25 ans de débat public sur la participation citoyenne
Étude
Plusieurs ouvrages qui ont marqué la réflexion de ces dernières années sur la démocratie participative.
Interview de Gérard CLAISSE
<< Délibérer, c'est restaurer le débat public, c'est faire en sorte que les différents intérêts puissent s'exprimer, se confronter, et qu'émergent différentes représentations de l'intérêt général >>.
Gérard Claisse est vice-président de la Communauté urbaine de Lyon chargé de la participation citoyenne et du Conseil de développement en 2002. Gérard Claisse est aussi chercheur et enseignant spécialiste des enjeux des technologies de l’information et de la communication, il s’est, en tant que simple citoyen, engagé dans le Collectif pour la gratuité du périphérique Téo en 1997, réussissant à modifier des aspects importants de cette réalisation.
Nous avons choisi de l’interroger sur les enjeux de la participation des habitants dans l’agglomération lyonnaise. La participation est-elle un mot creux, ou modifie-t-elle en profondeur le rôle du citoyen dans l’élaboration des politiques publiques ?
Comment le Grand Lyon aborde-t-il la question de la citoyenneté aujourd'hui ? Quels sont vos projets dans ce vaste domaine ?
La citoyenneté a de mon point de vue trois dimensions principales : c’est un statut, c’est une identité collective, et c’est un engagement. Le statut renvoie à la dimension formelle de la citoyenneté, soit l’ensemble des droits et des devoirs civiques du citoyen ; l’identité collective à sa dimension culturelle et symbolique, soit le sentiment d’appartenance que peut avoir le citoyen à une collectivité ou une communauté d’intérêt ; la troisième dimension, celle de l’engagement, désigne la dimension active de la citoyenneté, la participation du citoyen à la vie de la cité et à la politique.
Quand on décline ces trois dimensions à l’échelle du Grand Lyon, on mesure le chemin qui reste à parcourir pour qu’émerge ce que l’on pourrait appeler une citoyenneté d’agglomération.
Sur la première dimension de la citoyenneté, on a un demi-statut du citoyen du Grand Lyon : le citoyen est usager des services publics, contribuable du Grand Lyon ; en revanche il n’élit pas au suffrage universel direct les élus communautaires. Si l’on veut un plein exercice de la citoyenneté de la part des citoyens du Grand Lyon, il est urgent de modifier la loi et que les élus communautaires soient élus au suffrage universel. Actuellement, les élus lèvent l’impôt, ont des compétences très larges sans pour autant rendre compte directement de leurs actes aux électeurs.
En ce qui concerne la deuxième dimension, c'est à dire développer un sentiment d’appartenance au Grand Lyon, en tant que communauté d’intérêt et de plus en plus en tant que communauté de destin, on est en phase d’élaboration de ce sentiment.
La démarche Millénaire3, les assises de l’agglomération, la mise en place du Conseil de développement durant le précédent mandat, ont contribué au développement de cette culture d’agglomération.
Sur ce point, nous avons deux objectifs prioritaires : aller vers plus d’intercommunalité, et aller vers plus de proximité. L’intercommunalité se fera à travers une réflexion sur l’élargissement des compétences de la Communauté urbaine et à travers une expérimentation probable dans le cadre de la décentralisation de coopération avec les territoires périphériques. On réalise un travail de fond pour que la Communauté urbaine qui fut, au début de son existence, une mutualisation de moyens, puis une communauté de projet, devienne une véritable communauté de destin. On travaille à cette culture d’agglomération à travers des instances pérennes de concertation à l’échelle du Grand Lyon, que l’on va mettre en place (Commission consultative des services publics locaux, Commission consultative d’urbanisme et de déplacement...). Ces réalisations visent à faire émerger des acteurs qui construisent, portent et diffusent cette culture de solidarité d’agglomération, à l’échelle du Grand Lyon.
Le troisième volet correspond à la citoyenneté active : c’est le souci d’aller vers une démocratie plus participative. C’est un des objectifs importants du plan de mandat. Sa mise en oeuvre est abordée à travers l’élaboration d’une Charte de la participation, qui va nous permettre de définir des objectifs, de prendre des engagements, et de nous donner un plan d’action.
N’y-a-t-il pas un risque de confusion à faire passer pour de la citoyenneté tout ce qui touche au sentiment d’appartenance (votre deuxième axe), au lien social en général, au respect des règles de la vie sociale ?
