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Le Centre Léon Bérard (CLB) et la recherche clinique de l'agglomération

Interview de Marina ROUSSEAU-TSANGARIS et David PÉROL

<< Environ 15% de nos patients participent à des essais cliniques, ce qui place le Centre Léon Bérard au-delà de l'objectif de l'Institut National du Cancer >>.

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Date : 31/05/2012

Propos recueillis par Caroline Januel en mars et juin 2012
Marina Rousseau-Tsangaris (Secrétaire générale de la Recherche, Chargée de valorisation au Centre Léon Bérard) et Docteur David Pérol (Responsable de la Recherche Clinique, Direction de la Recherche Clinique et de l’Innovation du Centre Léon Bérard)
Avec des équipes dédiées depuis 1986, le Centre Léon Bérard (CLB) fait partie des acteurs locaux de référence en matière de recherche clinique. Marina Rousseau-Tsangaris et David Pérol nous décrivent l'organisation de cette activité au sein du Centre et ses évolutions récentes.

Le Centre Léon Bérard (CLB) fait partie des acteurs phares de la recherche clinique de l'agglomération. Pouvez-vous nous dresser un état des lieux de cette activité ?

L'activité de recherche clinique s’est développée au CLB dès la fin des années 1970 sous l’impulsion du Dr Michel Clavel et de son équipe. Elle s’est ensuite structurée dans les années 1980-90 sous la direction du Pr Franck Chauvin, et est progressivement montée en puissance pour compter aujourd’hui environ 60 collaborateurs dédiés à cette activité, sous la responsabilité du Dr David Pérol.Il existe donc une vraie culture de recherche clinique au CLB, avec d’une part des compétences spécifiques (médecins, pharmaciens, infirmie(ère)s, techniciens et assistants de recherche clinique, chefs de projets, biostatisticiens…) et une organisation intégrée à l’interface entre les soins et la recherche. Le CLB dispose d’une expertise reconnue en recherche clinique en cancérologie, et ce, à toutes les phases de développement d’un nouveau médicament ou dispositif médical, depuis les essais de phase I (première administration chez des patients avec évaluation de la sécurité d’emploi et de la tolérance) jusqu’aux essais de phase III (évaluation comparative de l’efficacité des nouvelles thérapeutiques). Ces essais sont notamment menés dans le domaine du cancer du sein, des sarcomes (tumeurs des os et des tissus de soutien), des cancers urologiques, des cancers broncho-pulmonaires, des cancers digestifs, des tumeurs des voies aéro-digestives…

Chaque année, c’est près de 1 000 nouveaux patients qui sont inclus dans les essais cliniques au CLB, ce qui place l’établissement dans le peloton de tête des Centres de lutte Contre le Cancer, derrière les Centres d’Ile-de-France (Institut Gustave Roussy et Institut Curie) et devant le CLCC de Marseille. Environ 15% de nos patients participent à des essais cliniques, ce qui place le CLB au-delà de l’objectif de l’Institut National du Cancer (INCa) qui est de 10% des patients inclus dans des essais.

En termes d’organisation, on peut distinguer schématiquement deux types de projets de recherche clinique au CLB : ceux dont la promotion est assurée directement par le CLB, et ceux qui sont promus par des partenaires industriels.
- Les premiers sont à l’initiative des médecins et chercheurs du CLB : ce sont eux qui imaginent et conçoivent le projet. L’écriture du protocole de recherche, sa mise en place, la gestion des données, l’analyse statistique et la valorisation de l’essai sont assurée par les équipes du CLB. Ces dernières années, l’accent est mis sur l’évaluation de molécules ou de combinaisons de molécules innovantes dites thérapies ciblées, en partenariat avec l’industrie pharmaceutique qui fournit ces molécules. Ainsi, près de 30 essais cliniques, promus par le CLB étaient opérationnels en 2011. Ces essais sont souvent multicentriques, c’est-à-dire qu’ils incluent des patients suivis non seulement au CLB, mais aussi dans d’autres CLCC, CHU ou CHG, voire dans différents pays européens.
-   Les seconds sont à l’initiative de partenaires industriels, qui vont proposer à des médecins du CLB de participer à un essai dont ils ont la maîtrise. Lorsque ces partenaires nous contactent, ils disposent de la molécule, du protocole, du design de l’essai et viennent chercher une double expertise au CLB : à la fois l’expertise clinique des médecins (appelés « investigateurs ») mais aussi le savoir-faire des équipes de recherche clinique et notamment des assistants de recherche clinique qui vont recueillir les données cliniques et biologiques auprès des patients pendant toute la durée de l’essai. Actuellement, plus de 150 essais de ce type sont ouverts aux inclusions au CLB, ce qui permet de mettre à disposition des patients du CLB de nombreuses molécules innovantes.

