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La question de la mixité par un bailleur social : l'exemple d'Alliade Habitat

Interview de Patrice TILLET

Président d'ABC HLM du Rhône

<< Il me semble primordial de prendre en compte les souhaits des personnes. Notre rôle est de faciliter la mixité, pas de l’imposer >>.

Propos recueillis par Catherine Panassier, le 15 mars 2012

Interview réalisée dans le cadre de la démarche « Grand Lyon Vision Solidaire » sur le thème « Politique d’habitat et mixité sociale ».

Diplômé d’un DEA de droit social et après avoir été chargé de mission au cabinet du Maire de Lyon pendant trois ans, attaché de direction d’une Entreprise Sociale de l'Habitat (ESH) dans le Rhône pendant huit ans, puis six ans Directeur Adjoint d’une autre ESH à Echirolles en Isère, Patrice Tillet dirige depuis 2007 Alliade Habitat.
Première ESH en Rhône-Alpes, premier bailleur social dans l’agglomération lyonnaise, Alliade Habitat gère un vaste parc immobilier de 32 000 logements sociaux répartis dans 79 communes de Rhône-Alpes, dont 25 600 dans l’agglomération lyonnaise. Alliade Habitat développe une politique active pour entretenir et développer son patrimoine et ainsi répondre à une demande croissante. Alliade Habitat s’inscrit fortement dans la dynamique de renouvellement urbain et contribue à la politique de mixité résidentielle conduite par les pouvoirs publics et notamment par le Grand Lyon. Enfin, Alliade Habitat est la principale filiale HLM du groupe AMALLIA Action logement.

Face aux effets négatifs de la concentration de populations en difficulté dans certains territoires de la ville et aux tendances au repli (communautaire, entre-soi) qui peuvent conduire à un délitement de la société, les pouvoirs publics ont développé des politiques qui facilitent la mixité dans l'habitat notamment à travers la loi SRU et la Politique de la Ville (ANRU). Dans l'agglomération lyonnaise, cet objectif constitue l'axe majeur des documents de planification (SCOT, PLU, PLH...) et il a été renforcé par la mise en œuvre des SMS - Secteurs de Mixité Sociale (obligation de réaliser 20% de logements sociaux dans chaque programme privé). Et la mixité demeure l’objectif principal des opérations de renouvellement urbain.

Comment les bailleurs sociaux abordent-ils la question de la mixité ? Quelle politique Alliade Habitat met en œuvre pour favoriser la mixité sociale dans les immeubles et dans les quartiers ?
La mixité résidentielle produit-elle systématiquement de la mixité sociale ?

C’est à cet ensemble de questions que Patrice Tillet apporte un éclairage dans cette interview.

Réalisée par :

Date : 15/03/2012

Quels sont les critères qu’au sein d’Alliade Habitat vous avez retenus pour définir et mettre en œuvre la mixité à l’échelle de l’agglomération ?

Nous avons inscrit cet objectif de mixité dans nos axes stratégiques d’action qui sont de développer une offre de logements diversifiée favorisant les mixités  (600 logements par an) ; de dynamiser le parcours résidentiel de nos locataires au sein des différentes solutions logements du groupe AMALLIA ; et d’être une entreprise socialement responsable notamment en assurant la promotion de l’équilibre social des territoires et l’accès au logement pour tous. Chaque jour, nous travaillons à la mise en œuvre de ces objectifs.

En terme de construction, nous répondons à la commande politique de construire du logement intermédiaire (PLI ou PLS) à la Duchère ou à Vaulx-en-Velin, même si cela peut s’avérer difficile. Autre exemple, nous avions la possibilité de construire quatre immeubles de logements sociaux sur le plateau des Minguettes, mais nous avons préféré laisser la possibilité à un bailleur privé d’en construire la moitié afin d’offrir une diversité d’habitat. A l’inverse, nous construisons des logements plus sociaux (PLUS et PLAI) dans l’Ouest, à Craponne, Charbonnières les Bains, Saint Didier au Mont d’Or. Nous participons ainsi par nos actes au rééquilibrage spatial du logement dans le Grand Lyon. Ce n’est pas toujours facile. Par exemple, il nous a fallu convaincre des locataires d’une de nos résidences qui s’opposaient à la construction d’un petit immeuble à côté de chez eux ! Mais les idées reçues sur les HLM restent vivaces et il est difficile de faire changer le regard sur le logement social. Les recours contre nos projets existent, c’est une réalité ! Par la promotion du parcours résidentiel nous privilégions aussi la diversité en développant des programmes d’accession sociale dans des programmes neufs, mais aussi dans le parc ancien.