Effectivement, il ne faut pas confondre citoyenneté et civilité. Mais la citoyenneté qui se résumerait au statut de la nationalité ou du droit de vote serait insuffisante. Pour qu’il y ait citoyenneté active, il faut qu’il y ait véritablement un sentiment d’appartenance à une communauté identitaire qui devienne une communauté de destin. On n’appartient d’ailleurs pas à une seule de ces communautés, mais de plus en plus à une pluralité de communautés. Au sein de chaque communauté, se pose la question du lien social, de la civilité, et des valeurs que l’on va plus ou moins partager. On appartient à une communauté qui fonde une partie de notre identité. Mais cela ne préjuge en rien des relations des individus entre eux et des groupes entre eux. Rien n’empêche que se développe dans cette communauté des relations conflictuelles voire même inciviques.
N’y-a-t-il pas une action spécifique à mener envers les populations qui n’ont pas la citoyenneté formelle (les étrangers et les mineurs), ainsi qu’à celles qui se sentent les moins concernées par la participation à la vie de la cité ?
L’enjeu de la citoyenneté pour ces populations concerne les trois dimensions de la citoyenneté, et en premier lieu la dimension formelle. On ne pourra pas rester longtemps sans instaurer le droit de vote des résidants étrangers non européens ; cette décision n’est pas du ressort du Grand Lyon.
La participation citoyenne ne se décline pas avec la même ampleur selon les différents publics de l’agglomération lyonnaise. Certains publics sont directement concernés, d’autres restent en marge.
On peut faire plusieurs constats. Il y a d’abord une certaine apathie citoyenne, qui concerne l’ensemble de la population. Ensuite, dans les dispositifs de participation et de concertation que l’on met en place, les gens ne sont pas toujours les mêmes, mais on retrouve un milieu social bien défini. Pour autant, si l’on se donne vraiment les moyens d’ouvrir des espaces publics qui permettent la concertation, on est surpris par le nombre de personnes nouvelles que cela amène. Je pense notamment à la mise en place des conseils de quartier sur la Ville de Lyon : il y a eu 10 000 candidatures, ce qui est relativement important, ramené aux quelques 200 000 ménages de la ville. Autre exemple, lorsque l’on a mis en place une concertation sur la première phase de la réalisation de Lyon Confluence, 5600 personnes ont visité l’exposition et plus de mille ont répondu à une enquête visant à recueillir leurs attentes.
Enfin, il y a des publics qui ont du mal à s’insérer dans ces dispositifs, ceci pour des raisons très différentes : raisons de disponibilité (ce qui explique la relativement faible participation des salariés du secteur privé, ou des femmes) ; méthodes qui ne leur conviennent pas et qu’il faut réinventer (la sous-participation relative des jeunes tient à ce que les formes de dialogue institutionnel qui leur sont proposées ne correspondent pas du tout à ce qu’ils peuvent attendre) ; concernant l’exclusion, comment demander à un individu de participer à la vie de la cité s’il a l’impression que ne lui sont pas reconnus les droits minimaux qui fondent ce sentiment d’appartenance à la cité (droit au travail, droit au logement...), donc s’il se sent illégitime à intervenir dans l’espace public ?
Sur cette dernière question pourtant, des politiques sont menées par les collectivités locales, notamment en faveur des populations les plus défavorisées dans les quartiers de la Politique de la ville. Au DSU (Développement social Urbain), des agents de développement mobilisent quotidiennement des outils pour favoriser la participation des citoyens. Des moyens importants sont mis en oeuvre dans ces quartiers, sans pour autant que l’on obtienne toujours les résultats escomptés. Il me semble que l’urgence est de reconstruire une citoyenneté de résidence, soit apprendre aux gens l’autonomie et l’action collective, en démarrant tout simplement de leur logement, pour les amener ensuite au quartier, puis de manière plus large à prendre en considération l’espace public de manière plus globale.
Si l’on regarde ce qui se passe dans ces quartiers, on est surtout confronté à la difficulté qu’on les habitants à s’exprimer, à prendre la parole dans l’espace public, et à transformer de manière positive la violence qu’ils ont enfermé en eux du fait de leur statut d’exclusion, pour construire ensemble un projet. J’ai l’impression que c’est un peu vider la mer avec une cuillère car la tâche est immense. Les expériences se multiplient, il y a des échecs et des réussites. Ce n’est pas chose aisée, mais il faut garder cet objectif.
Il existe de nombreux outils de concertation mis en place depuis peu de temps ou en train d’émerger : conseils de quartier au niveau des communes et des arrondissements, conseils de jeunes, conseil de développement et journées prospectives au niveau de l’agglomération, etc. Comment le Grand Lyon se positionne par rapport à ces instances ?