La recherche clinique locale menée au CLB est-elle reconnue sur le plan national et international ?
Cette reconnaissance passe par trois canaux :
-    la reconnaissance des acteurs du monde scientifique, qui passe par les publications et communications dans des revues et congrès internationaux. A titre indicatif, on dénombrait ainsi en 2010 au CLB 80 publications internationales de recherche clinique ; de même, les médecins du CLB sont largement présents dans les grands congrès internationaux tel que l’ASCO, qui est le grand rendez-vous annuel des cancérologues du monde entier, avec pour l’ASCO 2012 la présentation de 9 communications orales, 11 posters en discussion et près d’une trentaine de posters écrits.
-    la reconnaissance des tutelles : le CLB dispose ainsi d’une triple labellisation : labellisation par l’INCa en tant que Centre de Traitement des Données (CTD) en 2007 (12 centres labellisés en France) et comme Centre d’Essais de Phases Précoces (CLIP) en 2010 (16 centres labellisés en France) ; labellisation par le Ministère de la Santé (Direction Générale de l'Offre de Soins) en tant que Centre de Recherche Clinique en Cancérologie en 2011, en partenariat avec le CHU de Lyon. Ces labellisations nous permettent de bénéficier d’un soutien institutionnel à la fois financier et logistique pour améliorer la qualité de la prise en charge de nos patients dans les essais cliniques, ainsi que pour favoriser l’accès à des molécules innovantes. Par ailleurs, le CLB est aujourd’hui reconnu comme une DRCI (Délégation à la recherche clinique et à l'innovation) par le Ministère de la Santé.
-    la mise en place de partenariats à l’échelle internationale, comme par exemple celui mené avec le NCI (National Cancer Institute) américain pour l’essai de phase précoce en onco-hématologie AKTIL, ou la promotion d’essais en collaboration avec des partenaires européens, australiens, japonais… L'échelle internationale est en effet indispensable lorsque nous travaillons sur des maladies rares pour lesquelles il est plus difficile d'atteindre une masse critique de patients, c'est-à-dire un nombre suffisant pour réaliser l'étude. Certains cancers rares concernent ainsi moins d’une centaine de patients par an en France. Enfin, des partenariats internationaux ont été développés avec l’EORTC (European Organisation for Research and Treatment of Cancer), le réseau d’excellence européen Conticanet (CONnective TIssue CAncer NETwork), ou le NIH (National Institutes of Health).

Comment expliquez-vous que le CLB inclue en moyenne trois fois plus de patients que les autres centres (15% contre 5%) ?

Cela tient à une volonté forte et ancienne des médecins du Centre. Cette volonté s'incarne aussi dans la structuration de la recherche clinique et dans les moyens consacrés. Une recherche clinique d'excellence est structurée et nécessite des compétences. Au CLB, c'est une tradition : il y a une culture volontariste de la recherche, sur un site unique, où chercheurs et cliniciens se côtoient. En bref, cela tient à une vraie volonté associée à des moyens méthodologiques. Pour développer de l'innovation, on n'a pas d'autre choix, que ce soit pour concevoir des protocoles d’essais cliniques innovants ou pour inclure et suivre des patients en respectant l’ensemble des contraintes éthiques, réglementaires et scientifiques. Cette volonté d’optimiser encore nos savoir-faire nous a d’ailleurs engagé vers une démarche de certification ISO 9001 de la recherche clinique avec pour objectif une labellisation à l’horizon 2013.

Comment la perception des patients vis-à-vis de la recherche clinique a-t-elle évolué ces dernières années ?

Dans ce domaine comme dans d’autres, la relation patient – médecin est devenue moins asymétrique avec un rééquilibrage en faveur des patients. En effet, la large diffusion des connaissances médicales et des innovations par internet, une demande croissante d’information et de participation des patients aux décisions médicales les concernant, l’acquisition de nouveaux droits (Loi « Kouchner » de 2002, Etats Généraux de la Ligue Nationale Contre le Cancer…), ainsi que l’implication des associations de patients ont fait évoluer les attitudes et les comportements des patients vis-à-vis de la santé et des soignants, mais aussi des soignants vis-à-vis des patients.
En recherche clinique en oncologie, cela se traduit notamment par un meilleur niveau d’information et souvent par une diffusion très rapide de la connaissance de nouvelles molécules en expérimentation. Les patients viennent ainsi parfois de très loin pour pouvoir avoir accès à des médicaments en développement précoce.

