Vous êtes ici :

LyonBiopôle : ses moyens et ses objectifs

Interview de Philippe ARCHINARD

<< Il n’y a pas de miracle, les inventions se font dans les laboratoires universitaires. Les entreprises n’inventent pas. Elles savent transformer une invention en produit innovant et lui apporter de la valeur ajoutée, mais... >>.

Entretien réalisé le 9 octobre 2007 par Laure Bornarel.

"Il n’y a pas de miracle, les inventions se font dans les laboratoires universitaires. Les entreprises n’inventent pas. Elles savent transformer une invention en produit innovant et lui apporter de la valeur ajoutée, mais elles n’inventent pas."..."si l'on veut créer plus de leadership demain, il est fondamental que l'enseignement et la recherche académique soient au plus haut niveau, qu'ils se préoccupent fortement de valorisation et embrassent des partenariats avec le privé...."

Réalisée par :

Tag(s) :

Date : 08/10/2007

Pourriez-vous définir ce qu’est un pôle de compétitivité, ses moyens et objectifs ?

Les pôles de compétitivité sont une initiative de l’Etat qui date de fin 2004, début 2005. Le but était d’identifier sur le territoire des agglomérations susceptibles d’atteindre une masse critique sur une thématique donnée, de manière à pouvoir les propulser leaders nationaux et/ou mondiaux. C’est une politique de développement économique qui passe par l’attribution de moyens importants pour financer l’innovation. Les pôles sont à l’interface du public et du privé. Un de leurs objectifs est de monter des projets collaboratifs de R&D mixtes. Sous l’impulsion du Dr Christophe Mérieux, Lyonbiopôle s’est articulé autour de l’infectiologie, alors que la plupart des pôles de santé ont habituellement un spectre assez large. C’est ce qui a contribué à faire la différence et lui a permis de se voir décerner la labellisation de « centre d’excellence mondial en diagnostic et vaccin  ». Sur 71 pôles en France, seuls 6 sont qualifiés de « centres mondiaux » et seuls 2 le sont dans le domaine de la santé, l’autre étant Medicen, à Paris.

 
Quels autres atouts avions-nous ?

En fait, Lyonbiopôle regroupe la candidature de Grenoble et Lyon, soit respectivement des micro et nanotechnologies et de la biologie industrielle. L’ambition est d’apporter une réponse aux questions de santé publique soulevées par les agents infectieux en développant des produits, procédés et services qui vont, dans le même temps, ancrer davantage les grands groupes et les PME sur le territoire. Lyon est le berceau de la biologie industrielle. En termes d’effectifs, nous capitalisons Sanofi Pasteur, n°1 du vaccin humain ; Mérial, n°1 des produits vétérinaires ; bioMérieux, n°1 mondial du diagnostic bactériologique et BD, leader mondial du médical et du diagnostic. C’est cette force de frappe qui a été mise en avant, sachant que les compétences et capacités régionales vont bien au-delà grâce à la densité du tissu des PME (Opi, Protein’eXpert, Genzyme, Transgene, Flamel Technologies, genOway…) et à l’existence d’infrastructures clefs comme le P4 « Jean Mérieux ». C’est l’articulation des grands groupes, des PME et de la recherche académique qui est attendue.

 

Quel rôle ont joué les collectivités territoriales ?

Le Grand Lyon s’est fortement impliqué, tout spécialement en la personne de Gérard Collomb. Il est rare d’avoir eu une telle union sacrée des financeurs et des acteurs. Nous avons travaillé en très bonne intelligence et en totale transparence. Aujourd’hui, le pilotage est très clairement industriel : contrairement à d’autres pôles, grands groupes et PME ont la majorité au sein du conseil d’administration. Ce, avec l’accord de l’Etat, du Grand Lyon, de la Région et du Conseil Général, financeurs et « invités permanents » de Lyonbiopôle. Concrètement, nous sommes une petite association financée par l’Etat, les collectivités territoriales et les cotisations des membres. Ce budget de fonctionnement assure les salaires des permanents et quelques actions de communication dans les congrès. La mission du pôle de compétitivité est, entre autres, de travailler avec les partenaires académiques et industriels de la région pour faire émerger des projets collaboratifs de R&D. Lyonbiopôle va instruire les dossiers, les enrichir, les soumettre à l’avis de son groupe d’experts techniques, et, selon, les faire labelliser ou non par son conseil d’administration. Si le projet reçoit la labellisation, il est ensuite remonté à l’un des guichets de financement de l’Etat où il sera soumis à une seconde vague d’instruction avant de se voir accorder ou non un soutien :
- l’Agence Nationale de la Recherche (ANR),
- le programme RIB de l’ANR, qui soutient des projets académiques et privés,
- le Fond de Compétitivité des Entreprises, via la DGE, très largement doté dès le départ.
Lyonbiopôle ne finance donc pas directement les projets mais joue un rôle de catalyseur dans les décisions d’allocation de fonds publics. Les collectivités locales en soutiennent certains directement, il y a une répartition des sommes. Si l’on tire un bilan de notre activité depuis ses débuts, nous avons labellisé 36 projets, mobilisé 120 millions d’investissements via les partenaires industriels, impliqué 400 chercheurs et obtenu 41 millions d’aide publique. C’est tout à fait conséquent. En moyenne, les projets de recherche sont financés pour 1/3 par les pouvoirs publics. Ceci représente une motivation non négligeable pour les entreprises !

