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La démocratie au niveau local vu par un acteur de la démocratie participative

Interview de Jean-Luc CIPIERE

<< On accepte tous des compromis dès lors qu’ils sont le fruit de confrontations fécondes >>.

Entretien avec Jean-Luc Cipière, responsable de l’association « Formation Action Citoyennes ».

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Date : 26/04/2007

Comment la notion de « démocratie » résonne t-elle à FAC ?

Notre vocation, c’est l’éducation populaire, la formation citoyenne, pour nous c’est la même chose. À travers elle, ce que nous visons c’est la transformation sociale. L’objectif que nous poursuivons à terme est de forger des outils au service de populations éloignées momentanément ou durablement de la citoyenneté active pour des motifs socio-économiques.
Aussi, la question démocratique est-elle centrale à FAC, fondamentale. Nous développons des actions de formation parce que nous avons la conviction que la formation des citoyens constitue un enjeu politique majeur des sociétés démocratiques. La formation donne à chaque citoyen les moyens de comprendre les évolutions de la société, de se forger une opinion critique et de devenir acteur du changement.

 

Comment caractérisez-vous la démocratie ?

La démocratie est une utopie motrice. La démocratie est un paradigme, il faut l’inventer en permanence, la nourrir, la protéger car par définition, elle est toujours menacée. Elle ne peut pas être « réglée » une fois pour toute, elle évolue en fonction des époques et des lieux, des apaisements et des tensions.

 

Aujourd’hui, on parle de crise de la démocratie, comment la situez-vous ?

Ce qui caractérise l’actuelle crise de la démocratie est la perte d’attachement et de désir démocratique. Cette question ne nous intéresse plus, ne nous interpelle plus. Nous nous en désintéressons car elle n’ouvre plus de perspectives de changement, notamment pour les plus fragiles. Si l’on cherche les raisons qui ont conduit à la crise de la démocratie, il est difficile d’accuser tel ou untel car elle est le produit d’une idéologie libérale qui progressivement s’est immiscée dans toute la société. Or, contrairement à ce qu’elle revendique à travers son nom ou dans ses discours, l’idéologie libérale est attachée à des valeurs antidémocratiques. La démocratie, c’est le bien commun alors que l’idéologie  libérale impose des valeurs contraires.  Le « marché » joue contre la démocratie car contrairement au discours convenu, l’intérêt général ce n’est pas la somme des intérêts particuliers qui elle, est le paradigme du « marché ».
La démocratie ne serait plus qu’un show médiatique, alors on se détache d’elle. On perd peu à peu le désir de démocratie. D’où l’enjeu primordial de l’éducation populaire pour redonner du sens et des raisons d’espérer un avenir meilleur.

 

Les mouvements d’éducation populaire que vous évoquez, qui ont joué un rôle important en complément de l’école dans l’éducation des enfants et des jeunes au cours du XXe siècle, ne sont-ils pas aujourd’hui en panne ?

Certes, un certain nombre de ces acteurs, en tout cas ceux qui sont nés du Conseil National de Résistance, ont subi de grandes évolutions. L’instrumentalisation de ces mouvements par les pouvoirs publics et leur professionnalisation au détriment du militantisme, ont entraîné une démission certaine de ces mouvements par rapport aux principes d’éducation populaire. Bien sûr, cette réalité est à constater avec des nuances selon les acteurs. Cependant, on ne peut nier que depuis une dizaine d’années et sous l’influence de réflexions conduites aux quatre coins du monde et de nouvelles mobilisations à travers de nouveaux acteurs à l’exemple d’ATTAC, les choses se sont remises à bouger. De nouveaux rapports de force se sont instaurés, on sent bien que des tensions fortes sont à l’œuvre pour revenir vers le sens fondateur, réaffirmer un projet politique au cœur duquel il y a la transformation sociale.

 

Comment ces réorientations se concrétisent-elles ?

Nous travaillons avec le réseau des MJC, des centres sociaux et d’autres associations. Nous constatons de partout des interrogations et des volontés. Par exemple, on a conduit un travail sur les discriminations avec un groupe d’animatrices, dans les MJC du Rhône et très vite une question de fond a surgi. Les MJC doivent-elles se satisfaire d’une action de sensibilisation aux problèmes de discrimination ça et là ou accepter d’être renvoyées, via la question des discriminations, à leur mission d’éducation citoyenne ? Et dans ce cas de figure, comment  les élus des conseils d’administration (CA) des Maisons assument-ils cette fonction notamment en termes d’indépendance vis-à-vis des collectivités qui les financent ? Car si nous constatons aujourd’hui une implication toujours réelle de personnes au sein des CA des MJC, on note aussi que les formes d’engagement ont changé. Les bénévoles s’investissent plus dans la vie quotidienne des structures que dans leur rôle politique. Toutefois, les professionnels revendiquent de plus en plus la vocation politique de leur Maison et incitent les élus à les conforter dans ces revendications et notamment à affirmer leur place dans la démocratie locale.

 

L’exercice démocratique au niveau local peut-il raviver « le désir démocratique » ? 

La démocratie locale est un réel enjeu. L’exercice de la démocratie locale nous concerne au quotidien, dans le quartier ou le village, la ville et la communauté de communes. C’est celle où l’on touche la participation comme pratique mettant en jeu toute la population. C’est aussi une porte d’entrée vers le global. Quand on entre dans la démocratie locale, on déroule un fil qui nous conduit vers toutes les échelles, tous les territoires et qui pose la question de leur articulation. Les échelons de l’exercice démocratique n’ont pas de limites ou de frontières, il n’y a pas une démocratie européenne, une nationale et une locale, les pratiques interagissent.