Le Grand Lyon a deux rôles à jouer dans le cadre de ces instances locales : le premier consiste à favoriser la mise en réseau de toutes ces expériences locales. Les instances communales de démocratie locale sont en effet essentielles en matière de concertation sur les politiques du Grand Lyon. Elles permettent de discuter de nos politiques ou de nos projets avec des interlocuteurs situés au plus près du terrain. Le second est un rôle d’articulation de la démocratie aux différentes échelles territoriales.
Le Grand Lyon se doit aussi d’avoir une stratégie en matière de développement de la démocratie participative. Cela se traduit par la mise en place de nouvelles instances pérennes de participation, et par des dispositifs de concertation sur nos projets.
Concernant les dispositifs pérennes de concertation, il y a deux niveaux : le premier est celui des stratégies d’agglomération, auquel correspond le Conseil de développement, instance de concertation sur la stratégie d’agglomération ; le second est celui des politiques publiques sectorielles (transport, logement, économie, service public...), qui déclinent la stratégie d’agglomération. L’objectif est de mettre “en face” de chacune de ces politiques publiques une instance pérenne de concertation. Elles existent en partie mais sont à compléter : c’est le cas du Schéma de Développement Economique (SDE), instance de concertation entre le Grand Lyon et les grands acteurs économiques ; il existe également la Conférence d’agglomération de l’habitat, qui regroupe un petit cercle d’acteurs de la société civile. Dans ces deux cas, on réfléchit à l’ouverture de ces instances à d’autres acteurs. Par ailleurs, deux nouvelles instances sont mises en place la Commission consultative des services publics locaux, lieu de réflexion et de concertation sur l’amélioration de la qualité des services (eau, déchets, etc.) et une plus grande transparence dans leur gestion. Nous allons également réactiver la Commission consultative d’urbanisme et de déplacement, qui sera un lieu de débat public et de concertation sur nos politiques de déplacements et nos politiques urbaines.
Concernant les dispositifs de concertation sur nos grands projets, nous allons développer des processus de concertation dont on souhaite qu’ils se développent le plus en amont possible des projets, qu’ils soient ouverts, innovants, continus, donnent lieu à des bilans, et puissent s’accompagner d’un certain nombre d’actions festives et événementielles.
En mettant sur pied des conseils pour les jeunes, d’autres dédiés aux étrangers, aux handicapés, voire même aux personnes âgées, ne risque-t-on pas de reproduire dans les procédures de concertation l’exclusion dont ces catégories peuvent faire l’objet dans la vie sociale, alors que l’on pourrait imaginer des démarches qui les incluent dans des instances ouvertes à tous, comme les conseils de quartier ?
La problématique qui consiste à mettre en place des conseils par catégories de population a été développé au niveau communal, et non pour l’instant à celui du Grand Lyon. Si cette problématique me semble en partie discutable, elle a aussi son intérêt : ces conseils peuvent avoir une utilité, car des questions spécifiques se posent par rapport à ces populations. Le fait que le politique se donne le moyen d’en débattre de manière plus approfondie avec elles peut être intéressant. Pour ma part, je privilégie une approche en termes de mélange et de brassage. A partir du cadre qui a été défini (instances pérennes et concertation par projets), il faudra s’efforcer de retrouver la diversité des publics, en sachant que cela est difficile, et en privilégiant des approches très ouvertes de la concertation, avec pour objectif de favoriser l’expression du plus grand nombre.
Quand nous avons engagé la concertation sur le projet Lyon Confluence, on aurait pu organiser une première réunion publique où les élus seraient venu présenter le projet à la population, et auraient ensuite joué le jeu classique des questions-réponses. Nous avons renversé le processus, en donnant en premier lieu la parole aux habitants pour les écouter : que connaissaient-ils du projet Lyon-Confluence, qu’en pensaient-ils ? Puis nous avons, dans un second temps engagé le dialogue lors de réunions thématiques. Enfin, les élus ont pris publiquement des engagements par rapport aux propositions qui ont été formulées. Encourager l’expression des citoyens c’est aussi sortir du registre des doléances, qui ne donne pas des résultats très probants. Dans le cas du projet Confluence, on a mis en place un dispositif d’enquête pour permettre au plus grand nombre d’être accompagné dans son expression. Cela a remarquablement bien marché, puisque près de 20% des 5600 visiteurs y ont contribué.
La mise en oeuvre de la démocratie participative remet-elle en cause le fonctionnement de la démocratie représentative ?