Percevez-vous d'autres évolutions récentes dans le champ de la recherche clinique ?

Outre la professionnalisation et la spécialisation des équipes, une des évolutions majeure de la recherche clinique en oncologie a été le développement de la recherche dite de transfert : les progrès en biologie moléculaire, avec l’identification de liens entre la transformation des cellules cancéreuses et la présence ou la surexpression anormale de protéines, ont permis de mieux comprendre les mécanismes à l’origine de la prolifération des cellules cancéreuses. Ces progrès sont à l’origine de nouveaux espoirs thérapeutiques avec pour objectif de développer des traitements « personnalisés » adaptés au profil moléculaire des patients, et bien évidemment, les études de recherche clinique accompagnent ces évolutions.

Le CLB accueille également des étudiants en médecine. Sont-ils préparés à s'impliquer dans la recherche clinique, à s'investir autant dans l'information des patients, à travailler avec des associations, bref, à adopter cette vision large du soin que vous décrivez ?
Nous essayons de transmettre des connaissances de base dans le domaine de la recherche clinique aussi bien aux étudiants hospitaliers qu’aux internes en médecine que nous accueillons, ces derniers étant bien évidemment plus directement impliqués dans les essais cliniques du fait de leur plus grande expérience. Ensuite, cela est affaire de sensibilité et de volonté personnelle, certains étant plus attirés par la recherche que d’autres, qui sont plus orientés vers l’exercice clinique exclusif. La recherche clinique exige un gros investissement personnel, les moyens et les dispositifs de soutien ne font pas tout, le désir du jeune médecin compte beaucoup.
En 2006-2007, un audit avait mis en évidence que la plus jeune génération de médecins était moins sensibilisée que la génération précédente (les 40-50 ans) à la recherche clinique. Nous avons donc développé des initiatives pour créer davantage de lien entre les chercheurs et les cliniciens, et pour favoriser l'innovation : des rencontres cliniciens-chercheurs, des journées scientifiques internes, des comités pluridisciplinaires... Enfin, nous nous efforçons d'établir des binômes cliniciens-chercheurs : cela permet d'échanger des données, d'aller vers l’autre et de susciter l’intérêt pour la recherche clinique.

Vous essayez donc de réunir toutes les conditions favorables pour que les cliniciens s'investissent dans la recherche clinique ?

La recherche clinique prend du temps. Nous nous efforçons donc, pour les gens qui en ont envie, de leur donner les moyens, le soutien pour les aider et les décharger. L'Institut National du Cancer l'a bien compris, par exemple, en attribuant des bourses à des cliniciens pour qu'ils puissent consacrer du temps à la recherche.

N'oublions pas aussi la complexité de la réglementation. Les services supports sont indispensables à la bonne réalisation de la recherche clinique. On est parfois tenté de donner plus de moyens à l'hôpital mais c'est un tout, une chaîne, il ne faut pas oublier les administratifs et les financiers, tous les services supports. Aujourd'hui, un excellent clinicien, ni même une excellente équipe clinique ne suffisent pas. Encore une fois, le montage d'un dossier de recherche clinique est d'une grande complexité et est également très chronophage. L'ouverture et la conduite d'une étude exigent donc toute une équipe, médicale et réglementaire.

L'aspect réglementaire très lourd que vous décrivez ne vient-il pas freiner l'esprit d'expérimentation des cliniciens et chercheurs et l'innovation ?

La réglementation répond à une demande sociétale forte et une demande du législateur. Elle vise naturellement à minimiser le risque et à respecter les patients. Le respect de cette réglementation est indispensable et nécessite une bonne organisation ; la démarche qualité de certification ISO 9001 en cours va nous aider à optimiser cette organisation.

Quant à l'innovation, elle passe notamment aujourd'hui par la recherche de transfert, qui dresse des passerelles entre la recherche fondamentale et la clinique. Une observation clinique peut ainsi vous amener à reconsidérer les mécanismes biologiques en jeu. L'objectif est que chercheurs et cliniciens travaillent ensemble et partagent leurs connaissances.

Voyez-vous pour l'avenir des nouvelles pistes d'amélioration à vos activités de recherche clinique ?

