Renforcer la résilience du territoire : quelles relations entre la Métropole et les acteurs locaux ?
Étude
Comment la Métropole de Lyon peut-elle encourager les porteurs de projets allant dans le sens de la résilience sur son territoire ?
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Interview de Martin Durigneux
Comment passer de l’idée à l’acte lorsqu’on souhaite s’engager dans la transition écologique ? Organisme de formation créé en 2019, l’Institut Transitions accompagne, à leur rythme, des projets individuels variés. Son co-fondateur, Martin Durigneux, revient sur les ambitions et les programmes actuels et à venir de l’institut.
Pouvez-vous présenter en quelques mots l’Institut Transitions ?
L’Institut Transitions est un organisme de formation né, en septembre 2019, de deux constats. Tout d’abord, de plus en plus de personnes souhaitent s’engager dans leur vie professionnelle et participer à la transition écologique et solidaire, mais elles ne savent pas comment s’y prendre : où se former ? Qui rencontrer ? Quelles compétences acquérir ? Comment se construire un réseau ? Second constat : les structures porteuses de la transition ont besoin de forces vives pour grandir et avoir plus d’impacts. Association non lucrative, l’Institut répond à ce double besoin : accompagner les personnes dans leur évolution professionnelle, et les structures face aux défis qu’elles rencontrent.
Combien êtes-vous ?
Notre équipe regroupe aujourd’hui 3 permanentes structurelles, une vingtaine de formateurs et d’accompagnateurs engagés presque au quotidien et plus de 100 partenaires de la région lyonnaise.
Comment vous est venue l’idée de ce projet ?
Il est le fruit de notre expérience associative chez Anciela, une structure qui accompagne les initiatives citoyennes écologiques et solidaires : de plus en plus de personnes nous disaient ressentir une dissonance entre leur vie professionnelle et leur prise de conscience écologique et solidaire. L’engagement associatif qu’elles vivaient ne leur suffisait plus. Par ailleurs, de nombreuses associations, collectivités et entreprises nous demandaient de les accompagner sur les enjeux de transition, mais ce n’était pas la vocation d’Anciela. En octobre 2019, avec une équipe d’une douzaine de personnes, nous avons décidé de sauter le pas. J’ai personnellement quitté mes fonctions d’enseignant dans le supérieur pour monter cet Institut autour de ce double enjeu : accompagner cette économie en transition ; transmettre les connaissances et savoir-faire à ceux qui souhaitent s’y engager.
Quels sont vos publics ?
Nous avons choisi de nous concentrer sur les personnes en évolution professionnelle parce qu’elles apportent leur expérience aux jeunes structures de la transition. On a une décennie pour tout changer ! Notre but, c’est de former ceux qui peuvent agir dès aujourd’hui. Les apprenants du premier programme, Nouvelles Voies, ont en moyenne 36 ans. Cela va de 24 à 56 ans. Il s’agit plutôt de Bac +5 : des ingénieurs, des communicants, des commerciaux, qui veulent être utiles et se sentent frustrés de leurs premières expériences. Souvent, ce sont des gens polyvalents qui décident de mobiliser leurs compétences initiales en coordination au service de la transition. Les personnes qui ont plutôt des Bacs +2 s’en sortent très bien aussi grâce à leurs compétences techniques. Ce qui compte le plus, c’est la motivation pour agir ! En septembre 2021, nous avons lancé notre seconde promotion, qui accueille 49 apprenants.
Concrètement, que leur proposez-vous ?
Notre programme Nouvelles Voies aide chacun à fabriquer son métier et ses opportunités professionnelles, au travers de temps de formations, qui vont de la rédaction d’un mémoire, à la réalisation de missions de terrain. Les parcours sont variés : pour certains, le projet est rapide, ils recherchent avant tout un tremplin professionnel et une mise en réseau ; pour d’autres, c’est le début d’une longue exploration qui nécessite un accompagnement et des rencontres fertiles. Certains trouvent leur poste ; d’autres le créent.
Avez-vous des exemples de parcours ?
Elsa travaillait dans la communication. Au départ, elle a eu envie de basculer dans l’alimentation digne et durable, loin de la communication. Elle a même passé un CAP Cuisine. Aujourd’hui, elle exerce dans la communication d’une association, VRAC, qui crée des groupements d’achats bio dans les quartiers populaires et les campus. Déborah travaillait dans les achats publics. Elle lance aujourd’hui un projet d’habitat solidaire et de coliving pour femmes isolées, accompagné par la Pépinière d’Anciela, après avoir rédigé un mémoire sur le sujet.