Je crois que l’on irait droit dans le mur si l’on opposait la démocratie participative à la démocratie représentative. Lors d’élection, on entend des nouvelles listes qui déclarent qu’elles feront ce que les citoyens leurs demanderont de faire, et qu’elles utiliseront le référendum sur tous les projets. Ce n’est plus faire de la politique. Le rôle du politique, c’est construire un système de valeurs, présenter des projets devant les électeurs, se faire élire ou non, être mandaté en cas d’élection, et tenir ses engagements. Un des grands griefs fait au politique est de ne pas tenir ses engagements. Le politique doit donc les tenir et il n’est par conséquent pas question de les renégocier constamment dans le cadre d’une démocratie participative permanente.
Si un élu a prévu dans son programme électoral la réalisation d’un parking à un endroit donné, il ne ne va pas remettre en débat l’opportunité de réaliser le parking. En revanche, s’il lui appartient d’appliquer son programme et de décider in fine des solutions, il lui appartient également de partager de plus en plus le pouvoir de délibération, donc le pouvoir de mettre en débat, et de tenir compte des avis des uns et des autres sur la mise en oeuvre ou l’élaboration d’un projet.
Délibérer, c’est restaurer le débat public, c’est faire en sorte que les différents intérêts puissent s’exprimer, se confronter, et qu’émergent différentes représentations de l’intérêt général. Le rôle de l’élu sera alors de mettre fin aux controverses, et de définir ce qu’il entend être l’intérêt général. Il s’agit non pas d’opposer démocratie représentative et démocratie participative, mais d’enrichir la démocratie représentative, voire même de la dépasser, par une démocratie beaucoup plus délibérative.
Quand il y a un débat qui s’engage, des positions différentes apparaissent, et l’on ne sait comment les élus établissent leur choix parmi les propositions qui sont faites. Les élus doivent-ils, appliquant en quelque sorte le principe de la transparence jusqu’au bout, expliquer la motivation de leurs choix ?
C’est essentiel. De manière générale, il y a du point de vue des citoyens une perte de lisibilité de l’action publique. La lisibilité passe par une information beaucoup plus transparente qu’elle ne l’est actuellement. Il y a des efforts à développer. Il faut à la fois rendre lisible au citoyen l’information dont dispose l’institution, et à l’inverse faire en sorte que l’institution ait une lisibilité de l’information qui lui remonte du citoyen. Informer puis expliquer, ce n’est pas seulement expliquer la décision finale, mais expliquer l’univers des choix dans lequel la décision finale va être prise. L’explication permet d’améliorer la lisibilité de l’action publique. Je reprendrai l’exemple du projet Lyon Confluence : on a expliqué les raisons pour lesquelles on ne peut pas, du jour au lendemain, enlever l’autoroute le long du Rhône et le centre d’échanges Lyon-Perrache, construire le métro jusqu’à Lyon Confluence, déménager les prisons, etc. L’ensemble de ces décisions ne dépendent en effet pas de la collectivité locale mais de l’Etat. La qualité de la discussion progresse énormément dès lors que l’on explique les choses aux gens.
En sens inverse, les élus doivent se mettre en position d’écoute des habitants pour connaître leurs attentes, leurs propositions, leurs inquiétudes…
Ce qui me semble aller au-delà des stricts enjeux d’information et d’explication concernant les choix politiques, c’est le fait de rendre lisible la construction de l’intérêt général. Il est fondamental de travailler en ce sens.La posture la plus courante des élus consiste à se présenter comme les représentants et garants de l’intérêt général, ce qui justifie le bien fondé de leurs décisions. Un corrolaire fréquent quoi qu’implicite consiste à considérer que les citoyens n’étant pas vraiment capables de comprendre les choix politiques, il n’est pas question d’exposer de manière transparente leurs tenants et aboutissants.
Cette posture est un des fondamentaux de la démocratie représentative selon Montesquieu. Ce qui légitimait la démocratie représentative selon Montesquieu, c’était le fait que l’on disait avoir à faire à des citoyens non ou peu formés, assez peu intelligents, incapables de prendre en compte l’intérêt général, et qu’il était par conséquent nécessaire qu’ils délèguent leur pouvoir à des représentants mieux formés. C’est le modèle classique de démocratie représentative. Ce modèle, actuellement en crise, est à dépasser. La démocratie participative peut être un moyen de renouveler voire même d’enrichir considérablement ce modèle, sans pour autant le remettre en cause. Le temps est révolu des élus qui considèrent qu’ils peuvent seuls, ou assistés d’experts, penser et faire la ville. Le rôle d’un élu aujourd’hui est de penser et de faire la ville avec la ville, avec les habitants. Ces habitants par ailleurs demandent à être de plus en plus acteurs-auteurs de leur cadre de vie.
N’oublions pas aussi que par rapport à la Révolution, le niveau d’éducation et de formation des citoyens est nettement supérieur. La posture de Montesquieu n’est tout simplement plus tenable.
