années 1990. Le Jeu Ultima Online par exemple a vu ses premiers serveurs privés apparaitre avant même que le jeu officiel ne soit lancé. Lorsque la version « beta » du jeu est sortie, des gens ont fait du reverse ingeneering et ont mis en place des serveurs privés d’Ultima Online. Les serveurs privés sont donc intimement liés aux jeux en ligne. Dès qu’il y a un nouveau MMOG, des gens vont tout de suite essayer d’ouvrir le ventre du logiciel pour le copier.
Chaque serveur développe son propre marché, qui évolue d’une manière propre en fonction des joueurs et des attitudes des gens qui tiennent les serveurs.
Oui, selon les dynamiques sociales du jeu. Donc chaque serveur développe un fonctionnement économique différent. Il y a les serveurs de base, hébergés dans l’entreprise qui crée le jeu. Là, l’entreprise peut agir, réguler les marchés pour que la vie économique de ses différents serveurs reste cohérente. Mais quand apparaissent des serveurs privés, des « serveurs pirates », ils sont gérés par d’autres personnes qui peuvent chercher à stabiliser l’économie, les volumes d’échanges, d’une façon complètement différente. Ces serveurs privés accueillent des populations de joueurs plus restreinte et ce sont donc des plus petites économies, avec des volumes de monnaie du jeu et échanges d’objets moins importants.
Quel est l’intérêt pour des joueurs d’aller sur ces serveurs pirates ou parallèles, plutôt que sur les serveurs officiels des créateurs du jeu ?
C’est d’abord un intérêt social : ces serveurs privés sont de deux types : soit extrêmement petits, une poignée de joueurs se retrouvent dessus. Dans le cas de Dofus, qui s’adresse à des adolescents : on a 5 à 10 joueurs, qui se retrouvent. On invite ses copains, dans une sorte de salle de jeu virtuel, une maison de poupée ou de Playmobil virtuel. Avec l’attrait pour un adolescent du coté illégal : on cherche à impressionner ses copains en montrant qu’on est capable de fabriquer cette petite salle de jeu, on invite ses amis comme on les inviterait à discuter sur une chatroom. Ensuite il y a des serveurs à plus grosses échelle, avec plusieurs milliers de joueurs. Là il y a généralement sur le serveur des formes de boutiques virtuelles, sur lesquelles on peut acheter des bonus permettant de progresser plus vite dans le jeu. Cela passe alors par de micro transaction financières, via PayPal ou par SMS, systèmes de paiement bien adaptés aux comportements économiques des adolescents.
Le fait de monter un serveur parallèle est-il systématiquement illégal ?
On est souvent dans une zone grise, ça dépend complètement de la politique choisie par l’entreprise qui détient le jeu. ANKAMA, la société qui produit Dofus, a longtemps eu une politique considérant que les serveurs privés faisaient du parasitisme. Ils profitaient d’un logiciel conçu et réalisé par les salariés d’ANKAMA pour faire de l’argent avec. ANKAMA avait donc une politique d’intimidation : courriers de mises en demeure, prise de contact avec les hébergeurs louant les serveurs (OVH par exemple), pour avoir les adresses des personnes qui hébergeaient un serveur privé… Et dans 90% des cas, les personnes - qui sont généralement des jeunes, obtempéraient. C’était une politique de menace de poursuites en justice. Aux alentours de 2010, ils ont voulu faire des procès à certains gros serveurs, emblématiques, qui réalisaient beaucoup de profits, des dizaines de milliers d’euros. Ils ont voulu faire un procès servant d’exemple.
Mais MOJANG (l’entreprise éditrice du jeu MINECRAFT) a eu une politique complètement différente : ils conçoivent un logiciel de jeu, toujours en logistique client/serveur, et ils proposent aux gens d’acheter la possibilité d’installer leur propre serveur. Ils ont fait ce choix dans l’idée qu’ils ne pourraient de toute façon pas empêcher ces copies, et cette démarche leur permettait de garder la main sur les innovations techniques, les expérimentations menées sur ces serveurs privés. Un peu dans la même logiques que les logiciels open source : tout le monde participe à faire évoluer le programme. Les programmeurs continuent à développer le jeu sur leurs serveurs, mais on garde un œil sur ce qui se fait sur ces petits serveurs privés pour s’en inspirer et faire évoluer le jeu. On implémente ensuite les initiatives intéressantes, ce qui permet finalement d’externaliser une partie de la R&D, de la créativité, qui était avant uniquement dans l’entreprise. C’est le modèle de Minecraft. L’économie informelle sert de moteur d’innovation.