 

La vocation de Lyonbiopôle s’arrête-t-elle à la labellisation de projets de R&D ?

Au bout de 3 ans de fonctionnement, nous allons être évalués par l’Etat sur une série de critères comme l’ancrage territorial des groupes, le développement économique mesurable par la création du nombre d’emplois, l’implication dans la formation… Lyon, centre mondial en diagnostic et vaccin, qu’est-ce que cela veut dire à 5 ou 10 ans au niveau des filières locales d’enseignement supérieur ? Seront-elles en mesure de former des professionnels dont les profils répondront aux attentes des industriels de la région ? Il y a un travail d’harmonisation à faire avec les grandes écoles et les universités. Rhône-Alpes a eu la chance d’obtenir la sélection d’un RTRA1  en «  Innovations thérapeutiques en infectiologie ». C’est l’amont de Lyonbiopôle qui se structure ! Cela témoigne d’un choix de l’Etat de concentrer ses moyens sur moins de cibles territoriales mais de s’assurer que celles qui se démarquent deviennent des leaders mondiaux. La création des pôles de compétitivité, les RTRA, les RTRS2 , la réforme des universités, du crédit d’impôt… Tout cela participe d’une volonté de mieux financer l’innovation et de valoriser l’excellence.
 
La région est-elle réellement « le  » site mondial en matière de vaccin ?

Oui, c’est un peu comme les banques, elles sont toujours premières quelque part… Historiquement, le secteur du vaccin s’est développé en Europe. Celle-ci détient toujours les 2/3 de la force mondiale en recherche et production, même si cette prééminence n’est pas acquise et qu’il faut se battre pour conserver le leadership. Disons que si Lyon n’est pas la capitale mondiale du vaccin, elle en est le berceau historique et reste l’une des principales places fortes au monde en matière de recherche et bioproduction, l’autre creuset en Europe étant la région de Bruxelles. Donc ce n’est pas faux…

 

Quels sont vos objectifs à moyen terme ?

Poursuivre la dynamique de valeur ajoutée enclenchée auprès des partenaires du territoire, notamment auprès des PME. C’est des PME que l’on attend la relance de la croissance et des embauches. Nous offrons une série de services comme l’information, l’aide au montage de projets nationaux ou européens, la mise en place d’une chaîne de financements… Au-delà, Lyonbiopôle doit enclencher des actions au niveau international. L’institution est jeune, nous avons bien travaillé au montage de projets intra régionaux, il est temps de passer aux grands projets interrégionaux et internationaux. Il y a un fort attachement des collectivités locales à renforcer l’Eurobiocluster Sud, de la Catalogne jusqu’au Bad Wurtemberg. C’est l’une de nos priorités mais elle est non restrictive. En étant positionné sur la thématique des maladies infectieuses, il est important d’être en étroite collaboration avec les pays où les pathologies émergent, comme l’Inde, le Brésil ou la Chine. Nous sommes également là dans une logique de soutien à leur développement. Enfin, Israël, le Canada, les Etats-Unis et l’Union Européenne sont des partenaires naturels parce qu’à la pointe en matière de recherche et production.

 

Parvenez-vous à travailler de concert avec les plateformes d’animation régionales en santé et biotechs comme le CLARA3, l’ARTEB ou d’autres ?