Intégrer les sciences humaines à la recherche clinique est certainement un des défis à relever. L'innovation et la recherche clinique ont besoin d'approches pluridisciplinaires pour se développer au profit des patients. En collaborant avec nos équipes, sociologues, anthropologues, économistes, éducateurs-soignants, etc. peuvent contribuer à améliorer le processus d'innovation. Il s'agit par exemple de mettre en place des programmes d’éducation thérapeutique afin que les patients développent des compétences dans la maîtrise des effets secondaires des nouvelles thérapies ciblées orales ; de mieux considérer le rapport coût/bénéfice d'un essai clinique pour les patients ; de réfléchir à des indicateurs d'évolution de la santé intégrant davantage les préférences des patients… Seule une approche pluridisciplinaire parviendra à remettre le patient au cœur des dispositifs de soins et de recherche.

Le Centre Léon Bérard : soins, recherche et enseignement en cancérologie

Le Centre Léon Bérard a près de 90 ans d'existence. Son créateur, le Professeur Léon Bérard, l'un des pionniers de la chirurugie thoracique et de la lutte contre le cancer en France, a inauguré le 10 novembre 1923, sous le grand dôme de l'hôpital de l'Hôtel Dieu de Lyon, le 2e centre de lutte contre le cancer de l'hexagone (60 lits). En 1935, le centre s'installe à l'hôpital Edouard Herriot pour déménager en 1958 sur le site actuel.

Le Centre Léon Bérard (CLB) est aujourd'hui le centre de lutte contre le cancer de Lyon et de Rhône-Alpes. Il existe 20 centres de ce type en France, formant le groupe Unicancer. Le CLB est un établissement de soins privé d'intérêt collectif. Basé à Lyon, il accueille principalement des patients du Rhône (47%), des autres départements de la région Rhône-Alpes et de la Saône et Loire (44%), mais aussi des patients venant du reste de la France (8%) et de l'étranger (1%). En 2011, plus de 25 000 patients ont été suivis au Centre Léon Bérard. Pour plus de 5500 d'entre eux, il s'agissait de nouvelles tumeurs malignes diagnostiquées. La vocation du centre est d'offrir une prise en charge de qualité aux patients. Celle-ci se veut résolument interdisciplinaire et comprend le diagnostic, les traitements, les soins, la réinsertion de la personne malade, le dépistage et la prévention, ainsi que l'innovation avec des équipes qui se consacrent à la recherche fondamentale, de transfert et clinique.

La recherche sur le cancer du Centre Léon Bérard repose sur deux structures. Le Centre de recherche en Cancérologie de Lyon, dont les tutelles sont l'Inserm, le CNRS, l'Université de Lyon et le Centre Léon Bérard avec pour partenaire hospitalier les Hospices Civils de Lyon, regroupe 17 équipes. Le Pôle des Sciences Cliniques rassemble la recherche de transfert et la recherche clinique du Centre Léon Bérard, tant dans les domaines du diagnostic moléculaire, des thérapeutiques innovantes et des activités de recherche clinique, ainsi qu'un recherche sur les risques environnementaux, en économie de la santé et en sciences sociales.
(source : www.centreleonberard.fr)

Recherche fondamentale, recherche de transfert et recherche clinique : 3 maillons essentiels

"La recherche fondamentale est une activité d’exploration qui a pour but de mieux comprendre notre monde. Sa première finalité est l’accroissement du savoir et sa communication à l’ensemble de la société".
"Les objectifs de la recherche clinique sont avant tout l’amélioration de la connaissance d'une maladie et le développement de nouvelles stratégies diagnostiques et thérapeutiques. [...] Les évaluations cliniques, ou essais cliniques permettent de vérifier l’efficacité et l’innocuité d'un nouveau traitement et de le comparer aux traitements déjà existants. En effet, bien qu'ayant les effets désirés en laboratoire, ce nouveau traitement ne pourra être validé par les autorités sanitaires et proposé aux patients concernés qu'après ces vérifications.


Par ailleurs, les essais cliniques permettent aussi de définir pour quelles populations de patients un nouveau traitement est le plus efficace. Ils permettent enfin de mieux comprendre les caractéristiques d'une pathologie".
"La recherche de transfert doit assurer le continuum entre une recherche fondamentale, essentielle à tout progrès, et une recherche clinique se préoccupant du patient, en développant les applications médicales des connaissances les plus récentes".
(source : www.arc-cancer.net)