On a vu ensuite des gens se spécialiser dans la fourniture de ces serveurs Minecraft. Ils proposaient des serveurs déjà tout installés, et les revendaient directement à ceux qui n’ont pas les compétences techniques pour installer ça. Ils leur proposaient ensuite de rajouter, sur ces serveurs, une boutique virtuelle sur laquelle les joueurs allaient pouvoir dépenser leurs euros.
Quand c’est Mojang qui propose cette possibilité d’installer son propre serveur, on n’est pas dans l’économie informelle, on est dans un modèle économique d’achat légal du droit d’utiliser, d’exploiter le logiciel… mais par contre, quand les personnes vont plus loin, installent leur propre boutique et revendent des serveurs déjà installés, on dépasse la licence légale qui a été achetée auprès de Mojang ?
C’est là qu’on est dans une zone grise. Mojang n’intervient pas. Il faudrait vérifier les conditions définies, le contrat signé à l’achat du logiciel. Est-ce que Mojang s’est réservé le droit de pouvoir interdire de gagner de l’argent avec un serveur, ou est-ce que la licence le permet ? Ce n’est pas si évident. Dans le cas de Mojang, c’est particulièrement intéressant, puisqu’ils ont eu la volonté d’utiliser le travail fait par les programmateurs qui avaient cette activité d’installation de serveurs, ou de modification du logiciel. Beaucoup de jeunes programmeurs l’ont fait pour se faire reconnaitre professionnellement ! Certains avaient même des accords tacites avec l’entreprise, c’est du moins ce qu’on entend : ils montraient leur savoir-faire dans le cadre de cette activité informelle, et Mojang se serait engagée à recruter les meilleurs d’entre eux par ce biais. Mais elle ne l’a pas fait. On trouve sur le net plusieurs controverses de ce type, des détenteurs de serveurs Minecraft « parallèles », ou pirates, qui ont l’impression de s’être fait avoir en montrant l’étendue de leur savoir-faire, leur compétence, leur capacité à améliorer le jeu… et dont on a repris les idées sans qu’ils ne soient finalement embauchés. On fait miroiter un salaire, une embauche, mais finalement l’entreprise retire profit de cette activité informelle, la valorise financièrement, mais ne formalise pas l’activité des programmeurs. ANKAMA s’inspire d’avantage maintenant de ce modèle, en réalisant que c’est sans doute plus profitable.
C’est donc une manière pour ces farmers d’accepter de faire le « sale boulot », ces tâches répétitives ?
Ils ne se vivent pas comme ça. Soit ils se disent qu’ils le font parce qu’ils n’ont pas le choix, parce que c’est ce qui leur permet de continuer à jouer, de s’abonner, et donc de retrouver leurs copains dans le jeu. Soit ils vont trouver du sens dans cette activité. Notamment en restaurant une certaine image d’eux-mêmes en mettant en avant leur multi activité : ils écoutent de la musique, ou ils regardent un film où ils font leurs devoirs en même temps qu’ils produisent de la monnaie du jeu, et considèrent donc que leur activité ne peut pas se réduire à ce sale boulot. Il y a aussi un farming qui se fait à une échelle plus industrielle, là le joueur ouvre plusieurs sessions du jeu en même temps, en se connectant avec plusieurs personnages, sur une même machine, lorsque le jeu le permet, ou sur plusieurs machines différentes.
On parle alors de multi farming, sur plusieurs fenêtres en même temps ou plusieurs machines, ce qui implique de nouvelles compétences, de nouvelles techniques : il faut être extrêmement organisé pour cliquer tour à tour sur les 10 fenêtres ouvertes en même temps. L’attention est alors entièrement accaparée par ces exigences organisationnelles.
Ceux qui sont dans ce type de farming cherchent effectivement à générer du cash, et pas seulement à se réabonner.
Quelles sommes peuvent-ils gagner ?
Difficile à dire, car les gens qui farment dans ces proportions sont plus durs à rencontrer en France. Mais j’en ai eu un exemple, des jeunes qui se livraient à ce type de multi-farming en France. Ils étaient davantage dans une recherche de « fun », de vertige. Ils faisaient ça sur le grand écran de leurs télévisions, et étaient dans une logique de défi face à la complexité de la tâche.
