Vous êtes ici :

Les innovations dans le champ de l'immunologie et de la vaccinologie dans la région lyonnaise

Interview de Marc GIRARD

<< Aujourd’hui, nous disposons d’une panoplie de nouveaux outils qui découlent non pas de l’immunologie, mais de la biologie moléculaire >>.

Entretien avec le Professeur Marc Girard, ancien Directeur général de la Fondation Mérieux et professeur à l’Institut Pasteur, connu notamment pour ses recherches sur le vaccin contre le sida.L'objectif de cette interview est d' identifier les innovations dans le champ de l'immunologie et de la vaccinologie, qui constitue un pôle d'excellence de la région lyonnaise : nouvelles voies dans l'élaboration des vaccins ouvertes par la biologie moléculaire et le génie génétique, chaînes d'acteurs permettant le passage de la recherche à la production industrielle, le tout avec des normes de qualité et de sécurité de plus en plus strictes. 
L'interview se conclut sur les enjeux de la vaccinologie en 2005.

Tag(s) :

Date : 31/01/2005

Quelles innovations percevez-vous dans le champ de l’immunologie ?

Le grand succès de l’immunologie a consisté à montrer au niveau génétique comment les gènes des anticorps sont constitués à partir d’éléments génétiques épars sur le génome qui vont se rassembler de manière aléatoire et être sélectionnés en réponse à l’antigène. La cellule dotée du bon réarrangement chromosomique produit alors le bon type d’anticorps et répond à la présence de l’antigène en proliférant et en produisant ces anticorps. C’est ainsi que tout un chacun répond à l’antigène de la coqueluche, du tétanos, etc. Par ailleurs, une nouvelle sous-discipline apparaît : l’étude des cellules dendritiques, dites présentatrices d’antigène. Situées dans le derme et les muqueuses, elles sont les premières en contact avec une agression. Ce sont elles qui sont chargées de capter les antigènes extérieurs, provenant des divers pathogènes, et de les transporter jusqu’aux ganglions lymphatiques pour les présenter aux cellules du système immunitaire.

 

Qu’ont apporté les biotechnologies et en particulier le génie génétique à la vaccinologie ?

Aujourd’hui, nous disposons d’une panoplie de nouveaux outils qui découlent non pas de l’immunologie, mais de la biologie moléculaire. Cette discipline a tellement imprégné les autres qu’il n’est plus pensable de faire de la virologie ou de la microbiologie en l’ignorant. La biologie moléculaire a permis de produire ce que l’on appelle des organismes génétiquement modifiés (OGM). Le vaccin contre l’hépatite B est un OGM, comme tous les vaccins en développement. Si l’opinion publique le savait, peut-être reverrait-elle son opinion sur les OGM ! La manipulation du génome d’une bactérie ou d’un virus vise par exemple à les rendre plus « amicaux », pour leur faire perdre leur caractère pathogène. On produit alors ce que l’on appelle des vaccins vivants atténués, par mutation ou par suppression d’un ou de plusieurs gènes de virulence. A titre d’exemple, le choléra sécrète une toxine qui est responsable du pouvoir pathogène de la bactérie. En enlevant le gène responsable de la partie toxique de la toxine, on obtient une bactérie qui vit très bien et secrète un embryon de toxine capable de vacciner contre la toxine dangereuse ; le tout sans faire de mal car elle a perdu son caractère pathogène ! Ce vaccin vivant existe et vaccine efficacement contre le choléra.

 

Pouvez-vous expliquer comment l’élaboration des vaccins a changé avec la biologie moléculaire et le génie génétique ?

