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Le projet de la grande mosquée de Lyon

Interview de Kamel KABTANE

Recteur de la Grande Mosquée de Lyon

<< La grande mosquée de Lyon est là, forte de son histoire >>.

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Date : 05/08/2008

Le projet de la grande mosquée de Lyon a mis près de 14 ans à voir le jour. A la lecture de l’historique, il semble que le projet ait été soutenu par les responsables politiques ainsi que par les communautés religieuses.

Oui. Le soutien a été fort de la part des communautés politiques et religieuses. Le Cardinal Alexandre Renard a été sensible aux demandes de lieux de prières faites par les Musulmans  et présentées aux communautés chrétiennes de l’agglomération. Il s’était ouvert de cette situation au Maire de Lyon Louis Pradel pour que les Musulmans puissent bénéficier de lieux de prière dignes et adaptés. Dès son premier mandat Francisque Collomb a ouvert le dossier. C’est à ce moment que nous avons créé l’Association culturelle lyonnaise islamo-française (ACLIF), association qui était porteuse du projet de construction d’un « Centre culturel polyvalent pour la communauté musulmane de l’agglomération ». La mairie a bien accueilli et encouragé notre projet qu’elle voulait ambitieux. A vrai dire, les oppositions sont d’abord venues des riverains qui craignaient des nuisances. Ils ont utilisé l’ensemble des recours légaux pour que nous ne nous installions pas sur le terrain octroyé par la ville mais la municipalité n’a pas tergiversé et s’est engagée fortement pour que le projet se fasse. Soutien local donc, mais on peut dire national puisque le projet en lui-même avait été avancé par Valéry Giscard d’Estaing ; le 21 avril 1981, il annonce parmi les 5 projets qu’il souhaite pour Lyon, la construction d’un centre culturel islamique pour la communauté musulmane ! On a réussi à créer entre les autorités politiques nationales, locales et nous un consensus. Pour autant, il y a eu des périodes dures, notamment lors de la montée du Front national qui a politisé le dossier, fait peur aux riverains – par la suite certains sont venus me voir en disant qu’ils avaient été trompés – et aussi, par ricochet, aux responsables politiques. Dans ces moments là, les politiques ont du se positionner, comme Michel Noir l’a fait, publiquement, dans l’émission L’heure de vérité lorsque je l’ai appelé en direct pour lui poser la question…

 

Il y a également eu des tensions à l’intérieur de la communauté musulmane…

Oui, les oppositions les plus dures sont venues de là. Il s’agissait d’un projet sur lequel personne n’aurait misé un centime et, partant de rien, nous avons réussi à en faire un projet d’intérêt national. Il faut voir que nous étions observés par toutes les communes qui attendaient de voir comment les choses allaient évoluer. Lorsque les gens ont vu l’intérêt religieux, social et politique que ce  projet revêtait, ils ont souhaité intervenir, ce qui a été porteur de tensions et jusque dans l’ACLIF. Quand on s’est trouvé à deux mois de l’échéance de la fin du permis construire, on sentait la lassitude des responsables politiques devant les oppositions répétées qui montaient de partout et au sein même de la communauté musulmane. Le projet patinait. La municipalité a fini par douter et douter de notre volonté à mener à bien ce projet. Il a donc fallu prendre des décisions, poser la première pierre pour forcer les choses et montrer la vigueur de notre engagement. Mais le jour de la pose de la première pierre, aucun n’élu n’était présent.

 

Lorsque la mosquée de Lyon a été conçue, l’idée n’était pas de faire seulement une mosquée, mais d’en faire un centre culturel rayonnant à l’échelle internationale. Cette importante composante culturelle est-elle aujourd’hui réellement présente ?

Au départ, nous avions un projet global comprenant une mosquée et un véritable centre culturel. Les évolutions politique de 1981 ont changé le cours des choses ; les pouvoirs publics ont insisté pour que les deux projets cultuel et culturel soient distincts. On nous a laissé entendre que la mosquée une fois construite on pourrait alors envisager la construction du centre culturel. C’est ce que nous avons fait mais les engagements de l’État se font attendre. Depuis 5 ans, nous avons fortement réactivé le projet d’Institut français de civilisation musulmane - IFCM. Nous avons réuni des équipes d’architectes, d’économistes, de chercheurs. J’ai présenté le projet à Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur, au ministre de la culture de l’époque, au maire de Lyon, au président du conseil général, au président du conseil régional. J’ai été reçu à la Présidence de la République par le Secrétaire général  Claude Guéant, l’an dernier, ainsi que par les services du Premier ministre. Tout le monde s’accordait à reconnaitre l’importance de ce que nous proposons et la légitimité de l’intervention des pouvoirs publics. D’autant qu’à Lyon, on a financé sur fonds publics d’autres projets à caractères spécifiques tels que la faculté catholique, le centre culturel juif, le centre culturel arménien, et que la communauté musulmane ne comprendrait pas qu’en la matière elle ne puisse être entendue. Mais, apparemment, les dernières mesures budgétaires ne nous semblent pas favorables et le projet devra peut être attendre encore.

