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Politique de l'habitat et mixité sociale

Interview de Michel ROUGE

<< Les inégalités se creusent entre l’est populaire et l’ouest résidentiel >>.

Michel Rouge, chef de la Mission Habitat de la Communauté Urbain de Lyon, répond ici à des questions portant sur  :
- la mixité sociale lyonnaise
- la politique de l’habitat 
- la prise en compte des origines des populations pour rééquilibrer  les peuplements dans les quartiers

Propos recueillis pour le Cahier Millénaire3 n° 28 (2002), p 44

Réalisée par :

Date : 14/05/2002

Le concept de mixité sociale, qui consiste à organiser un équilibre des populations selon de multiples critères socio-économiques, reste-t-il pertinent aujourd'hui ?

Oui, mais il faut comprendre que la mixité sociale est un phénomène dynamique. Elle est réussie quand n'importe qui peut venir demander un logement où il veut. La mixité est rompue quand massivement des gens ne peuvent pas habiter dans les quartiers où ils veulent habiter, et que des gens refusent d'aller dans certains quartiers. Les quatre quartiers GPV (Grand Projet de Ville ) de l'agglomération et ceux de la Politique de la Ville sont des lieux de mixité réduite.

 

Quelles sont les marges de manœuvre d'une politique de l'habitat dans une agglomération comme celle de Lyon ?

Votre question renvoie à celle des leviers sur lesquels les politiques publiques peuvent agir pour faire évoluer le cours des choses. Ainsi, au niveau macro-économique, on est dans un moment du développement économique mondial qui renforce les inégalités dans tous les pays. À Lyon, le creusement des inégalités entre l'Ouest résidentiel et l'Est populaire est directement lié au phénomène de globalisation de l'économie en général , qui suscite augmentation du chômage, privatisation rentabilisation de l'habitat privé, précarisation des gens, etc. Un levier efficace se situerait donc au niveau d’une gouvernance mondiale. Mais, bien sûr, il ne peut être question d'attendre que nous en soyons là pour agir, d’autant qu’il existe des leviers à disposition de la puissance publique locale. Aussi la question est de savoir quelle politique mener au niveau local dans ce contexte : si l'on ne facilite pas le développement économique, les entreprises et les capitaux vont ailleurs. Mais cette action n'est pas suffisante. En accompagnement, il faut une politique forte de réduction des inégalités , qu i passe actuellement par la Politique de la Ville, par la Politique de l'Habitat. Vraisemblablement les moyens mis en œuvre jusqu’ici ne sont pas totalement à la hauteur de l'enjeu. Tant que l'on n'a pas pris conscience de ces phénomènes, on ne pourra les contrer avec les moyens qu'il faut. Mais la collectivité peut-elle prononcer un arbitrage à cette hauteur ? Rien n’est moins sûr.

 

Considérez-vous que la prise en compte de la nationalité et a fortiori de l'origine des populations, dans le cadre des politiques de peuplement, pourrait permettre de rééquilibrer les peuplements et de lutter contre les discriminations ?

On est assez opposé à des statistiques sur les populations d ' origine étrangère . Les inconvénients seraient plus importants que les avantages. Et que signifie le fait de placer un jeune Français dans une catégorie qui n'est pas tout à fait "française" ? Mais il faut rappeler le contexte lyonnais. En 1993, un Secrétaire d'État a inventé les Plans d'Occupation du Patrimoine Social (POPS). En vertu d'une sorte de discrimination positive, il fallait afficher, en fonction de catégories de population et de pourcentages, les gens que l'on voulait faire venir dans le logement social. Dans l'agglomération lyonnaise, on n'a jamais voulu entrer dans un POPS, car on avait vécu des expériences malheureuses dans les années précédentes. Un préfet avait pour sa part voulu fixer un plancher de 20 % d'accès au logement social pour les populations étrangères ; or, la plupart des organismes HLM et des communes avaient pris ce plancher pour un plafond. Sur l'agglomération, nous essayons de travailler sur les dossiers que l'on nous présente. Nous travaillons à faire reculer dans l'esprit des décideurs le rattachement d'un dossier à une “catégorie à risque” (jeune, étranger, chômeur, etc.). Nous voudrions aller vers des décisions fondées sur l'analyse individuelle de chaque dossier, en essayant de l'objectiver au maximum. Cela nécessite que l'acte d'attribution soit mené à plusieurs et que, en cas d'erreur, on puisse collectivement revenir sur un dossier et  proposer un relogement mieux adapté.