 

La Ville de Lyon, le Grand Lyon et la Région Rhône-Alpes ont engagé des démarches de démocratie participative. Quelle perception en avez-vous ?

Je me refuse à parler de démocratie participative. Comme si deux acceptions de la démocratie existaient souvent antagoniques rarement réconciliées ; la démocratie participative et la démocratie représentative. Je préfère parler de participation comme un ensemble de pratiques, d’exigences inscrites au cœur de l’idéal démocratique. Face à la crise démocratique, il existe des réactions politiques. Elles s’inscrivent souvent dans la volonté de promouvoir la participation avec des motivations diverses qui vont de l’instrumentalisation à des fins douteuses, à la volonté réelle de retrouver le désir démocratique. C’est comme cela que j’interprète les décisions prises par les collectivités locales.
Nous travaillons avec la région Rhône-Alpes dont nous apprécions les démarches mises en oeuvre. Nous y participons au travers de la réflexion sur le soutien aux projets et dans les séances d’échanges avec les différents acteurs aux quatre coins de la région (réseau démocratie participative). La volonté de cet exécutif est intéressante. La question est de savoir quelle sera à terme la finalité. L’exigence porte-elle sur une participation efficace, pour améliorer les services publics et concevoir au plus près des attentes les projets qui relèvent des compétences de la région, ou d’arriver à une véritable co-décision ? Bien sûr, de notre point de vue, il serait intéressant d’arriver à la codécision. Certaines collectivités locales, à Grigny, à Pont-de-Claix, sont également sur cette finalité, mais elle est loin d’être partagée par tous. Un grand nombre d’élus, de professionnels ou de simples citoyens pensent que chacun devrait rester à sa place. Ces limites sont donc présentes. Néanmoins, il y a quelque chose qui s’est mis en mouvement et qui ne fera pas marche arrière. 

 

La démocratie participative peut-elle renforcer la démocratie représentative ? 

La question de l’articulation entre le représentatif et le participatif est un combat permanent. Il faut être imaginatif. De ce travail conduit par exemple au sein de la région Rhône-Alpes, de ce débat entre élus, professionnels et citoyens, vont naître des évolutions. Et soit, on saura rapidement  faire bouger les lignes et donc résoudre les deux questions qui se posent à nous, la question sociale et la question de l’environnement, soit on n’y arrivera pas. C’est la question démocratique qui est la seule clé pour résoudre ces deux questions fondamentales ! Et je sens les choses bouger. Ça grince beaucoup, mais c’est normal quand ça bouge !

 

Les conseils de quartier peuvent-ils participer de ces évolutions ?

Un conseil de quartier est un lieu privilégié où l’on vérifie et visualise les problèmes de tensions, les difficultés à articuler le représentatif et le participatif. Bien qu’il existe un cadre législatif, les conseils de quartier prennent des formes différentes selon la volonté des équipes municipales en place.  Dans certains conseils, sous la coupe du Maire et des Adjoints, la participation se résume à la concertation alors que d’autres expérimentent des formes de cogestion. On s’aperçoit que sans volonté politique forte d’aller plus loin, rien ne se passe. Par ailleurs, il faut aussi du répondant en face, des citoyens mobilisés. Or, ces derniers ne se mobilisent que si les conditions d’écoute et de prise en compte des points de vue sont réelles, que dans la mesure où effectivement, il y a les moyens d’agir. Malheureusement, dans la plupart des conseils de quartiers, ces conditions ne sont pas réunies. De fait, les citoyens qui participent à ces conseils sont souvent plus des personnes qui s’ennuient ou viennent chercher une forme de notoriété, que des citoyens véritablement engagés. Les militants, les jeunes, les personnes en difficulté sont alors les grands absents. Or, même si c’est plus difficile, on peut de partout, mobiliser plus largement. 

 

Qu’est-ce qui est excluant et à l’inverse attractif dans les démarches de démocratie participative ?

Des éléments très pratiques comme le lieu ou les horaires peuvent être des facteurs excluant. Mais la discrimination est surtout culturelle. Lorsque l’on ne sait pas s’exprimer en public ou rédiger un compte-rendu, on est de fait exclu de ce type de réunion. De plus, les personnes dont la vie quotidienne est très lourde à porter restent également à l’écart de ces dispositifs.
Ce qui mobilise les jeunes comme les plus âgés, les Français comme les personnes d’origine étrangère, c’est de participer à quelque chose qui intéresse. L’association Cap Berriat à Grenoble est particulièrement exemplaire à ce titre. Elle mobilise les jeunes autour d’actions culturelles ou sportives qui les intéressent et les amène à intervenir fortement dans l’espace public. La prise en compte de la parole est indispensable. On accepte tous des compromis dès lors qu’ils sont le fruit de confrontations fécondes. Chacun doit pouvoir exposer et argumenter son point de vue. L’essentiel est de permettre l’expression de positions claires et le débat. Dans le cadre d’un débat sur un projet d’aménagement par exemple, l’élu doit pouvoir expliquer précisément ses objectifs mais aussi ses limites financières. Le professionnel, l’architecte ou l’urbaniste, doit pouvoir présenter ce qu’il a imaginé en précisant aussi les contraintes techniques ou de sécurité incontournables, tout comme le citoyen doit pouvoir exprimer ce qu’il conçoit comme judicieux en termes d’usage. Une fois exposés, les points de vue peuvent alors être mis en débat dans l’objectif d’arriver à un compromis. Certes, ce n’est pas toujours facile. Ces démarches demandent du temps et un droit à l’expérimentation et donc à l’erreur. Elles demandent aussi de l’audace et à chacun, notamment aux élus et aux techniciens, d’envisager leur rôle autrement. Mais elles sont les garantes d’un bon fonctionnement démocratique.