 

Cet institut pourrait-il prendre en charge la formation des imams ?

Non, là on parle d’un institut, d’un cursus donnant les moyens de connaître l’islam à ceux qui le souhaitent. Pour ceux qui veulent devenir imam, ils peuvent le faire au travers des conventions que nous aurons signées avec les universités au Maroc, en Tunisie ou en Algérie. Ce sont des universités qui prêchent un islam de tolérance et d’ouverture et qui pourraient accueillir ceux de nos élèves qui le voudraient.

 

En étant provocateur, on peut se demander si en attendant de l’État qu’il s’engage et prenne en charge ces projets, vous ne laissez pas la place à d’autres courants de s’organiser pour le faire eux-même ? Je pense par exemple à la Mosquée de Villeurbanne qui propose l’Institut E.T.I.C - Étude de la Théologie Islamique, du Coran et des Civilisations, au lycée Al Kindi ou encore au centre de formation Shâtibî…

On s’adresse à des citoyens français et on doit leur donner les moyens qu’on donne à tous les Français. Faut-il que nous allions chercher l’argent à l’étranger ? Ceci nous ne pouvons l’admettre et nous continuerons à nous battre pour que ce projet trouve des financements Français, c’est, plus qu’un droit, un devoir .
Ceci posé, il ne faudrait pas que l’on pense que la mosquée n’a pas d’activité culturelle ! Nous dispensons des cours d’arabes à plus de 400 enfants, nous proposons des conférences avec la participation de chercheurs universitaires, etc. Il y a une véritable vie culturelle. On pourrait aussi se donner un titre factice d’institut mais ça ne serait pas très efficace pour l’avenir. Ce que nous voulons, c’est travailler pour l’avenir. Il faut que l’islam trouve sa place de façon transparente et que l’État joue pleinement son rôle d’équilibre et de justice envers cette communauté pour éviter toute forme de communautarisme. Ce que nous souhaitons, c’est faire ce qui a été fait pour la mosquée : un institut ouvert, transparent, appuyé sur les universités, avec des formations diplomantes et pas simplement quelque chose qu’on fait en catimini ou un institut ghetto. Ça on pourrait le faire sans problème. Nous tenons à l’engagement de l’État parce qu’il est légitime et parce qu’il doit montrer tout l’intérêt qu’il porte à cette communauté. A mon sens l’état ne peut agir indifféremment et créer entre les citoyens de ce pays  des inégalités.

 

Il y a cependant des projets qui ont vu le jour comme de nombreuses mosquées…

Non, les mosquées ont été financées sur des fonds propres de la communauté musulmane, il ne s’agit pas pour nous de transgresser la loi. Moi j’attendais plutôt un geste fort de la part de l’État et des collectivités, un geste affirmant que les Musulmans font partie de l’ensemble social français. En mettant en place cet Institut de culture musulmane, Lyon ne ferait que mieux contribuer à la connaissance de l’islam. Cela permettrait aussi de contribuer au dialogue inter-méditerranéen et à une meilleure connaissance des cultures.

 

Le développement d’un projet culturel reste donc un axe prioritaire ?

Oui, mais n’attendons pas que l’Institut soit achevé pour avancer. Je vous ai dit que nous avions des activités culturelles et on se bat depuis des années pour tenir notre rôle dans le rapprochement des différentes cultures. Par exemple, nous allons en Israël et en Palestine, le 1 mars prochain, avec le Cardinal Barbarin, le Grand Rabbin Wertenschlag, et les responsables des autres cultes pour présenter ce qu’on a pu faire dans l’agglomération et apporter un message de paix et d’espoir. Durant tout le mois du Ramadan nous recevons un Juif, un Chrétien, un Musulman pour parler de ce qui nous rapproche. Tout cela pour dire qu’aujourd’hui, la mosquée est devenue un lieu incontournable dans le domaine des relations entre les cultures.

 

Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a été créé pour suppléer à l’absence de clergé en islam. Aujourd’hui, n’est-ce pas lui qui est l’interlocuteur légitime des pouvoirs publics ?