On appelle cela la « vente HLM » : un oxymore pour certains ! En effet, la sacralisation du logement social porte à croire qu’il ne pourrait pas être vendu car il serait un bien public. Or, lorsqu’il est vendu à un locataire du logement social, et d’autant plus au locataire qui l’occupe, il s’agit bien pour l’acquéreur d’une opportunité d’accession à la propriété dans les conditions permises dans le parc ancien qui reste plus  abordable. Aujourd’hui certains pensent que l’accession sociale à la propriété devrait être limitée aux programmes neufs, mais celle-ci est plus coûteuse de 30% à 40 % ! De plus, cet accès à la propriété est ainsi plus serein et sécurisé par l’accédant qui est accompagné par le bailleur.

Au delà de la construction et de la promotion des parcours résidentiels, nous favorisons également la diversité dans nos immeubles en créant des logements adaptés aux séniors, ou réservés à des personnes en situation de handicap, ou encore dédiés à des jeunes en colocation.

 

En tant que bailleur social, qu’est-ce que signifie pour vous le terme de mixité dans la ville ?

Lorsque l’on évoque la ville, on se réfère à la ville latine, la ville où se croisent les populations, où se font les échanges. Aussi, lorsque l’on évoque la mixité dans la ville, et sans que cela soit réellement explicité, on fonde notre raisonnement sur le postulat, largement partagé en France, que la cohésion sociale ne peut être harmonieuse que si les gens vivent ensemble dans leur différence. Cependant, dans la mise en œuvre des politiques d’habitat et de mixité dans la ville, cette différence se résume principalement à une expression économique, au niveau des revenus. Or, à mon sens, cette approche est profondément réductrice. Pour moi, la mixité n’a du sens que si elle produit de la diversité entendue dans une acception très large. La mixité est plus un moyen qu’un objectif. La mixité ne peut se suffire à elle-même, elle n’est pas une finalité, en revanche elle est pertinente lorsqu’elle va produire de la cohésion sociale. Produit-on réellement de la mixité lorsque l’on réalise dans un immeuble un tiers de logements PLS, un tiers de logements PLUS et un tiers de logements PLAI puisque cette répartition se fait exclusivement à travers le prisme des ressources des ménages ? N’est-ce pas se mentir à soi-même comme à l’opinion que de dire que l’on fait ainsi de la mixité sociale ? La réalité est que souvent ces logements sont attribués à des ménages relevant peu ou prou des mêmes niveaux de ressources (80% des attributions d’Alliade Habitat sont au bénéfice de ménages disposant de ressources inférieures à 60% des plafonds de ressources réglementaires pour avoir droit au logement social). A une échelle plus large que l’immeuble - quartier, commune, secteur de l’agglomération - il est incontestablement pertinent de rééquilibrer la place du logement social en allégeant certains secteurs déjà fortement pourvus et en renforçant sa présence sur d’autres.

Employer le terme de diversité permet, me semble-t-il, d’aborder autrement et plus largement la notion de mixité. La composition des ménages, l’âge, l’origine, la santé, les modes de vie, ou encore le rapport à l’emploi ou à la citoyenneté, sont autant d’éléments d’appréciation des situations individuelles.
Par exemple, il peut être important de vivre la cohabitation des générations, des origines, des modes de vie, des situations relatives à l’emploi… Ainsi par exemple, réserver quelques logements dans un immeuble pour des personnes handicapées, des jeunes en colocation, ou des personnes âgées participe aussi pleinement de la mixité. Ne réduisons pas la mixité sociale aux seuls critères des ressources, qui en vérité ne nous dit pas grand-chose sur le ménage !

 

Comment traduisez-vous cet enjeu de mixité dans vos politiques d’attribution des logements ?

Aujourd’hui les critères de la diversité que je viens d’évoquer ne rentrent pas, ou trop peu, en ligne de compte dans l’attribution des logements. Nous sommes dans un paradoxe profond. D’un côté, l’Etat et les collectivités nous demandent de créer de la mixité, et d’un autre, la loi nous dénie la possibilité de la mettre en œuvre. Nous sommes contraints d’aborder la mixité exclusivement à travers les ressources des ménages, nous l’avons déjà dit. Il nous est difficile, légalement, d’utiliser d’autres critères dans l’attribution des logements. De fait, aujourd’hui, nous avons peu d’outils pour définir les critères d’analyses individuelles. Certains bailleurs ont élaboré des chartes d’attribution, mais elles s’avèrent extrêmement difficiles à concrétiser. Au regard de la loi, elles vont souvent trop loin dans la connaissance des ménages. De plus, pour la plupart, les bailleurs ne disposent de « marge d’attribution » qu’à hauteur de 20% des attributions, l’essentiel de ces dernières relevant des « réservataires », l’Etat, les collectivités ou encore Action Logement (ex 1% logement). Comment réaliser une politique raisonnée d’attribution des logements en faveur de l’expression de la diversité dans ce contexte ?