Le paradigme de la participation et de la concertation semble assez nouveau. Il n’y a pas un élu aujourd’hui qui n’ait les mots débat, participation et concertation à la bouche.
Il y a des cycles de vie de la démocratie locale et de la démocratie participative.
Dans les années 60, des villes de gauche notamment, Grenoble, Saint-Etienne..., avaient mis en place des groupements d’action municipaux, des conseils de quartier, des comités d’habitants. Au niveau national, une association comme l’ADELS (association pour la démocratie et l'éducation locale et sociale) date des années 50. La problématique de la démocratie participative existait, a été mise en sommeil, et redevient d’actualité sous une forme très consensuelle, dans les partis de gauche comme de droite.
En revanche, passer du discours à l’action devient un exercice extrêmement compliqué, car il y a un changement culturel à opérer aussi bien au niveau des élus, que des services techniques. C’est un processus qui prendra du temps. A l’échelon de la communauté urbaine, c’est une culture relativement nouvelle, certes déjà présente dans certains services comme le DSU (Développement Social Urbain), ou le service Espaces publics.
Dans la conduite d’un projet d’aménagement à l’échelon de la Communauté urbaine, on dispose d’une ingénierie financière, d’une ingénierie technique, d’une ingénierie juridique, d’une ingénierie politique, mais pas d’ingénierie de la concertation. La concertation intervient comme variable d’ajustement ou pour répondre à des obligations juridiques (concertation préalable, enquêtes publiques). La démarche que l’on doit engager, c’est de faire entrer la concertation comme un volet à part entière de la conduite de projet, et qu’elle soit prise en compte dès l’amont. Pour cela, il nous faut construire une ingénierie de la concertation. C’est une évolution culturelle importante et cela prendra du temps.
Le consensus des discours sur la démocratie participative ne fait-il pas qu’il est de plus en plus difficile aux élus et aux services techniques de ne pas jouer ce jeu de la concertation avec les habitants et de la transparence de l’information ?
Il ne faut pas oublier que s’il y a un consensus sur le discours, il utilise des mots valises qui recouvrent des réalités très disparates. Dans un projet, l’on peut mettre très peu d’aspects en concertation, comme l’on peut en mettre beaucoup. Un élu qui ne faisait pas de réunion publique et se met à en organiser pour mieux informer ses citoyens sur ses projets aura l’impression de faire de la démocratie participative. Mais on comprendra que l’on change d’univers quand on passe de la mise à disposition d’un registre dans le coin d’une mairie par exemple, au montage d’un dispositif approfondi de concertation, innovant dans la forme, avec un médiateur qui organise le débat public, un espace public dédié à la concertation, permettant l’expression des citoyens, et qu’ensuite cette expression soit exploitée et donne lieu à des engagements par rapport aux attentes.
Si l’on veut faire de la concertation une nouvelle manière d’élaborer (au moins en partie), de conduire et d’enrichir nos projets, on change d’univers de référence, et c’est l’organisation verticale des services techniques qu’il faut revoir.
On parle aujourd’hui de “nouvelle citoyenneté” pour désigner les formes diverses et variées d’engagement des citoyens. Vous-mêmes avez participé au Collectif Téo qui a réussi à infléchir les décisions qui avaient été prises. Est-ce que ces formes de mobilisation n’auront plus de raison d’être si les instances de concertation et de démocratie participative fonctionnent bien ?
Une démocratie participative qui aurait comme objectif unique la recherche du consensus connaîtrait de graves déboires. Il y a des intérêts particuliers, des intérêts catégoriels, des intérêts contradictoires. Emergent des conflits d’intérêts, parfois excessivement forts. Le conflit garde toute sa place, et toutes les formes “non violentes” de manifestation de ce conflit font partie du jeu démocratique, et ne doivent pas disparaître. En revanche, un certain nombre d’entre elles deviendront inutiles si la démocratie participative fonctionne bien, car on aura une diminution des contentieux.
Par exemple, si le projet Téo avait été un tant soi peu concerté d’abord entre les élus eux-mêmes, puis avec les habitants, tout le monde aurait compris au vu du dossier que le projet était injouable tel qu’il était conçu (rétrécissement de voiries, prix du péage trop élevé, etc.).
La vitalité de la démocratie ne vient pas seulement de la démocratie octroyée, quand l’institution décide d’élargir les droits des citoyens, de leur donner l’occasion de donner leur avis, etc. Elle vient aussi de la démocratie qui est conquise par les citoyens : c’est la rue, les pétitions, etc. L’association de ces deux dimensions fait la dynamique de la démocratie.
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Texte de Catherine FORET