Cela fait partie de nos chantiers à venir. C’est vrai que si l’on prend la casquette des pouvoirs publics, ils financent beaucoup de structures… Si nous, nous ne nous posons pas la question de l’efficience du système, eux vont se la poser ! Il est possible de s’interroger sur les redondances entre Lyonbiopôle, l’ARTEB ou l’ADEBAG, même si ces derniers s’adressent à un cœur de cible plus large, les PME du domaine de la santé. Pour notre part, nous cumulons à peine deux ans d’existence, et il a fallu apprendre en marchant, s’inventer, trouver des locaux, etc. Nous avons déjà réalisé énormément de choses. Ce qui n’empêche pas l’étendue de ce qui reste à faire d’être considérable ! De premiers projets ont été développés avec le CLARA, mais ce n’est pas encore au niveau de ce que cela devrait être. Nous sommes loin du potentiel des synergies possibles. Notre plan stratégique à 5 ou 10 ans des métiers, des technologies, des thématiques à développer doit être croisé avec l’amont de la recherche clinique en oncologie pour être plus efficace. De nombreux points d’interface existent, et il y a une vraie volonté de mieux travailler ensemble. Lyonbiopôle a, par exemple, soutenu la candidature du RTRS5  Cancer, piloté par Gilles Salles, et du RTRS Centaure sur la transplantation, conduit par le Pr. Jean-Michel Dubernard. En infectiologie, nous cherchons à maximaliser un certain type de réponses immunitaires lors de la vaccination ; en transplantation, ils veulent s’assurer de l’absence de réaction immunitaire de l’hôte vis-à-vis du greffon. Les objectifs sont différents, mais les mesures se font avec les mêmes outils. Monter des plateformes communes a donc du sens. Vous voyez, dés qu’on commence à réfléchir comme ça, il y a des opportunités de synergies et de passerelles. Mais il faut donner un peu de temps au temps : les RTRS et les RTRAs sont encore plus récents que nous, ils n’ont que quelques mois d’existence et sont en pleine phase de structuration. 
 
Existe-t-il une démarche de lisibilité commune des excellences lyonnaises à l’international ?

Non, je ne pense pas qu’un organisme centralisé assure cela à Lyon. Si l’on regarde les grands clusters du monde, comme Boston, il y a eu une telle densité d’hôpitaux et d’universités prestigieuses, une telle masse critique qu’à partir d’un certain seuil, Boston est devenue une évidence sur la carte mondiale. Nous travaillons souvent avec l’ADERLY6, peut-être faudrait-il un ADERLY au scope étendu qui vende le territoire non seulement auprès d’investisseurs et d’industriels, mais aussi aux étudiants et aux chercheurs du monde entier en s’appuyant sur nos pôles d’excellence : nous connaissons bien le terrain, ses savoirs faire, les cibles potentielles dans le monde… Nous pourrions aider.

 

Que pensez-vous de l’attractivité actuelle de Lyon ?

Lyon a un déficit de visibilité très clair. En France ou en Europe, cela reste une ville mal connue. La raison ? D’abord, tout bêtement, lorsque les gens traversent Lyon, ils se retrouvent dans les bouchons du tunnel de Fourvière puis passent par le couloir de la chimie ! Ils n’ont pas envie de s’arrêter. Par contre, lorsqu’ils s’arrêtent, ils ne veulent plus repartir ! Lyon a une chance inouïe, il n’y a pas beaucoup de villes qui soient mieux implantées en Europe. Le classement du Vieux Lyon en tant que Patrimoine Mondial de l’Unesco et la stratégie d’embellissement de la ville ont beaucoup fait, mais cela reste insuffisant. Genzyme7  s’est récemment installé dans l’agglomération, mais ils connaissaient déjà Lyon. Si cela n’avait pas été le cas, est-ce qu’ils auraient choisi la région ? Je n’en suis pas sûr. Il nous faut sortir des clichés de la géographie, de la gastronomie… pour continuer de promouvoir notre excellence académique et industrielle. La constitution de Lyonbiopôle a été le fruit de volontés politiques et industrielles.

 

Les universités n’ont-elles pas une part plus importante à prendre dans le processus actuel ?

Nous commençons juste à travailler avec eux via le RTRA . Je pense qu’il y a beaucoup d’améliorations à apporter au niveau des universités elles-mêmes. Le PRES8 est une bonne initiative, un préalable indispensable pour que la France arrête de se pénaliser lors des classements internationaux comme celui de Shanghai. Le projet de réforme de gouvernance de l’université est également très attendu par le milieu industriel. Tant que l’université reste gérée (ou presque) par un groupe de syndicats attaché à l’immobilisme, tant qu’elle ne contrôle pas ses murs, qu’elle n’a pas la possibilité de licencier ou de recruter, en d’autres termes, tant qu’elle n’a pas les moyens de faire le B A BA du management, il est bien sûr possible de dialoguer avec elle, mais elle n’est pas en mesure d’agir. L’industrie est très demandeuse de changements car, il n’y a pas de miracle, les inventions se font dans les laboratoires universitaires. Les entreprises n’inventent pas. Elles savent transformer une invention en produit innovant et lui apporter de la valeur ajoutée, mais elles n’inventent pas. Il n’y aucune exception : parmi tous les clusters qui ont émergé au niveau international, il y a toujours eu au cœur du réacteur des universités prestigieuses, des hôpitaux et des cliniques prestigieuses. Après, il s’agit plus d’une question de capacités à transformer cette excellence scientifique en vraie innovation. Quel est le statut du chercheur ? Est-ce qu’il peut lancer son entreprise ? L’invention va-t-elle tomber dans l’oubli ? Va-t-elle pouvoir être exploitée localement ou bien le sera-t-elle aux Etats-Unis ? Si l’on veut créer plus de leadership demain, il est fondamental que l’enseignement et la recherche académique soient au plus haut niveau, qu’ils se préoccupent fortement de valorisation et embrassent des partenariats avec le privé. Si ce n’est pas le cas, on aura beau faire tout ce que l’on veut au niveau industriel, ça ne fonctionnera pas aussi bien.