Développez-vous d’autres programmes ?
Oui. Le programme Nouveaux métiers proposera en 2022-2023 des formations tremplins de 6 à 9 jours pour s’initier à des métiers réinventés, réenchantés, réadaptés aux défis actuels : animateurs de tiers-lieux, épiciers, cuisiniers, jardiniers, artisans-réparateurs, éco-gardiens. Ce sont souvent des métiers qui ont pu exister mais qui ont été abîmés au XXe siècle. Or, ils sont clés pour accompagner la transition. Leur impact écologique est très fort sur les filières ou le marché : ils amènent les citoyens et les professionnels à changer de comportements, créent de nouveaux services. Assez naturellement, on commencera par le métier d’épicier, parce que de nouveaux modèles fonctionnent et que nous avons de solides partenaires sur le territoire !
En quoi ce métier d’épicier doit-il être repensé ?
Aujourd’hui, une personne qui travaille à la caisse ou à la mise en rayon ne connaît plus les produits de son magasin : il ne choisit pas les producteurs, la façon de les mettre en rayon, ne dialogue pas avec les consommateurs pour s’adapter à leurs besoins... Son job, c’est de passer un bip toute la journée. Il n’a aucun pouvoir sur son métier. Nous souhaitons remettre du lien, du sens, dans des métiers qui sont au cœur de la cité mais ont été massacrés, dépersonnalisés, car considérés moins productifs que la grande industrie. On travaille aujourd’hui à ce qu’on appelle la « réartisanalisation », ou la « reconvivialisation » du travail.
Cela se traduit comment pour les épiceries ?
Cela signifie des épiceries sociales et solidaires où écologie rime avec solidarité, des épiceries zéro-déchet où on réinvente la consommation pour en finir avec le grand enfumage du recyclage industriel, des épiceries coopératives où on se réapproprie collectivement le métier ou encore des supermarchés coopératifs, comme Demain à Lyon.
Concrètement, comment accompagnez-vous ceux qui souhaitent devenir épiciers ?
Le participant découvre ces différents modèles inspirants qu’il pourra hybrider, différentes façons d’exercer le métier, rencontre ceux qui le pratiquent, participe à des formations pour s’y préparer.
C’est la même idée pour le métier de cuisinier : cela va des petites cantines participatives au restaurant plus classique ou au tiers-lieu alimentaire. Attention, on ne se substituera pas à un CAP cuisine, ou à une formation de 2 ans en agriculture ! Le but, c’est que nos participants sachent ensuite quelle corde tirer pour monter leur projet ou s’engager dans une structure existante.
On pense aussi travailler sur la mode éthique : ces métiers ne se limitent pas aux créatrices et créateurs avec leur machine à coudre. Du tiers-lieu (comme Les Curieux à Lyon), à la location de vêtements, en passant par les magasins de seconde main, il existe plein de possibles !
Vous parliez du métier d’éco-gardien. De quoi s’agit-il ?
On entre ici dans la catégorie des métiers à réinventer, à partir d’un imaginaire ancien. C’est un terme mobilisé par l’association Eisenia dans ses expérimentations. L’idée est que, dans chaque immeuble, quelqu’un incarne les services disparus ou dispatchés. L’éco-gardien, c’est le couteau-suisse d’un immeuble, un peu comme dans les coworkings aujourd’hui.
On pourrait imaginer deux personnes qui se relaient, vivent dans un appartement dédié, gèrent le composteur, les allers-retours à la déchetterie pour ceux qui n’ont pas la possibilité d’y aller, entretiennent et animent les espaces de nature, créent du lien entre les voisins, prennent soin des personnes âgées, interviennent, pourquoi pas, dans d’autres lieux du quartier...
Il faut remettre de la dignité dans cette fonction ! On continue à la supprimer et à la réduire à quelqu’un qui s’occupe des poubelles. Nous pensons, au contraire, que les éco-gardiens sont décisifs pour la transition. À part quelques expériences pionnières, comme celle d’Eisenia, ce métier démarre à peine. Nous travaillerons à son émergence d’ici peu car cela nous tient à cœur !
