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Métiers du prendre soin et du lien : Les facteurs d’engagement

Attractivité des métiers du prendre soin et du lien

Étude

Ce qui ressort lorsque l’on écoute la parole de jeunes professionnelles ou de futures diplômées des métiers de l’aide à la personne auprès du grand âge et du handicap, c’est l’intrication des facteurs d’engagement, appartenant à des registres très différents : facteurs rationnels et instrumentaux, psychologiques liés à une histoire personnelle et sociale, et même « politiques » avec les valeurs mobilisées pour s’engager ou se maintenir dans le métier.

Ces facteurs dialoguent les uns les autres pour créer, de manière singulière, une alchimie de l’engagement dans le métier propre à chaque personne.

Ainsi, même si l’entrée dans le métier se fait parfois parce que l’on n’a guère d’autre choix (du fait du manque de diplôme par exemple), les facteurs d’engagement mobilisant des valeurs fortes de solidarité et d’humanité sont souvent présents. Il revient alors aux employeurs de trouver la limite au sur-engagement que l’on constate ou que l’on suscite chez les professionnels.

Une enquête conduite par Ariane Le Jeune
Date : 25/03/2024

Retrouvez l'étude complète, à télécharger ici :

 

L'essentiel

 

Certains facteurs d'engagement peuvent être d’ordre « rationnel » et instrumental.

 

Telle la nécessité économique de travailler, mais aussi l’opportunité d’entrer dans un secteur qui recrute, alliée à la connaissances de personnes qui travaillent dans ce secteur et peuvent en favoriser l’accès. La possibilité est offerte grâce à des aides pour suivre une formation et obtenir un diplôme qui procure reconnaissance et valorisation, par opposition souvent à un parcours scolaire qui a pu être interrompu rapidement. L’entrée dans ces métiers et un premier diplôme peuvent permettre ensuite l’accès à un autre métier du secteur via une formation supplémentaire. Alors le métier initial constituerait un passage vers un autre métier souhaité. D’une manière générale, les personnes portent un intérêt à ces métiers de la relation qui peuvent être, dans leur parcours, le prolongement d’autres métiers de contacts ou de relations.

 

L’intérêt pour ces métiers est « naturel » !

 

La réponse à la question « d’où vous vient cet attrait pour les métiers de l’aide à la personne ? » est stupéfiante tant les personnes interrogées ont répondu en cœur : « c’est naturel ! » comme une évidence. Il n’y aurait rien à comprendre là-dessous. Cependant, en analysant le signifiant de ce mot, pour les personnes rencontrées, nous en avons ressorti une analyse riche, polysémique et reprenant des facteurs intimes, subjectifs et en lien avec l’histoire personnelle et sociale des personnes.

Intérêt – Tout d’abord, les personnes éprouvent un réel intérêt pour ces métiers.

Cultiver – Ces métiers s’inscrivent dans le prolongement d’une culture de la solidarité, notamment pour des personnes issues d’Afrique sub-saharienne où aider l’autre est la norme. Cette norme refait-elle surface lorsqu’il s’agit de travailler ou alors les personnes ont-elles à cœur de participer à la survivance de cette solidarité ?

Proximité – Pour nombre de jeunes professionnelles, le secteur de l’aide à la personne regroupe des activités qu’elles ont déjà exercées de manière professionnelle ou familiale avant de commencer une formation. Ainsi exercer dans un secteur connu peut-il être rassurant pour les personnes ou alors aussi montrer une forme d’essentialisation des compétences avec une assignation à une place, plus particulièrement pour les femmes.

Rendre – Travailler dans ce secteur permettrait de rendre ce qui a été reçu du côté de l’aide à un proche.

Réparer – Nous avons perçu chez certaines personnes un très fort engagement en lien avec une histoire personnelle d’impossibilité d’aider un proche. Il s’agirait alors de réparer ce qui n’a pu être fait dans le passé et qui pèse sur la personne.

Recréer – De nombreux intervenants dans le secteur de l’aide à la personne sont issus de l’immigration. Cela signifie des parcours de rupture personnelle et familiale, peut-être aussi de la solitude. Ainsi, les liens créés avec les bénéficiaires et leurs familles peuvent-ils recréer des liens de type familiaux.

Suivre – Entrer dans ces métiers peut constituer la poursuite d’une trajectoire d’aide à l’autre.

 

Différents registres de facteurs d’engagement dans le métier

 

Nous voyons que les facteurs d’engagement dans le métier sont multiples et appartiennent à des registres très différents : du plus instrumental, l’économique, au registre social « cultiver » par exemple, au registre personnel avec « rendre » ou « réparer ».

À ces facteurs d’engagement s’ajoutent des facteurs d’ordre personnel et politique qui montrent comment les personnes, malgré parfois une nécessité économique, suivent un chemin vers l’émancipation à travers le travail, se réapproprient leur trajectoire en exerçant un métier qui donne du sens à leur action et à leur vie et enfin sont porteurs de valeurs politiques telles la solidarité, l’action collective. Nous comprenons là que la précarité économique et sociale n’en fait pas moins des Sujets responsables d’eux-mêmes, de leurs engagements et soucieux du monde qui les entoure.

Chacun et chacune créée sa propre alchimie de facteurs d’engagement dans le métier. Ils sont singuliers pour chaque professionnel et relèvent des différents registres. Loin de s’opposer, ils se complètent, se répondent. Ils sont intriqués de manière profonde chez les individus et ne sont pas forcément conscientisés. Pourtant, ils peuvent être très puissants.

Cela nous amène à considérer que l’engagement dans un métier relève de la complexité.

 

Dialectique engagement - soutenabilité

 

Lors de l’exercice de l’activité, ces facteurs d’engagement rentrent en dialectique avec des facteurs de soutenabilité pour « tenir » face au réel dans ces métiers. Ces métiers de l’aide à la personne sont des métiers difficiles dans lesquels il faut parfois « tenir ». C’est ce que nous avons rencontré avec l’exemple du « mercenariat ». Il s’agit pour les professionnels d’intervenir en vacations et non pas en CDI dans une institution fixe. Nous faisons l’hypothèse que ce mode d’activité leur permet d’acquérir une distance qui rend tenable l’exercice du métier. Exercice qui peut être mis en échec du côté des possibilités d’effectuer du « bon travail » et d’aider les personnes au mieux face à des contraintes de temps et de moyens qui peuvent entrainer des conflits éthiques sur le « bien travailler » et le « prendre soin ».

En conclusion, loin d'être simple et de contours bien définis, l’engagement dans les métiers de l’aide à la personne relève d’une complexité et d’une épaisseur qu’il serait intéressant de déplier pour en comprendre les ressorts et pouvoir proposer des politiques favorisant l’entrée dans ces métiers dont les professionnelles nous disent qu’ils sont humainement enrichissants et peuvent être porteurs de sens, à condition de pouvoir les exercer dans des conditions acceptables pour elles.