J’ai rencontré des Gold farmers étrangers, sur des plateformes sur lesquelles on se connecte normalement pour négocier les prix. Eux utilisent beaucoup de bots, c’est à dire de petits programmes qui font une partie de ces tâches répétitives à leur place. Et eux se chargent de vérifier que ces personnages autonomes, et leur boucle d’action basique ne sont pas bloqués soit par un bug, soit par des modérateurs du jeu. Si les bots sont repérés, ils sont éjectés du jeu. Les bots sont plus facilement repérés, leur activité est tellement métronomique qu’elle est identifiable dans les statistiques des serveurs, contrairement au farming manuel. ANKAMA a tenté de mettre en place des procédures pour automatiser l’éjection de ces farmers manuels, mais ils se sont heurtés à la fronde des joueurs lambda qui, eux aussi, ont de temps a autres des activités de farming afin de collecter de l’or, de faire progresser leur personnage… et ils se retrouvaient éjectés comme s’ils avaient eu une activité inconvenante alors que c’était d’honnêtes joueurs, payant leur abonnement…
Les dirigeants d’ANKAMA ont alors estimé que c’était trop risqué en termes de réputation de mettre en place ces algorithmes de détection. Ils ont préféré garder une certaine proportion de farming, plutôt que de mettre dehors des joueurs de bonne foi.
Finalement, est-ce que ces pratiques de farming sont nuisibles à l’industrie du jeu ? Ou bien est-ce qu’elles font partie de son économie et lui assure aussi une part de croissance ?
D’un point de vue purement fonctionnel, elles ne sont pas nuisibles. C’est une délégation de tache. Les joueurs me l’ont dit : si on enlève les farmers de Dofus, le jeu ne fonctionne plus. On a délégué à ces personnes les taches de production monétaire dans le jeu, et si on leur enlève, il n’y a plus de création monétaire suffisante pour que l’économie fonctionne correctement. Donc c’est devenu un rouage indispensable au fonctionnement du jeu. D’autant que les joueurs occidentaux ou riches n’accepteraient plus, pour une part d’entre eux, de faire cette basse besogne…
C‘est assez fascinant, parce que si on observe ça d’un point de vue d’informaticien, on se dit que les concepteurs ont la maîtrise totale du jeu, de l’environnement. Ils ont l’algorithme, le programme, ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Mais en fait, la complexité sociale, la part de l’activité informelle, deviennent telles qu’à un moment donné, ce n’est plus eux qui peuvent réguler la situation. Ils peuvent intervenir à la marge, résoudre quelques problèmes critiques pour le fonctionnement du jeu. Ils vont faire en sorte que tel objet réapparaisse plus vite à l’intérieur du jeu, pour qu’il soit moins rare et que les prix diminuent. Mais ils ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent, et ils ne savent pas faire ce qu’ils veulent. Ils sont en interdépendance totale avec toutes les sortes de joueurs : ceux qui paient leurs abonnements, ceux qui passent leur temps à collecter de l’argent pour le revendre aux autres, ceux qui veulent jouer sans passer par les premières étapes…
On pourrait supprimer ces premières étapes, ces tâches répétitives, mais l’ironie de la chose, c’est que les farmers paient aussi des abonnements, et qu’on n’a pas envie de les voir partir ! Les Game designer me l’ont dit : on peut potentiellement tout faire, tout changer, mais c’est une alchimie sociale et économique tellement complexe qu’on préfère ne pas y toucher. Ils ont peur de déstabiliser un système qui fonctionne « grosso modo », par un alliage d’économie formelle et informelle. Ils préfèrent ne pas prendre le risque de tout perdre, de voir les joueurs partir. Donc surtout, « même si on ne comprend pas grand-chose, ça fonctionne, et on intervient donc le moins possible ».
C’est un gros problème pour ces entreprises vidéo ludiques, car cela implique qu’elles aient dans leurs équipes des personnes qui soient à la fois compétentes en programmation, mais qui aient également des notions d’économie, et une idée assez précise sur ce qui peut être ludique en terme de dynamique économique. Si l’économie d’un jeu devient trop compliquée, trop fluctuante, les joueurs s’en vont. Ils doivent aussi savoir quels mécanismes économiques vont fonctionner de façon pérenne.
Le seul moyen d’en sortir, c’est ce que font les jeux Facebook : c’est de ne pas y rentrer! C’est à dire de créer des jeux qui ne permettent pas les échanges entre les joueurs. Et dans lesquels on dit : si vous voulez acheter des compétences, ou des objets, il faut les acheter en euros, directement au concepteur du jeu. Mais même comme ça, les joueurs arrivent à détourner le système pour s’échanger des choses entre eux, notamment en utilisant les options permettant de se faire des cadeaux. Mais ça ne permet pas de développer une économie aussi complexe que celle d’un jeu comme DOFUS.
Étude
60 tendances pour questionner les exigences de l'organisation et le besoin d'harmonie au travail.
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