Vous formez aussi les professionnels sur les enjeux de la transition…
Oui, il s’agit de formats plus courts de 6 à 12 heures, par exemple, sur la mesure des impacts écologiques d’une activité ou les processus d’accompagnement au changement dans une perspective de transition écologique. Nous intervenons sauf si un acteur est déjà plus compétent sur le sujet. Nos publics sont des techniciens des collectivités, des élus, des coordinateurs de projet associatif. C’est une fonction que nous souhaitons développer avec les acteurs locaux, dans la région lyonnaise avant tout, même si nous avons pu intervenir au-delà comme à Orléans.
Au-delà de la formation, votre Institut développe une activité prospective…
Oui. Nous voulons comprendre finement cette économie de la transition qui nous semble aujourd’hui en pleine croissance. L’idée, c’est de mieux accompagner son évolution dans un contexte d’urgence écologique réelle. Nous avons lancé une enquête auprès de nos partenaires, une centaine d’associations et d’entreprises du territoire, pour décrypter leurs activités, leurs besoins en formation et ressources humaines, les grands enjeux auxquels elles sont confrontées...
L’Institut a vocation à être un des nœuds de la transition écologique et solidaire du territoire lyonnais via la formation et les dispositifs d’accompagnement professionnel. Comme Anciela a pu le devenir sur l’émergence des initiatives entrepreneuriales, associatives et citoyennes.
Quel est votre modèle économique ?
C’est très simple, comme dans une épicerie ! C’est 100% de financement par les personnes que nous formons. Avec un système de péréquation pour adapter les prix aux moyens de chacun et aller jusqu’à un prix zéro si nécessaire. Avant tout, nous sommes associatifs : nous avons décidé de conserver nos excédents dans un fonds de transition écologique et solidaire dédié aux associations et entrepreneurs du territoire. L’idée : apporter un coup de pouce à ceux qui se lancent le défi d’inventer de nouveaux modèles, et leur éviter de se tourner vers les banques ou les investisseurs.
Et vos salaires ?
Cette question est toujours épineuse en France. On va même créer une formation pour les structures de la transition sur la politique salariale pour qu’elles puissent s’en saisir en conscience ! Côté Institut, le salaire est identique pour toutes les permanentes, autour de 1900 € brut. C’est le même qu’à Anciela : pas question d’imaginer un salaire supérieur, juste parce que le modèle économique de l’Institut est plus solide !
Quid des financements publics ?
On ne les exclut pas d’emblée. D’ailleurs la Ville de Lyon soutient notre recherche Économie et Métiers de la transition en région lyonnaise. On pourrait aussi en avoir besoin pour financer des projets importants, comme le développement du métier d’éco-gardien que nous n’avons pas les moyens de porter sur nos fonds propres à ce jour. Cependant, en tant que militants associatifs, nous savons à quel point les ressources publiques sont précieuses et doivent être réservées aux structures et publics qui n’ont pas d’autre solution.
Quelle est votre ambition de développement ?
Même si nos apprenants peuvent venir de toute la France, le cœur de notre Institut est local (cela n’exclut pas les webinaires). Si un institut comparable au nôtre devait se créer ailleurs, on le soutiendrait mais on l’encouragerait à le faire en lien avec son territoire, son propre nom, sa philosophie… Cela ne serait jamais une reproduction à l’identique.
Quel regard portez-vous sur les enjeux de « résilience » ? Faîtes-vous une distinction avec la transition écologique ?
Je vais vous livrer mon point de vue personnel et non celui de notre Institut car nous n’avons pas de doctrine là-dessus. Je ne crois pas à la résilience comme principe moteur pour agir aujourd’hui, c’est plutôt une malheureuse nécessité qui va s’imposer d’année en année. Oui, le changement climatique est là. Mais à + 1,5 ou + 4° ? Ce n’est quand même pas la même chose ! Moi, je suis là pour atténuer le plus possible le choc pour les générations à venir. La transition, c’est changer la société, dans les délais les plus brefs, sans réserve et sans aucune vocation à s’adapter au préalable. Dans tous les cas, on s’adaptera a posteriori à tout ce qu’on n’aura pas réussi à sauver.
La résilience, c’est la mission des médecins de la société. On en a déjà (et on en aura malheureusement toujours plus) besoin, mais on ne gagne pas la guerre avec des médecins. La biodiversité, le climat, c’est d’abord de la transition, une transition radicale et déterminée. Oui, cet héritage terminologique de Boris Cyrulnik est fertile pour penser notre adaptation face au choc, mais le mouvement écolo se bat d’abord pour construire un autre monde et surtout, pour éviter d’avoir à le soigner.
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