Prenons l’exemple de l’hépatite B. Nous savions vacciner contre l’hépatite B avec l’antigène de surface (l’antigène HBS), présent chez les porteurs chroniques de virus. Ces porteurs une fois dépistés étaient incités à donner leur plasma. En laboratoire, nous purifiions l’antigène présent dans ce plasma, le traitions avec un peu de formol pour inactiver les microbes qui auraient pu rester… C’était le vaccin ! Puis sont apparus le sida et la maladie de Creutzfeld Jakob. Nous ne pouvions prendre le risque de maintenir le procédé de prélèvement de l’antigène dans le plasma humain. C’est à ce moment que sont arrivés le génie génétique et la biologie moléculaire. La biologie moléculaire qui s’est faite essentiellement à l’Institut Pasteur et à l’Université de Californie (San Francisco) a consisté d’abord à séquencer le génome du virus de l’hépatite B, à comprendre à quoi servaient les différents gènes, à isoler le gène qui correspondait à l’antigène de surface, à le prélever et à le mettre dans une levure (équipe américaine) ou dans une cellule animale (équipe Pasteur). Ces cellules se mettent à secréter l’antigène de surface du virus de l’hépatite B. Il ne reste plus qu’à le purifier et à le traiter au formol. On obtient alors un produit contrôlé, avec une connaissance de la souche et des milieux utilisés. On s’affranchit du plasma humain qu’on ne contrôle pas et dans lequel il peut y avoir un ou des pathogènes qu’on n’a pas dépistés. Cela a été une énorme avancée, le premier vaccin produit par génie génétique.

 

Comment est-on alors passé de la recherche à la production industrielle ?

Une fois que nous avons obtenu des levures et des cellules animales qui secrétaient l’antigène de l’hépatite B, le développement est passé aux grandes entreprises pharmaceutiques. Par exemple à Pasteur Vaccins, succursale de l’Institut Pasteur et de l’Institut Mérieux, nous avons industrialisé le process pour la production, vérifié que le produit n’était pas toxique, donnait bien des anticorps, que ces anticorps étaient protecteurs chez le chimpanzé… A partir de là nous avons soumis les dossiers en règle aux différentes autorités réglementaires, puis avons commencé l’étude chez l’homme : la phase 1 pour vérifier que le produit est bien toléré et ne suscite pas d’effets secondaires, la phase 2 pour vérifier qu’il induit bien une réponse immunitaire. Aujourd’hui, il faut ajouter la phase 3 obligatoire (vérifier l‘efficacité du produit), qui n’était pas exigée pour ce vaccin à cette époque. Nous avons fait un transfert de technologie à Taiwan. C’était magnifique. Maintenant, tous les enfants y sont vaccinés et le cancer du foie, premier cancer du pays (induit par l’hépatite B), est en train de régresser.

 

On parle aussi parfois du « vaccin ADN nu » : pouvez-vous expliquer de quoi il s’agit ?

Ce procédé de vaccination extraordinaire date de près de 10 ans. Les biologistes moléculaires utilisent, pour transporter des gènes, une sorte de mini-chromosome appelé plasmide. Ces petits éléments génétiques s’échangent très rapidement entre bactéries. C’est pour cette raison que la résistance aux antibiotiques se développe très vite dans la nature ! Du coup, le plasmide est devenu le véhicule idéal : on peut placer un gène de souris ou de virus dans le plasmide, qui va amplifier le gène ou le virus et le reproduire en grande quantité. A partir de ce moment, il est possible de le travailler, de le découper, le mutagéniser, etc. Ensuite, comme je l’ai décrit plus tôt avec l’antigène de l’hépatite C, on le place dans une levure ou dans une cellule animale pour qu’il exprime son gène et que la cellule « crache » l’antigène souhaité. Un jour, un chercheur a eu l’idée : pourquoi, plutôt que de passer par une cellule, ne pas injecter directement le plasmide sous la peau de la personne ? C’est ce qu’on appelle le vaccin à ADN nu. Le plasmide est un élément d’ADN. Comme toujours, on l’a expérimenté sur la souris. On a mis le gène voulu sur le plasmide, injecté ensuite sous la peau de la souris. Une partie des plasmides est acheminée par les cellules dendritiques jusqu’aux ganglions, qui produisent l’antigène. On obtient ainsi un vaccin ! C’est extrêmement simple, et cela marche de manière superbe chez la souris. On a ainsi réussi à protéger des souris de la grippe avec des fifrelins d’ADN ! Nous avons alors pensé que cela allait être formidable pour l’homme : nous parviendrions à produire des vaccins bon marché et ne craignant pas la chaleur, autant de caractéristiques intéressantes pour les pays en voie de développement…. Hélas, cela ne marche pas chez l’homme à un point suffisant. La société Merck qui s’est lancée avec des moyens considérables dans la voie ADN pour le sida a annoncé il y a 6 mois l’arrêt de cette voie.
Pourquoi ce procédé ne marche-t-il pas chez l’homme ? Nous ne le savons pas. En vain a-t-on mené des investigations du côté de la différence de code génétique homme/souris, des adjuvants, de l’encapsulation de l’ADN pour le protéger… Le résultat, c’est qu’il n’existe aujourd’hui pas de vaccin à ADN chez l’homme. En revanche, les vétérinaires sont en train de développer cette approche pour le cheval. Ce type de déconvenue nous rappelle qu’en matière de recherche il faut toujours rester humble et très empirique.