Enfin, attribuer, c’est discriminer. C’est évident, mais discriminer c’est aussi donner une chance. Et, c’est lorsque les attributions s’additionnent que se créé du collectif, peut être de la mixité, n’est-ce pas alors une somme de discriminations ? Je l’avoue, cette expression est politiquement incorrecte !

 

La priorité accordée aux revenus dans les critères d’attribution ne résulte-t-elle pas de la grande difficulté financière que rencontre aujourd’hui un nombre grandissant de ménages pour se loger ?

C’est certain, l’importance de la tension sur le logement social réduit  sensiblement les possibilités de mener de véritables politiques d’attribution dans un objectif de diversité. D’une part, l’urgence à loger des ménages en situation de mal logement, en sur occupation importante, hébergés ou en foyer, se conjugue difficilement avec une politique d’attribution. D’autre part, la précarité de l’emploi contraint des personnes qui auraient pu se loger en dehors du parc social, ou du moins  en partir, à y venir ou à y rester.

Par ailleurs, les processus d’attribution sont particulièrement complexes avec le relogement opérationnel (obligation de reloger en priorité les ménages des immeubles voués à la démolition dans le cadre des opérations de renouvellement urbain), l’affectation des logements pour le DALO, l’accord collectif départemental d’attributions qui nous conduit à réserver des logements notamment pour les sortants de CHRS (centre d’hébergement et de réinsertion sociale), et le jeu des réservations de l’Etat, des collectivités territoriales et locales et Action-Logement en contrepartie de leurs participations financières ou de leurs garanties d’emprunt. 60% des 2 800 attributions réalisées en 2011 par Alliade Habitat l’ont été sur présentation d’un candidat au logement par un réservataire. Pour certains organismes HLM cette part est de 80%.

Pensez-vous que les bailleurs peuvent pratiquer une politique d’attribution véritable en ne disposant d’une marge de manoeuvre que sur 20% à 40% des attributions ?
Il faut être lucide, cette complexité est incompatible avec une politique d’attribution maîtrisée dans le sens de la production de mixité.

 

Dans un tel contexte, que pourrait-on envisager pour progresser vers une plus grande mixité ?

L’un des premiers axes qui me semble tout à fait central pour progresser dans la mise en œuvre de politiques de mixité est de donner les bons outils aux bailleurs sociaux. A ce jour, ils n’ont pas les moyens d’agir. L’Etat a bien délégué l’aide à la pierre à certains EPCI comme le Grand Lyon, pourquoi ne déléguerait-il pas la gestion des contingents réservés et donc les attributions aux bailleurs ?
Et, cette délégation de compétence pourrait être applicable également à d’autres réservataires publics.  

L’Etat ne veut pas se résoudre à nous faire confiance sur cette question alors que les professionnels de l’attribution sont les bailleurs. Le code de la construction de l’habitation est clair sur ce point : la commission d’attribution des logements est un dispositif qui relève du bailleur. L’attribution est un processus qui doit mettre en adéquation une demande de logement et une disponibilité de logement. Notre mission doit être de prioriser les demandeurs sur des critères partagés, et de proposer un logement adapté tant au regard de la demande que d’une politique de mixité sociale. Seul le bailleur peut avoir une connaissance fine de son patrimoine, de ses forces et de ses faiblesses, de la composition sociologique de son parc. Cette connaissance n’est peut être pas parfaite, mais qui d’autre que le bailleur dispose d’autant d’informations objectives au service d’une diversité dans l’habitat ?

A l’échelle d’un territoire comme celui du Grand Lyon et à travers une convention, l’ensemble des bailleurs sociaux peut tout à fait s’engager sur des principes et des objectifs et, bien sûr, rendre des comptes avec un contrôle à posteriori. La base d’un contrat d’objectif reposerait sur la confiance réciproque et sur la reconnaissance de la contribution sociale des organismes HLM. N’oublions pas que la réussite des politiques d’attribution est aussi l’intérêt des bailleurs sociaux ! Ce sont eux qui gèrent les conséquences des attributions.
D’autant que la part du logement social dans la ville voulue par la loi SRU n’est que de 20%. Il faut en effet bien avoir conscience qu’il est bien difficile de créer de la mixité sociale dans la ville et l’agglomération en agissant sur un si faible pourcentage de logements. On fait porter une responsabilité aux bailleurs sociaux qu’ils ne peuvent peut-être pas tenir. Il apparaît ainsi d’autant plus nécessaire de donner aux bailleurs les moyens d’agir le plus efficacement et peut-être de mieux travailler avec les acteurs du parc privé.