 

Pensez-vous que les chercheurs académiques soient prêts à cette évolution ?

La mentalité des chercheurs a beaucoup évolué, par nécessité. Aujourd’hui, un bon chercheur académique a forcément des collaborations avec le privé, sinon il ne serait pas un bon chercheur : il n’aurait tout simplement pas les moyens de faire de la recherche. J’ai un peu l’impression qu’il s’agit juste de mettre les statuts en phase avec la réalité. Les chercheurs proactifs ont déjà fait leur révolution ! Une réforme cohérente est nécessaire, car il faut désormais s’occuper de l’enseignement supérieur et la recherche. Nous sommes très attentifs à ce qui se fait, même si on n’a pas les manettes. C’est d’ailleurs peut-être plus facile de faire cette évolution à Lyon qu’à Paris : ensemble on est fort, seul, on ne l’est pas assez. Il y a de vraies motivations à s’unir. C’est toujours comme ça : si l’on pense que seul on peut réussir ce qu’on pourrait faire avec d’autres, on ne s’associe jamais. Ce n’est que lorsqu’on est certain de ne pas pouvoir y arriver seul mais qu’il y a une chance de succès en s’associant avec d’autres qu’on franchit le pas. Il faut que l’ambition globale du projet soit telle que chacun soit persuadé que la participation des autres est indispensable. Alors, on trouve que, finalement, l’autre n’est pas si mal et on parvient à discuter avec lui. Ensemble, les choses deviennent réalisables.

 

Lyonbiopôle souhaite travailler avec des universitaires qui travaillent davantage sur projets ?

Nous en avons besoin. La recherche fondamentale est une partie clef du processus de création de valeur. Les chercheurs industriels partent de cette base préexistante qu’ils enrichissent. Ils en font un produit adapté à des marchés. Ce sont des métiers différents qui sont aussi nobles l’un que l’autre, il faut simplement les deux. En ce qui concerne le financement de la recherche par projet et non par structure, il suffit de regarder à l’international : c’est dans les pays élitistes et dirigistes qui ont opté pour ce mode que l’on trouve le plus de résultats. Brevets, innovations, qualité scientifique et prix Nobel vont de pair. Quand on est excellent, qu’on est entouré d’une super équipe, qu’on dispose de moyens, alors on invente et on est au top de la science ! Ce serait une bonne chose qu’un certain nombre d’équipes académiques se créent et se développent en lien avec les RTRA et RTRS sur des projets labellisés : embaucher un post-doc pour faire une thèse dans un domaine, en espérant qu’il devienne professeur et recrute à son tour des thésards demain, voilà la création d’une bonne dynamique ! Il devrait être possible d’être plus proactif sur les filières d’enseignement, en créant des ponts avec les industriels. Tout cela participerait à la renommée de Lyon, et il y aurait des débouchés en termes d’emplois ! Cela fait partie des travaux futurs, nous n’y sommes pas encore. Mais la volonté des parties existe. Je suis très optimiste pour la place des Sciences de la Vie dans les années à venir, ici en Rhône-Alpes, et plus largement en France.

 

1 Réseau Thématique de Recherche Avancée (projet scientifique public d’envergure internationale)
2  Réseau Thématique de Recherche et de Soins, vise à développer des interactions fortes entre la recherche fondamentale et la recherche clinique
3 Cancéropôle Lyon Auvergne Rhône-Alpes ;
4 Agence Rhône-Alpes pour le développement des Technologies médicales et des Biotechnologies
5 Réseau Thématique de Recherche et de Soins, vise à développer des interactions fortes entre la recherche fondamentale et la recherche clinique
6  Agence pour le Développement Economique de la Région Lyonnaise (ADERLY)
7  Genzyme, leader mondial (américain) des biotechnologies. 
8  Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur lyonnais, établissement public qui représente 12 établissements et 90 000 étudiants, créé par décret en date du 21 mars 2007