 

Quel est le statut « académique » de la vaccinologie par rapport aux champs de l’infectiologie, virologie, bactériologie, parasitologie ?

Le vaccin constitue en quelque sorte une application secondaire par rapport à la recherche fondamentale en virologie, parasitologie, bactériologie et immunologie. Un fondamentaliste s’intéresse surtout aux mécanismes, cherche à comprendre le fonctionnement d’un virus ou d’une bactérie. Pendant longtemps, on a considéré que le travail sur la mise au point d’un vaccin n’était pas noble, pas assez théorique : c’était bon pour les développeurs, les industriels, ou les commerciaux. Cela a changé en raison d’une prise de conscience des enjeux considérables de santé publique que représente la vaccination contre le paludisme, les diarrhées infantiles, le sida, l’hépatite C, la tuberculose, ou … le cancer du col utérin ! Le développement de vaccins à visée thérapeutique (contre les cancers par exemple) correspond par ailleurs à une nouvelle orientation de la discipline, à laquelle commencent à s’intéresser les fondamentalistes, car les données théoriques font souvent défaut !

 

Dans quelle mesure l’imposition de normes très strictes (qualité, sécurité) a transformé les manières de faire dans le champ de la production du vaccin ?

Dès la phase de réalisation des études cliniques, les produits doivent respecter une série de normes édictées par l’Organisation Mondiale de la Santé et par la Food and Drug Administration (Etats-Unis). Les lots de vaccins destinés aux essais sur l’homme, puis ensuite à la commercialisation une fois toutes les étapes de validation accomplies, doivent porter le label GMP : « Good Manufacturing Practices » (BPF en français : Bonnes Pratiques de Fabrication). Les normes GMP, venues des Etats-Unis, tendent à s’appliquer au monde entier. Tout élément intervenant dans un test de contrôle ou dans la fabrication doit être codifié et enregistré ; par exemple, si un laboratoire commande de l’eau distillée, un certificat devra attester la qualité de cette eau. L’imposition de ces normes pousse les laboratoires à s’adresser à des structures spécialisées. Des entreprises de biotechnologie ont trouvé là un créneau, créant un centre GMP pour réaliser des lots expérimentaux de vaccins pour des études cliniques. C’est le cas de Transgene. L’entreprise dispose de chercheurs, de laboratoires et d’un centre de production GMP destiné à leurs propres produits et à ceux de structures commanditaires. A titre d’exemple, si un laboratoire a élaboré un vaccin potentiel contre le sida par exemple, il pourra solliciter Transgene pour le développement et la production d’un lot de vaccins pour la phase de test chez l’homme. Une fois fabriqué, le lot sera reconnu comme propre à être testé sur l’homme à titre expérimental par une autorité réglementaire comme l’AFFSAPS. Ensuite, pour réaliser l’essai, il faudra s’appuyer sur une structure clinique, un hôpital, un centre clinique… C’est justement ce qu’il faut développer à Lyon. En aval de l’essai, les centres d’immunologie étudient les réponses immunitaires des volontaires, en collaboration avec les microbiologistes et les virologistes .…

 

Est-ce un atout que la chaîne d’acteurs que vous décrivez soit intégrée sur un même site, ce qui est largement le cas dans la région lyonnaise ?

