L’abstention est tout sauf un « parti » comme aiment à tort le dire certains commentateurs de la vie politique. Il faut éviter cette facilité de langage qui véhicule des idées fausses sur le phénomène, en laissant penser que les abstentionnistes seraient des citoyens choisissant unanimement de ne pas se rendre aux urnes, après une étude de l’offre qui les laisseraient insatisfaits. Il y a bien sûr une part d’abstention politique. Même s’il demeure compliqué d’en mesurer l’ampleur, c’est sans doute cette abstention politique - plus encore que les changements de préférence exprimés - qui explique les alternances quasi systématiques qui caractérisent la France depuis près de 40 ans. Quel que soit le scrutin, les électeurs du camp au pouvoir, souvent déçus, ont tendance à s’abstenir plus que ceux des partis d’opposition. De même, la progression de l’abstention entre les deux tours de la présidentielle de 2017 présente t-elle bien une dimension politique. Toutes les études montrent qu’une part des électeurs de Jean-Luc Mélenchon et dans une moindre mesure de François Fillon ne sont pas allés voter lors du second tour ce qui explique sans doute la progression de l’abstention lors de cet entre deux tours. Mais il est aussi important de souligner que cette progression a en réalité été contenue puisqu’elle a été de moins de trois points. Ce qui a, en revanche, réellement explosé en 2017, c’est le volume de votes blancs et nuls qui est passé de 2,5 % à 11,6% des inscrits entre les deux tours, soit presque le double du record historique de 1969. Or, ce que montre cette évolution, c’est que nombre de votants du 1er tour ont préféré manifesté leur refus de l’offre politique en continuant à se rendre aux urnes plutôt qu’en s’abstenant. Il faut y voir une confirmation par les faits que les plus mobilisés et politisés des électeurs continuent bien de choisir le vote, même blanc, plutôt que l’abstention pour s’exprimer politiquement. D’ailleurs, les bureaux de vote où se concentrent les populations les plus politisées – les centres gentrifiés des grandes villes par exemple - ont continué de voter massivement lors de ce 2ème tour.
On dispose là de nouveaux éléments qui incitent à ne pas confondre discours militant en faveur de l’abstention - qui surpolitise le phénomène - et analyse de l’abstention - qui met en lumière l’importance des déterminants socio-démographiques du retrait électoral. Cette distinction est d’autant plus importante à faire que les essais comme celui de monsieur Buéno , ou de monsieur Peillon paru également cette année , en faisant de l’abstention un équivalent expressif du vote, délégitiment par avance la lutte contre l’abstention et les inégalités qu’elle charrie, confortant les partisans d’une démocratie élitiste qui s’accommodent parfaitement du silence sceptique des jeunes et des milieux populaires. On entend parfois que ceux qui ne votent pas ont recours à d'autres formes d'expression pour se faire entendre dans l'espace public. C'est vrai pour la minorité d'abstentionnistes diplômés et politisés, qui cumule les répertoires d'action. C'est faux pour la grande majorité des abstentionnistes qui, lorsqu'elle ne vote pas, devient tout simplement inaudible.