N’oublions pas que nous avons participé à la création du CFCM et que la mosquée de Lyon a été la première à s’engager dans cette voie quand toutes les autres traînaient des pieds. J’ai été le premier président du Conseil régional du culte musulman (CRCM) Rhône Alpes, je suis membre du bureau national du CFCM. Ceci étant posé, le CRCM est l’interlocuteur des pouvoirs publics sur des problèmes afférents à l’ensemble de la communauté musulmane. Le Fonctionnement interne des mosquées est de la compétence des responsables statutaires de ces institutions. Le CFCM ne s’immisce pas dans leurs affaires intérieures, mais il fait le lien entre les autorités et les Musulmans sur des affaires bien précises, comme l’organisation de l’Aïd, des carrés musulmans, etc. C’est par exemple moi qui ai mis en place, dans le cadre du CRCM, les protocoles d’accord pour la construction des mosquées et j’avais même, à l’époque, proposé la création d’un schéma directeur des mosquées pour déterminer leur implantation.

 

Dans une interview, Chérif Ferjani explique que la mosquée s’est créée en suivant une "stratégie de notable".

"Stratégie de notable"… Peut-être ? Mais si à l’époque nous n’avions pas été, mes amis et moi, connus et appréciés pour notre engagement associatif en faveur des Français musulmans, par l’ensemble des autorités de la région, le projet n’aurait pas vu le jour… Cela a pu fonctionner parce que nous avions une implantation forte dans la vie de la cité.

 

Mais est-ce qu’il n’y a pas eu, en fin de compte, un décalage entre votre position d’élite et les Musulmans de la rue. Finalement, est-ce que des associations plus militantes et plus proches du terrain ne vous ont pas débordées ?

Nous sommes présents sur le terrain. Je vais dans les prisons, voir les détenus, 2 ou 3 fois par mois, je rencontre les fidèles, ici à la mosquée, qui me parlent de leurs problèmes, nous aidons des gens qui n’ont rien à manger et qui viennent à la mosquée, nous accueillons des élèves, etc. Nous sommes en contact avec la réalité ! On n’est parti de rien, sans un centime en caisse. Nous sommes partis d’une une idée et l’avons crédibilisée, nous sommes devenus des interlocuteurs crédibles. Parce que les autorités avaient compris tout l’intérêt qu’elles avaient à contracter avec nous. C’est parce qu’elles connaissaient Rabah Kheliff, Kamel Kabtane, puis le Professeur Lahnech qui est venu nous rejoindre. Mais il faut se rappeler qu’à l’époque, les étrangers n’avaient pas le droit d’association ! Nous étions des citoyens français qui demandions le respect de leurs droits. A l’époque le contexte était différent, il n’y avait pas encore les problèmes de banlieues, mais on sentait que l’intégration ne pouvait pas se faire sans qu’on donne aux Musulmans des droits. Si ce n’est visionnaire, on voyait quand même comment les choses s’organisaient.

 

Il semble important que les deux grands symboles de l’islam à Lyon vous et le CRCM puissent travailler ensemble.  On a le sentiment d’un jeu de concurrence entre la mosquée de Lyon et celle de Villeurbanne. Est-ce que vous arrivez à travailler en collaboration avec le CRCM ?

Nous sommes représentant d’un culte, porteurs d’une foi qui a ses exigences morales et on ne peut donc pas accepter que des règles iniques président au mode de désignation des représentants du CRCM. C’est pour ces raisons que nous n’avons pas participé aux dernières élections. La mosquée de Lyon n’est en concurrence avec personne. La grande mosquée de Lyon est là, forte de son histoire. Elle est aujourd’hui un cas d’école, étudié pour comprendre les moyens de médiation qui ont été mis en œuvre pour que le projet voit enfin le jour. Ceci étant dit, il y a un certain nombre de problèmes sur lesquels nous devons travailler ensemble mais également en bonne intelligence. Encore faut-il que nous soyons consultés ou associés. Malheureusement, on veut bien qu’on rentre dans le rang pour être caporalisé. A cela je réponds non. La mosquée de Lyon ne peut pas avoir un rôle subalterne et doit jouer tout son rôle. Car nous ne sommes pas une mosquée de quartier comme certains voudraient bien nous cantonner. Les autres mosquées de l’agglomération sont pour la plupart des mosquées fréquentées par les Musulmans qui vivent à proximité. Ici, ce n’est pas le cas. Finalement, on joue un rôle d’équipement d’agglomération ; les gens viennent de toute l’agglomération. Dans la tradition musulmane, le vendredi on va à la grande mosquée et ce jour là, la mosquée est toujours pleine… On vient pour des moments solennels, pour l’Aïd, par exemple, et également parce qu’il y a une vie culturelle très intense. Notre reconnaissance, on la voit et la trouve également là : lorsque l’ambassadeur des États-Unis, d’Arabie Saoudite ou de Grande Bretagne vient à Lyon, ou le Président du Sénégal, c’est à la grande mosquée qu’ils se rendent.