 

Quels enseignements de production de mixité sociale peut-on retenir des premières opérations conduites dans le cadre des opérations de renouvellement urbain ou de mise en œuvre des SMS (20% de logements sociaux dans les programmes neufs privés) ?

La mixité est un sujet sensible. Il est plus facile de construire ou de réhabiliter que de définir une politique de diversité dans l’habitat et de la traduire dans les processus  d’attribution. On est face à la complexité des relations humaines. Et, force est de constater qu’au delà des idées reçues, les modes de vie diffèrent et leur confrontation n’est pas toujours compatible avec l’idée que l’on peut se faire de la mixité. Par ailleurs, les volontés d’entre-soi, ou de s’élever en se distinguant sont grandes. J’ai à l’esprit l’exemple de réactions des riverains d’un petit immeuble que nous avons construit à Vaulx-en-Velin. Ces derniers, issus de l’immigration, ayant vécu la majorité de leur vie active dans du logement social, et désormais propriétaires d’une petite maison, ont eu l’impression d’être à nouveau « déclassés » par la construction d’un immeuble de logement social à côté de leur pavillon. Je pense à un autre exemple où un ménage a du faire de gros efforts et prendre des risques pour accéder à la propriété et qui par le jeu des VEFA dans le cadre des SMS se retrouve voisin du bénéficiaire d’un logement social. Il peut ressentir cette situation comme une injustice. Ces ressentis ont de l’importance et il nous faut les entendre. Nous avons encore très peu de retours sur ce que produit la mise en œuvre des SMS, mais de mon point de vue, il nous faudra être attentifs, progresser et affiner nos modalités d’attributions et de gestion.Il me semble primordial de prendre en compte les souhaits des personnes. Notre rôle est de faciliter la mixité, pas de l’imposer. On ne peut pas forcer les gens à vivre dans une injonction de mixité sociale. Autant il faut faciliter la mobilité des ménages qui demandent à muter, autant il faut entendre les volontés de rester dans son logement ou dans son quartier, et de certaines formes d’entre-soi à de petites échelles. Interrogés pour savoir s’ils préféraient rester ou quitter leur quartier, les habitants du Mas du taureau à Vaulx-en-Velin ont majoritairement exprimé le souhait de rester. Nombre de professionnels de l’habitat ou de la Politique de la Ville ont alors pensé que ce choix s’expliquait par la crainte qu’ils avaient d’aller ailleurs. Je reste persuadé que c’est un discours technocratique, celui de ceux qui pensent faire le bonheur des gens et qui ne peuvent pas comprendre, ni même entendre, ce désir de vivre dans un quartier populaire. Ils pensent qu’il faut forcer l’intégration, normaliser les quartiers, mais par rapport à quelle norme ?  Dans les quartiers d’habitat très social, dans les ZUS, la durée de bail est très importante. Et, si la mobilité est faible ce n’est pas seulement parce que les gens n’ont pas les moyens d’aller vivre ailleurs ou qu’ils en ont peur. Nombre d’habitants sont satisfaits de vivre dans un quartier populaire. Nous devons entendre cette réalité sans la juger. Il faut admettre l’existence et le rôle des quartiers populaires. Pourquoi penser que ces populations sont toutes « assignées à résidence » dans leur quartier ? Peut être parce que ceux qui pensent cela ne voudraient pas y vivre et donc ne comprennent pas que d’autres le souhaitent.

L’enjeu de mixité est essentiel, mais nous ne pouvons le considérer comme un impératif catégorique pour tous immeubles ou tous quartiers. Je suis persuadé que les quartiers populaires ont un rôle à jouer dans les grandes villes, les agglomérations ou les métropoles. L’enjeu de mixité est à appréhender à cette échelle. N’est-ce pas lorsque l’on réduit l’angle d’approche que l’on rentre dans l’illusion ?
Dans le Grand Lyon, cet enjeu porte avant tout sur un rééquilibrage entre l’Est et l’Ouest de l’agglomération. Le président et les élus de la Communauté urbaine ont inscrit cet objectif dans les politiques publiques d’urbanisme, d’habitat et de la Politique de la Ville pour lesquelles nous sommes des partenaires actifs et convaincus, mais également vigilants.