A l’ère du courrier électronique et de l’avion à réaction, il n’y a qu’un intérêt limité à intégrer toutes les activités sur un même lieu ! Les personnes avec lesquelles je travaille sont à Grenoble, à Berne, à Paris, à Strasbourg et à Lausanne ; Sanofi Pasteur travaille avec la Thaïlande et l’Australie. Les études cliniques sont de plus en plus multicentriques, c’est-à-dire basées sur des populations situées dans plusieurs villes ou pays.

 

Pour conclure sur les grands enjeux de la vaccinologie et de la vaccination, peut-on considérer qu’ils diffèrent selon que l’on habite les pays les plus développés ou le Tiers-Monde ?

Il ne serait pas tout à fait juste de considérer que les enjeux sont distincts entre pays du Nord et du Sud. Nous sommes tous des touristes en puissance et les déplacements contribuent à la propagation rapide des infections, ce qu’a récemment rappelé l’épisode du SRAS (Syndrome respiratoire aigu sévère). Si les enjeux sont planétaires, les facteurs de risque ne sont en revanche pas les mêmes, ni les expositions. A partir de là, on trouvera d’une part des vaccins universels, notamment les vaccins pédiatriques pour les petits enfants, et de l’autre des vaccins davantage utiles aux pays en voie développement, mais qui seront aussi utilisés dans les pays du Nord comme « vaccins du voyageur ». Les vaccins universels en préparation sont dirigés contre les maladies respiratoires et les maladies diarrhéiques de l’enfant, extrêmement létales. Nous n’avons aucun vaccin par exemple contre la bronchiolite, ou contre le virus du croup… Cela dit, il est vrai qu’il faut aussi tenir compte des enjeux commerciaux et que le développement de certains vaccins destinés à lutter contre des infections prévalentes dans le Sud, mais rares dans le Nord (les infections parasitaires par exemple) ne mobilise pas considérablement l’industrie pharmaceutique ! Il en allait de même pour bien des infections bactériennes, mais en ce domaine, la donne a changé avec l’apparition du risque de bioterrorisme.

 

Quelles sont les priorités pour lesquelles les vaccinologues se battent aujourd’hui ?

Les trois maladies les plus tueuses, liées à la pauvreté, sont le paludisme, la tuberculose et le sida. Elles sont à l’origine de la grande majorité des morts dues aux maladies infectieuses. Derrière, viennent les diarrhées, les maladies respiratoires aiguës et, dans les pays tropicaux, les maladies transmises par arthropodes, moustiques le plus souvent : encéphalite japonaise, dengue, fièvre jaune (pour laquelle on dispose d’un vaccin), leishmaniose… Mais il arrive souvent que nous n’arrivions pas à trouver le vaccin malgré une très bonne connaissance du virus. C’est le cas du sida mais aussi de la dengue. Les Thaïlandais, frappés par cette maladie, ont été les premiers à y travailler. Ils ont sélectionné il y a déjà une quinzaine d’années des souches atténuées, qui ont perdu leur virulence. Ces souches sont très bien tolérées chez la souris, qui se trouve protégée contre la souche sauvage. Mais il y a quatre types de virus impliqués dans la dengue. Non seulement il faut vacciner contre chacun de ces types de façon à avoir une immunité totale, mais en plus, il semble que la vaccination contre un seul type pourrait faciliter une infection par un autre type. Pour cette raison, il est impératif d’obtenir des réponses immunitaires contre tous les types et à taux égal. Malheureusement, ce qui marche sur la souris ne marche pas aussi bien sur l’homme. Avec ces contraintes, arriver à un vaccin représente un travail considérable ! Ne sachant pas à quoi est dû cet échec sur l’homme, le vaccinologue fera varier les mélanges, mettant un peu plus d’un type, un peu moins de l’autre…, et le tout devra être essayé chez l’homme, puisque la souris ne nous aide pas ! Cela nous rappelle que si l’on teste toujours un vaccin sur l’animal avant de passer aux essais sur l’homme. Tous les vaccinologues vous diront que les extrapolations de la souris à l’homme sont hasardeuses. D’où l’adage : « la souris ment !..». Parfois cela marche, souvent non, ce qui impose de réaliser systématiquement l’étude de tout candidat vaccin chez des volontaires humains.